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Un passé millénaire sous la tourbe

Un groupe du baccalauréat en sciences naturelles appliquées à l’environnement visite la Réserve écologique des Tourbières-de-Lanoraie.

Série

En classe!

Par Pierre-Etienne Caza

16 septembre 2024 à 16 h 01

La matinée est fraîche en ce mardi 10 septembre, mais on sent que le soleil percera bientôt les nuages au-dessus de la Réserve écologique des Tourbières-de-Lanoraie. Un autobus scolaire y dépose une vingtaine d’étudiantes et étudiants de première et deuxième année du baccalauréat en sciences naturelles appliquées à l’environnement, accompagnés de la professeure du Département de géographie Michelle Garneau et de l’animateur pédagogique de l’Institut des sciences de l’environnement Sylvain Milette (M.Sc. géographie, 2013).

Le groupe participe à une journée d’intégration sur le terrain dans le cadre du cours Concepts en sciences de l’environnement, donné cet automne par David Dewez (chimie), Michelle Garneau, Tanya Handa (sciences biologiques) et Philippe Lucas-Picher (sciences de la Terre et de l’atmosphère).

La Réserve écologique des Tourbières-de-Lanoraie, située à 15 kilomètres à l’est de Joliette, constitue le premier arrêt de la journée. En après-midi, le groupe se rendra à Saint-Bruno, sur le site de la forêt expérimentale d’Hydro-Québec, pour une présentation par l’agente de recherche Annick St-Denis, puis, tout près, à la Réserve naturelle du Boisé-Tailhandier, où Tanya Handa partagera son expertise.

Le deuxième plus grand complexe tourbeux au Québec

Experte reconnue à l’échelle nationale et internationale sur la question du carbone et des milieux humides, Michelle Garneau mène des recherches sur les tourbières depuis son embauche à l’UQAM, au début des années 2000. Elle collabore notamment au projet de recherche pancanadien Can-Peat – «Les tourbières du Canada comme solutions naturelles aux changements climatiques» –, lequel réunit des chercheuses et chercheurs de six universités canadiennes.

Avant la visite, Michelle Garneau explique au groupe l'importance écologique des tourbières. Photo: Nathalie St-Pierre

«Quelle est la fonction d’une réserve écologique comme celle que nous allons visiter dans quelques minutes?», demande-t-elle au groupe pour briser la glace. «Protéger des espèces menacées?», tente un étudiant. «Tout à fait, c’est pour protéger des espèces à statut précaire et/ou des milieux humides jouant un rôle important pour la biodiversité et la lutte aux changements climatiques», précise la professeure.

«La sphaigne et les autres espèces végétales présentes dans les tourbières agissent comme un filtre naturel pour l’eau. Elles emprisonnent les sédiments et absorbent les polluants.»

Michelle Garneau

Professeure au Département de géographie

La Réserve écologique des Tourbières-de-Lanoraie a été créée en 1994 par le ministère de l’Environnement, souligne Michelle Garneau. «Elle couvre 4,14 kilomètres carrés, ce qui représente à peine 5 % du complexe tourbeux du delta de Lanoraie, le deuxième plus grand complexe tourbeux au Québec après la tourbière du Lac-à-la-Tortue, près de Shawinigan.»

Un héritage de la dernière époque glaciaire

Il y a  21 000 ans, le continent nord-américain était recouvert d’un à deux kilomètres de glace, rappelle la professeure. «Lorsque les glaces ont commencé à fondre, il y a 12 800 ans, le continent, qui était littéralement écrasé par la glace, s’est mis à se soulever lentement. C’est à ce moment qu’est apparue la vallée du Saint-Laurent. L’eau qui s’y est accumulée a formé la mer de Champlain, qui s’étendait de ce qui est aujourd’hui Granby au sud jusqu’à La Tuque au nord. Le réseau hydrogéographique tel que nous le connaissons, avec le fleuve Saint-Laurent et une diversité de petites îles, date d’il y a 7 500 ans.»

Une tourbière ombrotrophe

Située en bordure du fleuve, la région de Lanoraie est composée d’îlots sablonneux entrecoupés de chenaux. Ces chenaux sont formés par des dépressions ou creux topographiques comblés par l’eau et la matière organique, dont la sphaigne. La sphaigne est un type de mousse que l’on retrouve en grande quantité dans les tourbières, lesquelles sont composées à 90 % d’eau, observe Michelle Garneau. «La région de Joliette a longtemps été un lieu de culture du tabac et les cultivateurs pompaient l’eau des tourbières pour irriguer leurs terres», raconte-t-elle.

«Les tourbières atténuent les inondations en absorbant une grande quantité d’eau, puis libèrent de l’eau dans les périodes de sécheresse.»

La spécialiste distingue deux types de tourbières. La tourbière ombrotrophe, comme celle-ci, est une zone humide acide et pauvre en minéraux, alimentée en eau par les précipitations. La tourbière minérotrophe, que l’on retrouve davantage dans les chenaux sableux, abrite des espèces telles que l’érable rouge, l’épinette noire et le thuya.

