Le 7 novembre dernier, la Fondation Guido Molinari a ouvert ses portes à un groupe du cours Histoire de l’art et muséologie. Les étudiantes et étudiants de la chargée de cours et doctorante au Département d’histoire de l’art Anne-Sophie Miclo ont eu droit à une visite de tous les recoins de la Fondation, de ses lumineux espaces d’exposition à ses réserves cachées au sous-sol, guidée de main de maître par sa directrice générale, la diplômée Marie-Ève Beaupré (B.A. histoire de l’art, 2006; M.A. étude des arts, 2009), et ses collaboratrices Camille Bédard et Laurence Dupont (M.A. muséologie, 2021). Trois passionnées dont le plaisir de travailler ensemble est communicatif: difficile d’étudier en histoire de l’art et d’assister à cette visite sans avoir envie d’aller immédiatement postuler à la Fondation Molinari!
Les visites dans les galeries, musées et autres institutions culturelles font partie intégrante de la formation en histoire de l’art, rappelle Anne-Sophie Miclo. «De nombreux professeurs et chargés de cours du Département enseignent l’histoire de l’art sur le terrain, dit-elle, que ce soit dans les biennales, où les étudiantes et étudiants vont prendre le pouls des tendances actuelles, ou dans les musées.» Cette session, par exemple, un séminaire du professeur Itay Sapir se donne en partie au Musée des beaux-arts de Montréal, dans le cadre de l’exposition Vertu, vice, désir, folie: trois siècles de chefs-d’œuvre flamands, où le groupe peut s’initier à cette période de la peinture au contact même des œuvres qu’elle a vu naître.
Une ancienne banque devenue musée
En arrivant le matin, le groupe d’Anne-Sophie Miclo est accueilli dans le hall de l’ancienne banque qui a servi d’atelier pendant des années à Guido Molinari. Membre des Plasticiens, le peintre est un des artistes phares de l’art abstrait au Québec. Marie-Ève Beaupré raconte que l’artiste, fils d’immigrants italiens, était déjà célèbre quand il a fait l’acquisition de cet immeuble situé dans Hochelaga-Maisonneuve, le quartier où il a grandi. Il s’y est installé avec sa conjointe, Fernande Saint-Martin, une autre figure marquante de l’art contemporain au Québec, qui a longtemps été professeure d’histoire de l’art à l’UQAM. Le couple vivait à l’étage, dans l’appartement traditionnellement destiné aux gérants de la banque. «Cet immeuble était un lieu de pratique et de vie, souligne Marie-Ève Beaupré. On a encore l’impression d’entendre résonner les conversations sur l’art qui ont eu lieu entre ses murs.»
«Cet immeuble était un lieu de pratique et de vie. On a encore l’impression d’entendre résonner les conversations sur l’art qui ont eu lieu entre ses murs.»
Marie-Ève Beaupré
Directrice générale et directrice artistique de la Fondation Guido Molinari
Selon les vœux de l’artiste et grâce à l’aide de l’avocat Maurice Forget, un mécène qui a aussi été à l’origine de la Fonderie Darling, l’atelier a été transformé en musée après le décès de Molinari, en 2004. Une transformation qui a posé des défis, souligne Marie-Ève Beaupré, afin de garantir les conditions contrôlées de température, d’humidité et de lumière nécessaires à la conservation des œuvres. Grâce au travail de réhabilitation de l’immeuble mené par l’agence d’architecture Nature humaine, ces défis ont été relevés sans sacrifier le cachet de l’ancienne banque et de la résidence/atelier de Molinari. Ce travail a d’ailleurs été récompensé, en 2013, par un prix d’excellence de l’Ordre des architectes.
Le fait que la Fondation soit située dans l’ancien atelier de l’artiste converti en musée en fait un lieu de médiation culturelle particulièrement intéressant à découvrir pour la classe, souligne Anne-Sophie Miclo. «Le lien entre le lieu et le cours, qui porte sur l’histoire de l’art et la muséologie, est évident», note-t-elle. S’il existe dans d’autres villes du monde, comme à Paris, de nombreux ateliers convertis en musées, ce n’est pas le cas à Montréal. À ce titre, la Fondation est un lieu unique.
