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Un observatoire national de la forêt?

Des membres du Centre d’étude de la forêt proposent la création d’une entité indépendante.

Par Pierre-Etienne Caza

22 mars 2021 à 8 h 03

Mis à jour le 16 avril 2021 à 11 h 04

Série En vert et pour tous

Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.

«La gestion des forêts du Québec suscite à nouveau des inquiétudes dans la population», soulignent les signataires d’une lettre ouverte parue dans Le Devoir.Photo: Nathalie St-Pierre

Une soixantaine de chercheuses et chercheurs membres du Centre d’étude de la forêt (CEF) proposent la création «d’un observatoire national de la forêt indépendant du gouvernement et doté d’une vision large des ressources et des fonctions du territoire forestier», écrivent-ils dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir, le 20 mars dernier.

«La gestion des forêts du Québec suscite à nouveau des inquiétudes dans la population, soulignent les signataires. L’apparent parti pris du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) en faveur de la vocation industrielle des forêts laisse à penser que les autres dimensions de l’aménagement forestier sont négligées. Pour rétablir la confiance du public, l’établissement d’une contrepartie indépendante du ministère est nécessaire.»

Une stratégie vivement critiquée

En décembre dernier, le MFFP annonçait sa nouvelle Stratégie nationale de production de bois, rappelle le professeur du Département des sciences biologiques Pierre Drapeau. Cette nouvelle stratégie vise un accroissement du niveau de récolte de la forêt publique basé sur l’hypothèse d’une augmentation future de la production de bois qui résulterait d’interventions sylvicoles. «On ne peut pas penser que produire davantage dans l’avenir nous donne le droit de couper plus maintenant. Ça ne fonctionne pas comme ça», déplore le directeur du CEF.

Pour Pierre Drapeau et ses collègues, cette stratégie «est inquiétante car elle exprime un retour à une vision de la forêt principalement centrée sur la récolte du bois alors que l’aménagement durable de la forêt impose plutôt de planifier autant la forêt que l’on laisse sur pied que celle que l’on récolte. Cette vision est à contre-courant de l’évolution de l’économie forestière des dernières décennies, où l’industrie et les gouvernements sont incités à mettre en œuvre des approches d’aménagement durable de la forêt qui intègrent le maintien des ressources, des processus écologiques et de la biodiversité.»

Une solution parmi d’autres

À la nouvelle stratégie gouvernementale viennent s’ajouter les constats relayés dans un reportage de l’émission Enquête, le 4 mars dernier. Ce dernier mettait en lumière une gouvernance forestière déficiente, une perte de confiance des ingénieurs forestiers envers le MFFP, une absence d’écoute du MFFP à ses propres tables de gestion et de concertation, et une obstruction à la création d’aires protégées dans la forêt publique commerciale, malgré des consensus au sein des communautés autochtones et allochtones, soulignent les signataires de la lettre ouverte. Ce sont là de «vieux démons qu’on pensait en bonne partie disparus depuis le Commission Coulombe (2004) et la promulgation de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (2010)», déplorent-ils.

«L’idée d’un observatoire national de la forêt n’est pas LA solution, mais plutôt UNE solution, explique Pierre Drapeau. Nous estimons qu’il serait bénéfique d’avoir un espace collectif indépendant du gouvernement pour débattre des enjeux liés à la forêt en s’appuyant sur les connaissances scientifiques.»

Le professeur rappelle que le CEF pourrait jouer un rôle important dans la création d’un tel observatoire, car il dispose d’une expertise reconnue en sciences forestières, regroupant plus d’une centaine de chercheuses et chercheurs de 11 universités québécoises, ainsi qu’une relève prometteuse (plus de 450 étudiantes et étudiants et plus de 50 stagiaires postdoctoraux).

Repenser l’industrie forestière?

Le directeur du CEF persiste et signe. «Il faut pousser nos élus à être à la hauteur de nos attentes comme citoyens, et même plus: ils doivent être à la hauteur des attentes qu’ils ont eux-mêmes créées en adoptant des lois et des règlements sur l’aménagement durable du territoire forestier», dit-il.

Ses collègues et lui ne veulent pas stopper l’industrie forestière. «Il ne s’agit pas d’une lutte fratricide entre la conservation de la forêt et son exploitation, insiste-t-il, mais plutôt de la nécessité de réorganiser la structure industrielle forestière. Il est grand temps que l’on envisage une économie qui ne repose plus uniquement sur la forêt naturelle. On peut faire de la sylviculture intensive, de la foresterie de plantation plus productive et écologique. Tout ce que ça prend, c’est de la volonté de la part du gouvernement pour y investir les sommes nécessaires. Le défi est de taille, oui, mais les solutions existent. On en parlait déjà il y a 20 ans en commission parlementaire!»