Le recteur Stéphane Palllage était l’invité du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), le 7 novembre dernier, où il a prononcé une allocution sur l’université comme moteur de développement et pilier de la démocratie ici et dans le monde. Soulignant à quel point l’université, et en particulier l’UQAM, demeure encore aujourd’hui un formidable ascenseur social pour les étudiantes et les étudiants de première génération, il a rappelé le levier que les universités représentent pour le développement social, culturel et économique et à quel point nos sociétés ont besoin d’universités fortes et autonomes en cette ère de désinformation et de menaces à la démocratie.
Le recteur a entamé son discours en évoquant son passé d’étudiant parti de sa Belgique natale pour étudier au doctorat en science économique à l’Université Carnegie Mellon de Pittsburgh. Attiré par les États-Unis, il aurait pu être tenté d’y rester, mais il craignait de perdre son français. En lui offrant un poste de professeur au Département des sciences économiques, l’UQAM a résolu son dilemme: «Ce que j’ai découvert au Québec, c’est une autre Amérique: l’Amérique en français. Je ne pouvais rêver mieux», a confié Stéphane Pallage.
À la défense des étudiants internationaux
Cette entrée en matière a amené le recteur à aborder la question des étudiants internationaux. Selon lui, le projet de loi 74 et le moratoire annoncé sur le programme de l’expérience québécoise (PEQ) se trompent de cible. «Les étudiants internationaux sont une force pour le Québec, a affirmé Stéphane Pallage. Ils nous arrivent avec un bagage intellectuel rare et précieux qu’ils affinent au contact de nos professeurs. Ils contribuent à la recherche de pointe, et donc à l’avancement de la société. Ils deviennent des citoyens de premier ordre. S’ils s’installent au Québec, c’est parce que le Québec est leur pays choisi.»
«Les étudiants internationaux sont une force pour le Québec.»
On aurait tort, croit le recteur, de faire des étudiants internationaux une solution facile à un enjeu d’immigration complexe. Contribuant à la vitalité du français au centre-ville, à la durabilité des régimes de retraite et même à la création d’emploi, les étudiants internationaux sont les meilleurs nouveaux citoyens possibles. «Et si jamais ils quittent après leurs études, ils auront apporté beaucoup au Québec et resteront des ambassadeurs de notre culture toute leur vie», a ajouté le recteur.
Selon lui, les universités ne sont pas le problème dans le débat sur l’immigration temporaire. «Attaquons-nous plutôt aux fausses écoles qui attirent de façon malhonnête des jeunes crédules et pleins de rêves, leur faisant miroiter des diplômes qui n’existent pas», a proposé le recteur.
Une mission d’accessibilité
Enchaînant sur la mission d’accessibilité de l’UQAM, Stéphane Pallage a rappelé qu’en 55 ans d’histoire, elle a décerné des diplômes à plus de 300 000 personnes, très majoritairement de première génération universitaire. «On mesure ici tout l’impact de l’UQAM sur le développement économique, social, scientifique et culturel du Québec au cours des cinq dernières décennies», a souligné le recteur.
Si on considère l’UQ, il faut ajouter 300 000 diplômés de plus sur la même période, partout sur le territoire du Québec, a mentionné Stéphane Pallage. «L’Université du Québec est le plus grand ascenseur social dont le Québec se soit jamais doté», a-t-il déclaré. Et «comme près d’un étudiant sur deux au sein de l’UQ est encore aujourd’hui de première génération universitaire, l’ascenseur social continue d’opérer à plein régime, pour le plus grand bénéfice du Québec».
«L’Université du Québec est le plus grand ascenseur social dont le Québec se soit jamais doté.»
C’est ainsi, selon le recteur, que les universités propulsent la collectivité vers une société du savoir. Leur impact est immense, a-t-il souligné: «Entre 2018 et 2023, un dollar de fonds public investi dans l’UQAM a produit un rendement annuel d’au moins 8 dollars. Selon la méthodologie et ce que l’on inclut dans les calculs, ce chiffre peut monter jusqu’à 16 dollars de retombées économiques. Cela fait un taux de rendement annuel de 700 % à 1 500 %. Mesdames et messieurs, connaissez-vous un investissement plus rentable que celui-ci?»
Cela, a ajouté Stéphane Pallage, «c’est sans compter tout ce qui ne se mesure pas, comme le plaisir d’avoir vu un spectacle de danse créé à l’UQAM, ou la découverte par un de nos mathématiciens d’un théorème qui marquera un tournant dans l’évolution de nos sociétés… dans peut-être 20 ans».