La Fondation Guido Molinari a récemment reçu l’agrément du ministère de la Culture, un label de qualité pour les institutions muséales obtenu au bout d’un long processus qui a mobilisé l’équipe pendant plusieurs mois, indique Marie-Ève Beaupré dans son introduction. Elle s’occupe de la conservation de la collection Molinari et de son rayonnement à travers le prêt d’œuvres à d’autres institutions muséales, présente des expositions, accueille des résidences d’artistes et offre «une programmation comportant une importante visée éducative, en lien avec la carrière de Molinari, qui a été professeur pendant une trentaine d’années à l’Université Concordia», souligne la directrice générale.
Travailler dans un musée
Tour à tour, Marie-Ève Beaupré, une ancienne conservatrice de la Galerie de l’UQAM et du Musée d’art contemporain (entre autres), qui assume aussi le rôle de directrice artistique, la conservatrice adjointe, Camille Bédard, et la chargée de la communication et des médiations, Laurence Dupont, expliquent à la classe leurs fonctions respectives.
Cheffe d’orchestre chargée de mettre en œuvre les grandes orientations de la Fondation, Marie-Ève Beaupré s’occupe tout autant de la programmation que du rayonnement de la Fondation. «Nous sommes un trésor bien caché et mon travail consiste à nous faire connaître davantage», dit-elle, précisant que la Fondation ne se limite pas à diffuser l’œuvre de Molinari. «Nous présentons des expositions d’autres artistes contemporains, dont le travail est en résonance ou, parfois, en dissonance avec l’œuvre de Guido Molinari.»
Une exposition à la Fondation
La Fondation présente jusqu’au 22 décembre prochain l’exposition temporaire Tout geste est/et politique. Nadia Myre, Robert Myre & Molinari. À travers le regard de l’artiste Nadia Myre, ce projet offre de nouvelles perspectives sur la pratique de son père, l’imprimeur, éditeur, journaliste et éducateur syndicaliste Robert Myre. Militant nationaliste, Robert Myre a été impliqué dans la publication des Poèmes et chants de la résistance, dont les spectacles, dans les années 1970, ont été présentés pour venir en aide aux prisonniers politiques et protester contre la Loi sur les mesures de guerre adoptée durant la crise d’Octobre. L’engagement de Robert Myre est mis en parallèle avec celui de Molinari, qui cherche à mettre de l’avant un art national arrimé aux courants internationaux. Marie-Ève Beaupré a assuré le commissariat de cette exposition, qui rassemble des lettres, coupures de journaux, affiches et autres objets ayant appartenu aux deux hommes. Pour la guider dans ses choix, elle a compté sur la collaboration de Camille Bédard et Alexandre Major-Forest (coordonnateur à l’accueil et aussi étudiant au bac en arts visuels et médiatiques). Après la visite d’Anne-Sophie Miclo, plutôt axée sur le fonctionnement du musée, la journée à la Fondation se poursuivait avec le cours de la professeure Marie Fraser, Le commissariat d’exposition comme pratique et médium, consacré à cette exposition.
La conservatrice adjointe, Camille Bédard, explique qu’elle est «la gardienne de la collection» et qu’elle s’implique dans tout ce qui est nécessaire au fonctionnement d’un organisme culturel, incluant la recherche de subventions et d’autres sources de financement. La collection est, en fait, un ensemble de collections: tableaux, dessins, estampes et livres d’artiste de Molinari, mais aussi des œuvres d’autres artistes tels que Borduas, Betty Goodwin, Mondrian ou Riopelle, des œuvres d’anciens étudiants de Molinari et 15 mètres linéaires de fonds d’archives, dont un fonds du photographe Robert Millet, qui a documenté la vie culturelle montréalaise à l’époque de Guido Molinari.
«Je fais constamment des recherches dans les archives et j’en apprends tous les jours davantage sur Molinari en tant qu’artiste, que pédagogue et que citoyen», confie Camille Bédard. La conservatrice adjointe veille évidemment… à la conservation des œuvres, s’assurant qu’elles restent à l’abri des moisissures, des insectes nuisibles ou autres menaces à la sauvegarde de ce patrimoine unique. «Un aspect de mon travail consiste à actualiser nos pratiques dans un esprit de prévention», dit-elle. Elle a aussi pour mission de rendre les collections accessibles aux chercheuses et chercheurs, notamment ceux qui ne peuvent pas se déplacer. Un de ses gros projets, en ce moment, vise la constitution d’une base de données pour que chaque item de la collection soit répertorié dans une fiche contenant des informations non seulement sur son format ou sa date d’acquisition, mais aussi sur son historique de conservation et de diffusion, son état, ses particularités.
