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Conservatrice d’avant-garde

À son poste de conservatrice au Musée d’art contemporain de Montréal, Marie-Ève Beaupré est là où elle rêvait d’être.

Par Marie-Claude Bourdon

2 mai 2017 à 15 h 05

Mis à jour le 5 mai 2017 à 9 h 05

Série «Sur le terrain»
Des diplômés de l’UQAM qui ont fait leurs preuves répondent à 10 questions sur leur univers professionnel.

Choisie commissaire de la relève par l’Association des galeries d’art contemporain en 2011, Marie-Ève Beaupré (M.A. études des arts, 09) a déjà un parcours impressionnant.  Après avoir quitté la Galerie de l’UQAM, où elle a d’abord fait sa marque, de 2004 à 2012, sous la direction de Louise Déry, elle a été conservatrice de l’art contemporain au Musée national des beaux-arts du Québec, puis conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain et titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarilowsky au Musée des beaux-arts de Montréal, avant d’être nommée conservatrice de la collection du Musée d’art contemporain (MAC) de Montréal au printemps 2016. En plus de concevoir des expositions pour plusieurs galeries et musées, l’historienne de l’art a signé de très nombreux textes sur l’art et a contribué à plus d’une dizaine de projets de publications. Au MAC, où elle est notamment responsable des nouvelles acquisitions, elle s’active à mettre en valeur la collection permanente, entre autres grâce à une nouvelle formule intitulée Tableau(x) d’une exposition, qui regroupe les œuvres selon des thématiques appelées à évoluer dans le temps, en dialogue avec l’actualité et les expositions temporaires.

Quelle est la plus grande qualité pour être heureux dans votre domaine?

L’habileté à travailler en équipe, autant avec les artistes qu’avec les collègues et collaborateurs. Le conservateur ne réalise jamais ses projets seul. Il doit être un bon chef d’orchestre entre les artistes, mais aussi entre les nombreux professionnels de l’équipe: les archivistes, les restaurateurs, les techniciens, les médiateurs, l’équipe des com, du site web, tous ceux qui contribuent à la réussite du projet. Quand une expo est bien réalisée en amont, tout a l’air fluide en aval pour le visiteur, lequel peut se concentrer sur l’essentiel du propos de l’œuvre.

Pour moi, c’est l’ADN d’un projet satisfaisant, qui me rend heureuse et qui alimente ma passion envers le métier. Il y a quelque chose de très holistique dans cette importance du travail d’équipe: c’est là que les projets deviennent plus grands que nous.

Votre plus grande réussite?

C’est une grande question pour une jeune femme de 35 ans. Et je préfère toujours réfléchir aux réussites du futur plutôt qu’à celles qui sont complétées. C’est la nature du métier: on travaille toujours pour préparer ce qui doit exister. Donc, ma plus grande réussite, c’est ce qui n’existe pas encore parce que je le souhaite… Mais si je voulais être un peu plus pragmatique, je dirais que de travailler à titre de conservatrice du MAC, d’avoir obtenu ce poste, c’est ma plus grande réussite, car c’est l’emploi dont je rêvais pendant mes études.

Un faux pas qui vous a servi de leçon?

Disons que je suis meilleure pour retenir les œuvres des artistes que pour associer des visages à des noms… Alors j’ai certainement commis quelques impairs dans des événements! Mais outre cela, ne pas avoir été capable de dire non avant un certain âge m’a peut-être occasionné mes plus grands faux pas. J’ai dû attendre d’être une mère et d’apprendre à décliner des demandes de ma fille pour comprendre que, parfois, refuser signifie aussi choisir, et que décliner, ce n’est pas toujours l’expression d’une incapacité, mais plutôt l’affirmation d’une priorité, ce qui sous-entend une maturité professionnelle. Dans le cadre de mon métier, choisir est le verbe le plus important: choisir quels artistes je vais considérer pour une exposition, quelles œuvres je vais acquérir selon un ordre de priorités… Choisir, cela implique parfois de dire non. Avoir compris cela plus tôt m’aurait sans doute évité quelques faux pas!

Un bon coup d’un compétiteur que vous auriez aimé faire?

Oh my god! Il y a tant d’acquisitions que j’aurais aimé faire et qui appartiennent aujourd’hui à d’autres collections privées et publiques… Mais, dans votre question, il y a le mot «compétiteur» et moi, je ne parle jamais de «compétiteurs». Je préfère le terme «collaborateurs». Le MAC est une société d’État. Je dois respecter un budget annuel de fonctionnement qu’on attribue aux projets d’expos, aux projets d’acquisition de la collection. Si je ne peux pas réaliser l’acquisition d’une œuvre qui mériterait de se retrouver dans une collection, je préfère référer le projet à un collègue d’une autre institution… parce qu’éventuellement, je pourrai lui demander d’emprunter l’œuvre!

