Après les chambres d’adolescents, les soirées de tango et autres territoires insolites, la chargée de cours de l’École des médias Caroline Hayeur explore cette fois-ci un micro-paysage filmé la nuit. Réalisé en collaboration avec sa complice D. Kimm, artiste multidisciplinaire à l’origine de la compagnie Les Filles électriques et du Festival Phénoména, le projet Un Jardin la nuit, présenté à la Cinémathèque de Montréal, est à la fois une exposition de photos, une installation visuelle et sonore et une invitation à découvrir les secrets d’une nature familière quand le jour est tombé et que s’activent les créatures de l’obscurité.
Pendant cinq ans, les artistes ont filmé de nuit avec des caméras infrarouges installées dans la campagne près du village de Montcerf, dans les Laurentides, et dans un jardin de Montréal. Un chat ou un raton-laveur viennent grignoter les restes d’un repas abandonné dans le jardin, des chevreuils, un lapin, un renard passent dans le cadre ou regardent la caméra, une fleur s’ouvre et se referme, toutes sortes de bestioles s’agitent entre les feuilles du potager, des vêtements accrochés sur la corde se balancent dans la l’air nocturne, un personnage étrange traverse le paysage…
Les photos présentées dans le hall de la Cinémathèque sont autant d’instantanés de ces moments fugaces. Chacune donne l’impression de surprendre une activité qui reste en général dérobée à nos regards d’êtres diurnes. Et révèle les charmes du jardin, ce territoire aménagé, composé, habité de ses plantes, de ses accessoires, de ses bestioles. De toutes ces images baignées de différents tons de gris se dégage une beauté étrange et chatoyante.
Il ne faut pas manquer la suite de l’exposition dans la salle Norman-McLaren. Ici, les mêmes images s’animent dans une installation visuelle et sonore immersive où le regard amusé de Caroline Hayeur se fait encore plus présent. À côté de scènes poétiques peuplées de lucioles et de fleurs qui s’épanouissent ou se fanent avec les saisons, un petit singe mécanique joue du tambour, des bêtes creusent leur trou, des esprits malicieux s’invitent dans le jardin. La trame sonore onirique de Guido Del Fabbro accompagne le tout de manière réjouissante.
Caroline Hayeur, qui offre un entretien dans le cadre du beau livre Agence Stock Photo. Une histoire du photojournalisme au Québec, publié récemment sous la direction de Sophie Bertrand (M.A. muséologie, 2022) et Jocelyne Fournel (B.A. design graphique, 1978), est photographe depuis le début des années 1990. Elle s’intéresse, en particulier, aux lieux et aux formes de socialisation. Le mouvement, la danse et le geste font aussi partie de ses thématiques récurrentes, avec des projets sur la scène rave de Montréal (1997) ou sur les danses populaires des différentes communautés du Québec (2007). Telle une anthropologue visuelle, elle adopte une démarche qui peut être qualifiée d’ethnologie du quotidien, comme on a pu le voir dans Humanitas (2010), Adoland (2014) ou Radioscopie du dormeur (2022-24).
Depuis 2003, elle a ajouté à sa pratique les images animées et la dimension sonore, à travers plusieurs projets en collaboration, tels que Dans la forêt (2010), Abrazo (2016) et Le Poids du lieu – chorégraphie virtuelle en trois temps (sélection officielle, meilleur court métrage canadien, FIFA 2024).
L’exposition Un Jardin la nuit est présentée à la Cinémathèque jusqu’au 12 février 2025.