Maude Lecompte
(Ph.D. sexologie, 2021)
Titre de sa thèse:
«Utilisation de Tinder: une étude exploratoire»
Direction de recherche: Simon Corneau et Dominic Beaulieu-Prévost, professeurs au Département de sexologie
Les applications de rencontre ont plus que jamais la cote pour les personnes qui souhaitent trouver l’amour. «Même s’il en existe plusieurs dizaines, comme Bumble, Grindr, Fruitz et Happn, Tinder demeure la plus populaire à ce jour», observe la chargée de cours du Département de sexologie Maude Lecompte qui, dans le cadre de sa thèse, s’est intéressée à la fameuse application de rencontre lancée en 2012.
La rumeur voulant que Tinder soit surtout utilisée pour des rencontres sexuelles n’est pas fondée, affirme sans détour la spécialiste. «Les gens recherchent des relations amoureuses à long terme», précise celle qui a mené des entretiens semi-dirigés avec une trentaine d’utilisatrices et utilisateurs de Tinder, âgés entre 25 et 45 ans.
Ces résultats concordent avec ceux de l’enquête pancanadienne MACLIC menée par la professeure Chiara Piazzesi et le professeur Martin Blais, à l’effet que plus de la moitié des personnes répondantes ont des attentes complètement romantiques (14,8 %) ou raisonnablement romantiques (44,6 %) au regard de leurs idéaux amoureux et intimes.
«Un autre sondage récent réalisé par Léger pour le compte de l’application de rencontre Fruitz, qui vise une clientèle plus jeune que Tinder, a démontré la même chose, souligne Maude Lecompte. Nos idées sont plus modernes que nos comportements et les idéaux romantiques ne sont pas surannés. Au final, on recherche la même chose que les générations précédentes mais avec des moyens technologiques différents.»
Une application ludique
La recherche d’une ou d’un partenaire amoureux n’est toutefois pas le motif principal invoqué par les utilisatrices et utilisateurs de Tinder. «On l’utilise d’abord pour le jeu, pour passer le temps, pour le plaisir inhérent à y naviguer sans volonté de rencontrer qui que ce soit, révèle Maude Lecompte. On s’en sert comme on joue à Candy Crush ou Pokémon Go, ou comme on regarde son fil Instagram ou Tik Tok. Cela dit, si on l’utilise pour le plaisir, on reste aussi ouvert à rencontrer quelqu’un. L’un n’exclut pas l’autre.»
«Au final, on recherche la même chose que les générations précédentes mais avec des moyens technologiques différents.»
Maude Lecompte
Chargée de cours au Département de sexologie
Puisque certaines théories stipulent que plus on avance en âge, plus on recherche des relations significatives émotionnellement, Maude Lecompte s’attendait à retrouver moins de personnes utilisant Tinder explicitement pour le loisir chez les 35-45 ans, comparativement aux 25-35 ans. Mais ce ne fut pas le cas. «Il n’y avait aucune différence significative quant aux modalités d’utilisation en fonction de l’âge dans mon échantillon», note-t-elle.
La meilleure version de soi-même
Les applications de rencontre sont les héritières directes de leurs prédécesseurs, les sites de rencontre en ligne, avec une différence majeure: là où les seconds misaient sur le texte, les premières misent avant tout sur l’image. Maude Lecompte s’est intéressée à cet aspect sous deux angles: la mise en scène de soi et les critères de sélection lors de la recherche.
«Ce qui saute aux yeux, c’est cette exigence d’authenticité envers l’autre et c’est paradoxal, car la plupart des personnes interrogées confient avoir amélioré certaines photos, utilisé des filtres plus avantageux, comme le noir et blanc, qui cachent les défauts, choisi des prises de vue pour être à leur meilleur. On veut être authentique et que l’autre le soit, tout en présentant la meilleure version de soi-même!» D’autres études révèlent effectivement que les caractéristiques sur lesquelles les gens tordent le plus la vérité sur ce type d’application sont le poids, la taille et l’âge.
«On veut être authentique et que l’autre le soit, tout en présentant la meilleure version de soi-même!»
Il est évident que toutes et tous ne sont pas égaux devant Tinder. «L’aspect visuel inhérent à Tinder peut nuire à certaines personnes ayant moins de capital érotique ou dont les charmes sont associés à d’autres qualités, ou qui ont tout simplement plus de difficultés à prendre de bonnes photos», remarque Maude Lecompte. Le charisme et la répartie, par exemple, peuvent augmenter le capital érotique d’une personne, mais ces qualités se reflètent peu, voire pas du tout, dans une photo. «Quelques personnes ont souligné ne pas apprécier Tinder pour cette raison, mais elles se disent incapables de la délaisser pour autant. Elles entretiennent une espèce de rapport amour-haine avec l’application.»
