Plusieurs villes dans le monde veulent augmenter leur couvert forestier. Pour cela, elles doivent rentabiliser les sites disponibles pour planter des arbres, y compris sous les fils électriques. «Le défi, souligne le professeur du Département des sciences biologiques Christian Messier, est de réussir à faire pousser des arbres qui atteindront une bonne hauteur tout en évitant les fils.»
Au Québec, c’est Hydro-Québec qui se charge de l’élagage des branches d’arbres s’approchant trop près des fils électriques. «Le problème, c’est que ces interventions créent non seulement des formes pas très jolies, mais également des blessures pouvant avoir un impact sur la stabilité biomécanique de l’arbre, explique le chercheur. D’où la pertinence de contrôler la croissance des arbres.»
Cela fait quelques années que le professeur Messier se penche sur cette épineuse question avec l’équipe de la Chaire de recherche CRSNG/Hydro-Québec sur le contrôle de la croissance des arbres, dont il est titulaire. «Nous avons effectué quelques tests sur des arbres en ville, mais ce n’était pas l’idéal comme conditions d’expérimentation.»
L’automne dernier, ses recherches ont pris un nouveau tournant: son partenaire Hydro-Québec a mis à sa disposition un vaste terrain à Saint-Bruno afin que son équipe puisse créer une forêt de toutes pièces. L’objectif du projet de recherche est de tester différents traitements, ou interventions, visant à guider la croissance des arbres afin qu’ils évitent «naturellement» les fils électriques. «Bien sûr, le terrain mis à notre disposition ne comporte aucun fils, mais nous allons effectuer des simulations», précise le professeur.
L’automne dernier, son équipe a planté 180 arbres. Elle en plantera tout autant cette année et l’an prochain, pour atteindre plus de 500 arbres en 2022. Pour que les résultats de leurs simulations soient généralisables aux espèces plantées dans les grandes villes comme Montréal (laquelle compte environ 200 espèces, précise le spécialiste), l’équipe a choisi six espèces d’arbres présentant des “architectures” de croissance différentes: l’érable argenté, le févier, le catalpa, le chêne à gros fruits, l’orme accolade et le micocoulier.
Photo: Bastien Lecigne
Certains individus serviront d’arbres témoins, c’est-à-dire que l’on ne taillera ni la flèche de l’arbre – sa tige principale –, ni les branches maîtresses, explique Christian Messier. Les autres se verront prodiguer l’une des quatre interventions envisagées: élagage de la flèche et des branches maîtresses; élagage de la flèche et installation de tuteurs métalliques pour attacher les branches latérales afin de les forcer à croître en évitant les fils; ombrage de la flèche avec une espèce de chapeau qui devrait forcer l’arbre à produire deux branches en forme de V qui éviteront les fils électriques et taille de prolongement desdites branches; ou ombrage de la flèche et installation de tuteurs pour les branches maîtresses.
«Il est probable que certaines espèces réagiront mieux à certaines méthodes que d’autres», note le chercheur, qui pose l’hypothèse que les tuteurs métalliques et l’ombrage de la tige principale permettront aux arbres d’avoir une meilleure stabilité biomécanique que l’élagage habituellement pratiqué par Hydro-Québec.
Le suivi de cette forêt originale devrait s’étendre sur les 10 prochaines années. «Nous devrions avoir une bonne idée de ce qui fonctionne le mieux dans 5 ou 6 ans, estime le professeur. Nous pourrons alors transférer ce savoir aux villes intéressées.»
Un autre volet de son étude visera à analyser les effets de l’élagage sur les différents types de services écosystémiques rendus par les arbres, notamment l’atténuation de la lumière, un aspect important dans la réduction des îlots de chaleur en ville, ainsi que la rétention des eaux de pluies par la cime des arbres et l’évaporation et la transpiration de l’eau sur les feuilles par la photosynthèse.
Tout le monde sera gagnant au terme du projet, souligne Christian Messier. «Les villes amélioreront leur couvert forestier avec des arbres en meilleure santé, tandis qu’Hydro-Québec réduira les coûts liés à ses interventions ainsi que le nombre de pannes liées à des bris d’équipements causés par la chute de branches ou d’arbres sur ses lignes de distribution. En plus, la société d’État et la Ville de Saint-Bruno hériteront d’une belle forêt!»