De son côté, en plus des diverses actions de communication – animation des réseaux sociaux, rédaction de documents et de communiqués –, Laurence Dupont s’occupe de l’accueil des groupes (du primaire au niveau universitaire) et du développement des publics. La Fondation, indique-t-elle, organise de nombreuses actions de médiation culturelles: en plus des visites, on y propose des conférences, des tables rondes et même des concerts. «Nous voulons ouvrir nos portes aux citoyens et artistes d’Hochelaga-Maisonneuve», dit la jeune femme, précisant que la Fondation entretient des liens et organise des activités avec plusieurs artistes et organismes culturels du quartier. Résumant son travail, elle souligne en souriant que, «comme dans toute organisation de petite taille, la polyvalence est la clé!».
Bien entourée par l’équipe de la Fondation et par son contingent de bénévoles, Marie-Ève Beaupré travaille aussi en étroite collaboration avec le conseil d’administration de la Fondation, présidé par la professeure du Département d’histoire de l’art Marie Fraser, et avec un groupe de conseillères et conseillers très précieux à ses yeux, le Comité des collections et des expositions. Marie Fraser, le professeur émérite Laurier Lacroix et la diplômée Jo-Ann Kane (B.A. histoire de l’art, 1997; M.A. muséologie, 2001) font notamment partie de ce comité formé de spécialistes en histoire de l’art, en conservation et en restauration d’œuvres d’art. «Ce comité joue un rôle important dans la plupart des missions de la Fondation, insiste Marie-Ève Beaupré. Nous manipulons des œuvres qui valent plusieurs centaines de milliers de dollars. C’est important d’être bien conseillés.»
À travers les salles
La conversation avec les animatrices de la visite se poursuit à travers les salles de la Fondation. Dans un coin, les étudiantes et étudiants découvrent un espace où l’on conserve, intact, l’atelier de Molinari, avec ses tubes de peinture, ses pinceaux et rouleaux, ses notes griffonnées sur les murs et son chapeau de fourrure. À l’étage, les anciennes pièces de l’appartement abritent l’exposition L’atelier de poésie de Fernande Saint-Martin et Guido Molinari. Cette exposition évolutive (elle se transforme au fil du temps) met en valeur diverses archives et pièces des collections permanentes qui font revivre l’émergence de l’art contemporain au Québec: livres représentatifs des tendances intellectuelles de l’époque, dessins de Molinari, manuscrits de Fernande Saint-Martin ou du peintre.
Dans une petite salle où l’équipe du musée dispose d’une maquette à l’échelle de son hall d’exposition principal, le groupe est invité à comprendre le processus de mise en espace d’une exposition: comment disposer les pièces sur les murs pour créer une harmonie de couleurs et de formats et susciter la conversation des œuvres entre elles? «Pouvoir travailler avec une aussi belle maquette est un privilège», note Laurence Dupont. «Un privilège, témoigne Anne-Sophie Miclo, que l’équipe de la Fondation partage notamment avec celle du Museum of Modern Art (MOMA), à New York, où, lors de l’agrandissement et du redéploiement des collections en 2019, des maquettes ont été utilisées pour imaginer la disposition des œuvres dans l’espace.»
Le quotidien d’une institution muséale
Toutes sortes de questions pratiques sont abordées au cours de la visite: conception d’un accrochage, production des cartels accompagnant les pièces exposées et autres documents explicatifs ou de promotion, traduction, graphisme, impression, travail de classement et de rangement des œuvres (le groupe aura la chance de descendre au sous-sol voir les réserves et de découvrir que les cimaises du hall principal dissimulent des rangements supplémentaires, une astuce ingénieuse des architectes pour gagner de l’espace d’entreposage), plan d’urgence en cas de sinistre, et toutes les autres tâches qui font partie du quotidien d’une institution muséale.
«La Fondation Molinari est un lieu extraordinaire pour l’étude des rapports entre histoire de l’art et muséologie, pour comprendre la fonction d’un musée, ses missions et ses collections, note Anne-Sophie Miclo. Nous formons autant de futurs travailleurs et travailleuses culturels que de futurs chercheurs et chercheuses en histoire de l’art. Avec son équipe formidable, passionnée et généreuse, la Fondation leur offre une magnifique introduction à la scène muséale.»