Scruter les photos à la loupe
Une fois leur profil créé, les utilisatrices et utilisateurs de Tinder consultent les profils des autres et cela passe d’abord par la photo principale que chaque personne choisit de mettre de l’avant. «En l’absence d’informations sociodémographiques plus détaillées, les personnes n’ont d’autres choix que d’inférer des caractéristiques souvent basées sur des préjugés ou des stéréotypes à partir de certains éléments des photos qu’elles consultent, souligne Maude Lecompte. On en déduit ce que la personne est ou fait dans la vie et c’est souvent complètement erroné.»
Par exemple, si une personne a un verre dans les mains sur toutes ses photos, on en déduira qu’elle fait souvent la fête ou qu’elle a un problème d’alcool, illustre la chercheuse. «Si toute ses photos sont visiblement trop retouchées, on conclura que cette personne manque d’authenticité…» Et c’est sans compter la déception qui risque de survenir si on se rencontre et si on se rend compte que l’autre ne ressemble pas du tout à sa (ou à ses) photo(s)!
Toujours plus de profils masculins
Tinder ne dévoile pas le nombre total de ses utilisateurs, mais certains organismes spécialisés en analyse numérique l’évaluent entre 60 et 75 millions sur une base mensuelle, dans près de 200 pays. «Quand j’ai commencé mon doctorat, on parlait d’une pseudo-parité hommes-femmes sur Tinder, ce qui était relativement surprenant car les études antérieures avaient clairement démontré une surreprésentation des hommes sur les sites de rencontre en ligne, rappelle Maude Lecompte. On vantait même cette parité comme étant l’aspect révolutionnaire des applications de rencontre.»
Sa thèse a confirmé qu’il n’en était rien. Les années ont passé et les statistiques disponibles indiquent des ratios tournant autour de 60 hommes pour 40 femmes, ou même 70-30, voire 75-25.
«En revanche, les données montrent qu’une femme a autant de probabilité dans sa vie d’avoir recours à une application de rencontre qu’un homme, note la chercheuse. Sauf qu’à tout moment, il y a toujours plus d’hommes que de femmes.»
Même si aucun des participants à la recherche de Maude Lecompte n’y a fait référence, la technique du mass like – balayer à droite tous les profils afin d’augmenter ses chances d’obtenir un match – semble être prisée par certains utilisateurs masculins. L’un d’eux a poussé le concept assez loin: un Moscovite a récemment reconnu avoir utilisé ChatGPT pour converser avec 5 200 femmes en même temps afin de pouvoir raffiner sa recherche. Il aurait finalement trouvé l’âme sœur!
Avantage stratégique aux femmes
Ce ratio influence les rôles endossés par les utilisatrices et les utilisateurs en fonction de leur genre. «Sans surprise, il est attendu sur Tinder, dans un contexte hétérosexuel cisgenre, que ce soit les hommes qui fassent les premiers pas et qui amorcent la discussion, note Maude Lecompte. Et cela sert bien les femmes, même si cette posture n’est pas très proactive: elles laissent les hommes les courtiser parce qu’elles savent, et les hommes aussi, qu’elles sont plus sollicitées sur les applications de rencontre, y étant moins nombreuses. Elles possèdent donc une forme d’avantage stratégique. Pourquoi se forcer à approcher les hommes si elles sont plus sollicitées et que c’est à elles que revient la décision de poursuivre ou de mettre fin aux interactions?»
Incontournables, les applications de rencontre?
Certains célibataires se demandent sans doute s’il faut absolument passer par une application de rencontre pour rencontrer l’âme sœur. «Ce n’est pas un aspect étudié dans ma thèse, précise la chargée de cours, mais une récente étude sur la question démontre que l’application est un outil chez les plus jeunes, un environnement parmi tant d’autres, car ils ont un réseau social développé – on peut rencontrer les amis des amis des amis – et de nombreuses activités liées à leurs études et à leurs loisirs.»
Plus on avance en âge, plus on est susceptible de se diriger vers les applications ou les sites de rencontre. «On a les mêmes amis depuis longtemps et les occasions de connaître de nouvelles personnes diminuent. Les applications deviennent alors une solution à l’absence d’un réseau social comportant des célibataires.»
Récipiendaire du prix d’excellence en enseignement, volet chargé-e-s de cours, décerné par la Faculté des sciences humaines en 2018, Maude Lecompte enseigne ce trimestre les cours Méthodologie qualitative en sexologie et Sexualité de l’âge adulte; de l’âge moyen à la fin de vie, en plus d’être chargée de projets au Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS). Elle prépare un ouvrage de vulgarisation scientifique sur les applications de rencontre, à paraître l’an prochain aux Presses de l’Université du Québec.