Puits de carbone et réservoirs d’eau

À certains endroits dans la Réserve écologique des Tourbières-de-Lanoraie, Michelle Garneau a mesuré jusqu’à huit mètres de tourbe dans le sol. «La sphaigne et les autres espèces végétales présentes dans les tourbières agissent comme un filtre naturel pour l’eau. Elles emprisonnent les sédiments et absorbent les polluants», souligne la professeure.

La sphaigne est un type de mousse que l'on retrouve en grande quantité dans les tourbières. Photo: Nathalie St-Pierre

Un mètre carré de mousse de sphaigne de 20 centimètres d’épaisseur peut retenir 72 kilogrammes en eau, en perdre 57 par évaporation et puis tout regagner par la suite lorsqu’il pleut. «Les tourbières atténuent ainsi les inondations en absorbant une grande quantité d’eau, puis libèrent de l’eau dans les périodes de sécheresse.»

«Les tourbières sont des écosystèmes fascinants, car ce sont à la fois des puits de carbone et des réservoirs d’eau importants.»

Les tourbières jouent un rôle crucial dans la lutte aux changements climatiques. «Leur sol est acide, ce qui facilite la décomposition des matières organiques et le carbone ainsi libéré est emprisonné dans la tourbe. C’est ce qui fait des tourbières des écosystèmes fascinants, car ce sont à la fois des puits de carbone et des réservoirs d’eau importants», souligne la chercheuse. Ces milieux constituent également un refuge pour plusieurs espèces d’oiseaux et quelques grands mammifères, qui y trouvent leur compte en nourriture avec les différentes espèces d’éricacées, comme le bleuet, la canneberge et le thé du Labrador.

Rencontre avec le maire

Le maire de Lanoraie, André Villeneuve, arrive sur les lieux pendant l’exposé de la professeure au sujet de l’importance écologique des tourbières. «Vous êtes les futurs gardiennes et gardiens de cette richesse que sont les tourbières. Ce sera à vous de les protéger, et vous avez la chance d’avoir une excellente professeure en la matière», souligne l’élu, venu prendre des photos du site avec son drone pour un projet à venir.

Le maire de Lanoraie, André Villeneuve, et la professeure Michelle Garneau. Photo: Nathalie St-Pierre
Un échantillon à toucher

Le groupe est prêt à franchir les clôtures délimitant l’accès restreint à la réserve. On emprunte un petit trottoir de bois, par les fentes duquel on aperçoit l’eau qui affleure à la surface du sol. «Après les pluies du 9 août dernier, l’eau a monté par-dessus le trottoir, raconte Michelle Garneau.

«Vous êtes les futurs gardiennes et gardiens de cette richesse que sont les tourbières. Ce sera à vous de les protéger, et vous avez la chance d’avoir une excellente professeure en la matière.»

André Villeneuve

Maire de Lanoraie

La nappe phréatique est habituellement à 15 centimètres sous la surface et elle suit la croissance de la sphaigne, qui pousse par son extrémité apicale, soit par le haut», précise-t-elle.

Depuis bientôt 25 ans, Michelle Garneau a pu constater le phénomène d’afforestation dans cette tourbière pourtant ombrotrophe: on y retrouve de plus en plus d’espèces ligneuses à la surface, comme l’érable rouge, le mélèze et le bouleau gris. «Ce phénomène observé dans les tourbières des basses-terres du Saint-Laurent est fort probablement associé aux pressions anthropiques comme le drainage subies par ces écosystèmes», explique-t-elle.

Après une vingtaine de minutes, nous arrivons au bout du petit trottoir de bois. Sylvain Milette demande l’aide d’un étudiant pour retirer une carotte du sol à l’aide d’un outil nommé carottier russe. Les deux hommes descendent du trottoir et se retrouvent les pieds dans l’eau. Ils enfoncent le carottier russe le plus creux possible, à environ 5 mètres dans le sol. Après avoir fait pivoter la tige et son demi-cylindre tranchant, on la remonte, section par section. Sylvain Milette dépose la carotte sur le trottoir. «On peut y voir de l’argile qui a été datée à 7 500 ans par une de mes étudiantes il y a quelques années, précise Michelle Garneau. On aperçoit ensuite les premières strates témoignant de la formation de la matière organique.»

La professeure invite les étudiantes et étudiants à prendre un morceau de l’argile millénaire pour en expérimenter la texture. «C’est comme si on touchait le passé», observe un étudiant, impressionné.

Deux étudiantes expérimentent la texture de l'argile. Photo: Nathalie St-Pierre
Au labo ou sur le terrain ?

Sylvain Milette en profite pour indiquer au groupe qu’il existe plusieurs possibilités de stages au sein de leur programme. «Les stages constituent la meilleure occasion pour découvrir ce que vous aimez en sciences de l’environnement, dit-il. Certaines personnes sont plus à l’aise dans un laboratoire, d’autres sur le terrain. Il n’y a rien de tel qu’essayer pour savoir ce qui vous convient le plus.»

Photo: Nathalie St-Pierre

«Tout au long de votre bac, n’hésitez pas à aller discuter avec vos professeures et professeurs, renchérit Michelle Garneau. Nous sommes toutes et tous spécialisés dans différents domaines et, surtout, nous sommes là pour vous accompagner et pour nourrir vos passions.»