Une orientation vers la santé
Le recteur a rappelé l’annonce récente de la création à l’UQAM d’une Faculté des sciences de la santé inspirée par la vision «une seule santé». Cette faculté, a-t-il expliqué, ne sera pas axée sur la maladie, mais sur la santé, qu’il faut préserver ou améliorer. «Pour cela, nous voulons décloisonner les disciplines et les professions de la santé, utiliser les intelligences artificielles, prédire des trajectoires de vies en santé, inventer de nouveaux métiers, a proposé Stéphane Pallage. Nous pouvons le faire parce que nous avons à l’UQAM le privilège de la page blanche, le privilège de bâtir sans silo.»
Rappelant l’explosion du coût des soins de santé au Québec et l’épuisement du personnel soignant, le recteur a salué l’annonce par le ministre Christian Dubé, lors d’un colloque organisé le 1er novembre dernier par l’UQAM et l’Association pour la santé publique du Québec, de la mise sur pied prochaine d’une stratégie en santé qui misera davantage sur la prévention. «La prévention, la promotion de modes de vie sains, la réduction des inégalités d’accès aux soins, tout cela représente une économie de plusieurs dizaines de milliards de dollars», a-t-il souligné, ajoutant que «l’UQAM s’engage pour le Québec, comme elle l’a toujours fait, à regarder à l’envers, pour mieux voir ce qui est invisible à l’endroit. Notre nouvelle Faculté des sciences de la santé n’existe nulle part au monde. Elle a le potentiel d’être transformatrice.»
«L’UQAM s’engage pour le Québec, comme elle l’a toujours fait, à regarder à l’envers, pour mieux voir ce qui est invisible à l’endroit. Notre nouvelle Faculté des sciences de la santé n’existe nulle part au monde. Elle a le potentiel d’être transformatrice.»
L’université, rempart contre le populisme
Revenant sur le rôle que jouent les universités dans le développement économique, social, scientifique et culturel au Québec et ailleurs, le recteur a insisté sur le fait qu’elles doivent être accessibles pour jouer ce rôle. «L’accessibilité aux études universitaires, c’est tout aussi important pour la qualité des institutions démocratiques, a-t-il dit. L’éducation forge l’esprit critique. Elle est le meilleur rempart contre le populisme.»
L’université, a rappelé Stéphane Pallage, est un lieu de liberté: «On y apprend à vivre, à débattre de ses idées, à remettre en question les conventions, les croyances et les dogmes.» Continuant sur cette lancée, le recteur a souligné que «l’université, par son indépendance et ses nombreuses expertises, est aussi celle qui établit de façon crédible ce qui est un fait, et ce qui ne l’est pas. À l’heure de la désinformation, l’Université est une des rares sources sûres d’information.»
«À l’heure de la désinformation, l’Université est une des rares sources sûres d’information.»
La presse a longtemps été considérée comme le quatrième pouvoir, mais ce pouvoir s’érode, notamment devant la montée en force du cinquième pouvoir que constituent les médias sociaux, a observé Stéphane Pallage. Ce cinquième pouvoir nuit à la démocratie, puisque l’électeur est souvent mal informé, voire désinformé, lorsqu’il exerce son droit de vote. C’est pour cela, selon le recteur, qu’il est si important de préserver le sixième pouvoir, celui des universités, «qui le détiennent lorsqu’elles sont indépendantes et lorsqu’elles évoluent dans un contexte de liberté académique».
Défendre la liberté universitaire fait partie de son rôle de recteur, a déclaré Stéphane Pallage. Les professeures et professeurs de l’UQAM interviennent souvent dans le débat public, sans avoir peur de prendre la parole pour confirmer ou infirmer une théorie. «Participer au débat public avec leur regard expert est un rôle qu’ils et elles prennent très au sérieux, a-t-il souligné. Il en va de la qualité de notre démocratie dans un siècle où les garde-fous sont de moins en moins solides et où la pensée critique se décline trop souvent en 140 ou 280 caractères.»
C’est donc par un appel à défendre l’indépendance qui permet aux universités de jouer leur rôle que Stéphane Pallage a conclu son allocution. «Les universités font avancer le Québec, a-t-il déclaré. Leur autonomie et leur liberté académique préservent notre démocratie. Protégeons-les.»
On peut visionner l’allocution du recteur ici.