Depuis une vingtaine d’années environ, l’intérêt pour le monde nordique n’a cessé de croître. Un intérêt nourri à la fois par la prise de parole grandissante des peuples autochtones, par les répercussions des changements climatiques dans cette région de la planète et par l’augmentation des productions culturelles locales. «Dans un contexte où l’ensemble du savoir sur le Nord provient des pays dits du Sud, il est essentiel de produire un savoir en collaboration avec les communautés concernées, en particulier les communautés autochtones, véritables sentinelles de l’Arctique, souligne le professeur du Département d’études littéraires Daniel Chartier. En d’autres termes, comme disait le géographe québécois Louis-Edmond Hamelin, il faut comprendre le Nord par le Nord.»
Spécialiste mondialement reconnu des cultures nordiques, Daniel Chartier est le titulaire, pour les cinq prochaines années, de la nouvelle Chaire UArctic sur l’imaginaire, les perceptions et les représentations de l’Arctique. Développé par le professeur avec l’appui de la direction de l’UQAM, ce projet de chaire a été sélectionné dans le cadre d’un concours organisé en 2024 par l’Université de l’Arctique (UArctic), un réseau international dont l’Université fait partie depuis 2012. L’UArctic chapeaute plus de 200 universités, collèges, chaires et instituts de recherche dans des pays de l’Arctique (Canada, Groenland, Islande, pays scandinaves), qui s’intéressent à la recherche et à l’éducation dans et autour du Nord.
«Créée en 2001 à la demande du Conseil de l’Arctique, l’UArctic joue un rôle clé dans la promotion et la diffusion internationales de la recherche nordique, rappelle Daniel Chartier. Grâce à son programme North2North, elle offre aussi des bourses à des étudiantes et étudiants de différentes universités, notamment de l’UQAM.»
Figurant parmi les 25 chaires du réseau UArctic, la chaire du professeur est l’une des seules portant sur la culture, la littérature et les perceptions de l’Arctique, alors que les autres s’intéressent davantage aux enjeux environnementaux, politiques et géopolitiques. «La programmation scientifique de la Chaire est liée aux projets de recherche de plusieurs étudiantes et étudiants de doctorat et de maîtrise et fait écho à l’expertise de l’UQAM sur le Nord, notamment à travers le Portail de la recherche nordique et arctique qui regroupe 51 membres du corps professoral», indique Daniel Chartier.
Un laboratoire comme tremplin
Dans ses travaux, la Chaire UArctic s’appuiera sur l’infrastructure et l’expertise du Laboratoire international de recherche sur l’imaginaire de Nord, de l’hiver et de l’Arctique, que Daniel Chartier a fondé en 2003 et dont il est le directeur. Le Laboratoire est un lieu de recherche, de documentation, de diffusion et de mise en valeur de l’imaginaire du Nord et de l’hiver. Il vise à comparer entre elles les différentes cultures nordiques, québécoise, autochtones (Nunavik, Nunavut, Groenland), scandinaves (islandaise, norvégienne, danoise, suédoise et féroïenne), finlandaise, russe, alaskaïenne ou canadienne-anglaise. Depuis sa création, il a réuni plus de 700 chercheurs, artistes et écrivains du Nord et de l’Arctique, mais aussi de l’Europe, de l’Inde, de l’Argentine et du Japon, et permis la publication d’une soixantaine d’ouvrages dans 20 langues différentes.
«La Chaire se concentrera spécifiquement sur l’Arctique, alors que le mandat du Laboratoire est plus large. Cela dit, les projets de recherche du Laboratoire contribueront à animer la programmation de la Chaire», observe son titulaire.
Comparer les représentations culturelles
Sur le plan de la recherche, la Chaire UArctic étudiera de manière comparative les représentations culturelles – littérature, cinéma, arts visuels – de l’Arctique, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde nordique. Comme les représentations de l’Arctique proviennent majoritairement de pays non nordiques, Daniel Chartier et son équipe se pencheront aussi sur les représentations dominantes issues de pays comme la France, l’Allemagne ou les États-Unis.
L’un des projets en cours consiste à alimenter un site web hébergé à l’UQAM, qui regroupe de l’information sur des auteurs inuits, notamment du Canada et du Groenland. «Il s’agit du site le plus fréquenté dans le monde sur la littérature inuite, dit Daniel Chartier. Son objectif est de mieux connaître les hommes et les femmes inuits qui ont écrit sur leur culture, leur territoire et leur vision du monde, de découvrir leurs œuvres et de saisir leur perception de l’histoire.» On y trouve des biographies d’écrivains du Nunavik, du Nunavut, du Nunatsiavut et du Groenland, une présentation de leurs œuvres et une chronologie culturelle tirée de leurs écrits.
«Nous souhaitons que ce site devienne une référence permettant de susciter des études sur les auteurs ainsi que de nouvelles publications», remarque le professeur.
Un autre projet concerne la multiplication de traductions d’œuvres provenant de l’Arctique, autochtones notamment, mais aussi d’œuvres issues de pays du Sud en langues autochtones. «Nous avons réalisé deux traductions en français de textes produits par des Aïnous, un peuple autochtone vivant dans le nord du Japon et dans la région orientale de la Russie, note Daniel Chartier. L’une des traductions a d’ailleurs remporté un prix Canada-Japon. Pour un éditeur, il serait difficile de se lancer dans ce type d’initiative, en raison du temps et des ressources que cela requiert.»
Enfin, la Chaire s’intéressera aux représentations plus larges de l’Arctique, comme celles que l’on trouve dans la publicité, la culture populaire, l’industrie touristique et les médias sociaux, qui participent à la construction de l’imaginaire nordique.
Un lieu de formation
La Chaire UArctic entend aussi être un lieu de formation visant l’intégration d’étudiantes et étudiants en tant que jeunes chercheurs, avec une attention particulière portée aux étudiants autochtones. «Nous appuierons les programmes de formation de l’UQAM sur le Nord et l’Arctique ainsi que les stages et échanges d’étudiants avec d’autres universités, relève le professeur. Les projets de recherche principaux seront ceux des étudiantes et étudiants des cycles supérieurs.» Au cours des 10 dernières années, le projet sur l’avenir comparé du livre et de la littérature entre la Norvège et le Québec a déjà permis 30 échanges de personnes étudiantes.
Par ailleurs, la Chaire créera un accès numérique gratuit à des conférences vidéo de chercheurs, d’écrivains et d’artistes de l’Arctique, à des articles scientifiques, à des créations littéraires et à des fiches pédagogiques, tous destinés aux personnes étudiantes et au grand public. «Ce travail de diffusion est essentiel quand on sait qu’il est difficile de trouver des publications concernant l’Arctique sur Internet, remarque Daniel Chartier. De plus, ces outils serviront à la formation dans les cours et contribueront à stimuler la recherche.»
Menace à l’horizon?
Les dirigeants des pays nordiques ont tenu récemment une conférence en Finlande au cours de laquelle ils ont déclaré qu’ils étaient solidaires du Groenland et du Danemark face aux velléités d’annexion du Groenland par l’administration Trump.
«Ce genre de menace peut avoir des répercussions importantes, y compris sur le plan culturel, estime Daniel Chartier. Les États-Unis ayant déjà occupé le Groenland par le passé, les déclarations de Trump ne sont pas aussi farfelues qu’on pourrait le croire, malheureusement. Certes, cela peut provoquer une forme d’angoisse chez les Groenlandais, mais aussi renforcer la volonté de multiplier les liens et les alliances entre les pays de l’Arctique.»