Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Dans le hall d’entrée de la succursale principale de la Banque Nationale (BN), Vague est majestueuse. Composée de 2705 pièces de bronze, la sculpture de 275 kilos est inspirée du nombre d’or (voir l’article Beautés mathématiques), observable dans la forme répétitive des vagues sur l’océan. Cette pièce de l’artiste montréalais Patrick Coutu (B.A. arts visuels, 99) est l’une des préférées de Jo-Ann Kane (B.A. histoire de l’art, 97; M.A. muséologie, 01), conservatrice de la Collection Banque Nationale, la plus importante collection d’entreprise au Canada avec quelque 7000 œuvres datant de 1895 à nos jours.
Depuis son entrée en fonction, en 2002, la collection, qui compte des artistes comme Valérie Blass (B.A. arts plastiques, 99; M.A. arts visuels et médiatiques, 06), Marc Séguin ou René Derouin, a pris de l’expansion du côté de l’art actuel. Que ceux qui pensent que les entreprises sont très conservatrices et ne collectionnent que des paysages se détrompent, dit Jo-Anne Kane: «J’ai fait des acquisitions très audacieuses!»
Les œuvres se retrouvent dans les bureaux de la BN à travers le Canada et les États-Unis. Certaines, comme la Dame à la corde d’Irene F. Whittome (un boîtier contenant une corde, une photo et des sacs de sable…), font jaser. «J’aime quand il y a des réactions», dit la conservatrice sur un ton amusé. Pour communiquer sa passion aux employés, elle organise conférences et visites guidées et ne se gêne pas pour s’immiscer dans leurs conversations quand elle en surprend en train de s’interroger sur le sens d’un tableau un peu déroutant.
Acquérir une œuvre, c’est aussi, pour elle, un geste d’appui à l’endroit d’un créateur. D’ailleurs, la Banque compte souvent plus d’une œuvre des artistes qu’elle collectionne. «Faire partie de collections comme celle de la Banque Nationale, gérées par des historiens de l’art et bien perçues dans le milieu des arts visuels, contribue à mousser la carrière des artistes», dit celle qui a fait sa première incursion dans le domaine des collections d’entreprises à Hydro-Québec, lors d’un stage obtenu dans le cadre de sa maîtrise en muséologie.
« Faire partie de collections comme celle de la Banque Nationale, gérées par des historiens de l’art et bien perçues dans le milieu des arts visuels, contribue à mousser la carrière des artistes. »
Avec ses yeux bleus, son teint de vraie rousse et son nom à consonance anglophone, Jo-Ann Kane peut difficilement cacher ses origines à moitié irlandaises. Si elle a choisi l’UQAM pour y faire ses études, «c’est pour sa force en histoire de l’art et son ancrage dans le milieu de l’art actuel», affirme celle qui a gardé des liens avec beaucoup de ses anciens professeurs et qui suit de près tout ce qui se fait à la Galerie de l’UQAM.
Depuis l’an dernier, Jo-Ann Kane a repris sa liberté et, tout en gardant le titre de conservatrice de la collection, agit désormais comme consultante pour la BN. Ce qui lui permet d’offrir ses services à d’autres clients, particuliers ou corporatifs. Elle est ainsi en pourparlers avec une entreprise qui souhaite démarrer sa propre collection, un projet excitant. «Bâtir une collection exige toute une réflexion, observe-t-elle. Les œuvres ont des liens entre elles, elles communiquent quelque chose en tant que collection.»
En plus de son flair pour l’acquisition, Jo-Ann Kane offre à ses clients corporatifs des conseils pour faire de l’art un élément de stratégie. «Encourager les arts fait partie de leur rôle de citoyen corporatif, dit-elle. On regarde comment utiliser la collection pour améliorer l’environnement des employés, par exemple, ou pour contribuer à l’image de marque de l’entreprise.» Des particuliers font également appel à elle à travers Gestion privée 1859, une filiale de la BN qui propose des services d’évaluation d’œuvres d’art et de gestion de collection. «La BN a été la première institution financière à offrir ce service au Québec», souligne-t-elle.
Présente sur tous les fronts pour promouvoir la place de l’art dans la société, Jo-Ann Kane préside l’Association des collections d’entreprises du Québec, siège au conseil d’administration du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Festival international du film sur l’art (FIFA) et a fait partie du Groupe de travail sur la philanthropie culturelle, présidé par le mécène Pierre Bourgie. Mandaté par le gouvernement pour trouver des façons de stimuler le mécénat québécois, le Groupe a remis un rapport bien accueilli en 2013.
Depuis deux ans, la conservatrice est aussi présidente d’honneur de «Parle-moi d’amour», la principale activité bénéfice des Impatients, un organisme qui offre des ateliers d’expression artistique à des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. L’exposition-encan «Parle-moi d’amour» mêle les créations des participants avec celles d’artistes professionnels qui font don de leurs œuvres. Pour celle qui allie avec grâce questions d’art et d’argent, c’est un défi taillé sur mesure. «L’an dernier, nous avons dépassé nos objectifs», dit-elle fièrement.
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 13, no 1, printemps 2015.