La dernière tendance dans votre secteur?

Je répondrai en permutant le mot «tendance», qui ne fait pas partie de mon vocabulaire, par le mot «orientation», qui sous-entend une attitude proactive. Donc, je parlerai de deux orientations dans les institutions au Québec, pas seulement muséales, mais culturelles à plus large échelle. Premièrement, l’importance de développer nos projets en prenant en considération la diversité culturelle, de réaliser des projets qui sont à l’image d’une ville comme Montréal et d’une province comme le Québec. Deuxièmement, l’importance qu’on doit donner à la médiation et au développement de nouveaux publics, et ce, dès le plus jeune âge. D’où l’importance de nos initiatives en éducation, et aussi de projets ponctuels, plus événementiels, comme les colloques avec les milieux universitaires, des conférences qui permettent d’aborder la question de l’art de manière transversale, des événements qui vont donner l’envie de découvrir le musée.

Et ce qui est définitivement dépassé?

Développer une collection ainsi qu’une programmation d’expositions en se fiant uniquement à ce qu’on maîtrise déjà, à ce qui est acquis, en présentant seulement des artistes reconnus, des formes d’exposition éprouvées…

Sur la scène nationale ou internationale, qui est le «gourou» de l’heure?

Je suis mal-à-l’aise avec ce terme: un gourou, c’est un maître à penser, un directeur de conscience! Dans le milieu de l’art contemporain, on veut être à la pointe des choses et il est sûr qu’on regarde toujours les directeurs des grands événements internationaux avec attention. Selon ma perspective, j’apprécie particulièrement le travail d’un Massimiliano Gioni, qui était directeur de la Biennale de Venise en 2013, et qui travaille avec le New Musuem [de New York]. C’est un individu dont je suis le travail. J’apprécie sa sensibilité et l’intelligence dans les formes d’expositions qu’il développe. C’est quelqu’un avec qui j’ai des affinités de travail. Mais un gourou… non! Les gourous, ceux qui sont vus comme des gourous, ce sont ceux que je ne regarde pas! Pour moi, ce n’est pas le gourou qui est intéressant, mais celui qu’on n’a pas encore nommé collectivement. Surtout que dans un musée d’art contemporain, on a une perspective de chercheurs, de découvreurs… Celui qui m’intéresse, c’est celui dont on entendra parler dans 15 ans.

Nommez une étoile montante qui vous inspire.

J’ai eu la chance de réaliser un parcours à l’UQAM en étant entourée de personnes brillantes qui ont toutes eu leur diplôme à peu près en même temps. Nous nous sommes beaucoup inter-influencées. Parmi ces personnes, je veux nommer Aseman Sabet, commissaire pigiste, chargée de cours et consultante pour la dernière Biennale de Montréal, Katrie Chagnon, conservatrice à la Galerie Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia, Marie-Claude Landry, conservatrice des collections, et Anne-Marie St-Jean Aubre, conservatrice à l’art contemporain, toutes deux au Musée d’art de Joliette, et puis Jonathan Demers, directeur du Musée d’art contemporain des Laurentides.

Quel est le livre qu’il faut lire en ce moment?

En cette année de célébration du 50e d’Expo 67, j’ai eu envie de retourner au magnifique Terre des hommes, publié par Antoine de Saint-Exupéry, pour réfléchir aux principes sur lesquels repose son humanisme. C’est un texte exceptionnel, en particulier le dernier chapitre, Les Hommes. À partir de cette lecture, j’ai récemment développé une exposition intitulée Terre des femmes, que nous allons présenter au printemps, avec des œuvres de deux artistes québécoises marquantes, Dominique Blain et Sylvia Safdie. Leurs œuvres suscitent des questions liées à la spiritualité, au pouvoir, à la diversité, à l’être-ensemble. Ces questions me semblent plus essentielles que jamais.

Les deux principaux conseils que vous donneriez à un jeune qui commence sa carrière?

Le premier, c’est de visiter assidûment. Visiter les ateliers d’artistes, les musées, les galeries d’art universitaires, les centres d’artistes, les galeries privées, de voir de visu, d’expérimenter les œuvres dans un corps-à-corps, d’acquérir cette expérience du regard. Le deuxième, de lire avec appétit. C’est-à-dire de s’intéresser autant aux approches en histoire de l’art, en philo, en esthétique, en sociologie, en études féministes, de ne pas négliger les sujets qui sont transversaux, de demeurer à l’affût de l’actualité, des recherches en art vivant, en danse, en théâtre… Si ces deux conseils sont suivis, nécessairement cela amènera ce jeune à se démarquer, et si je le rencontre, je lui offre un contrat, c’est certain!