Depuis l’automne dernier, les universités font des représentations auprès du gouvernement sur la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ). À l’instar du Bureau de coopération universitaire (BCI), du milieu communautaire et de celui des affaires, la rectrice Magda Fusaro avait alors joint sa voix à celles qui réclamaient des assouplissements au projet de modification du programme. Alors que le dossier n’est toujours pas réglé, l’UQAM et les autres universités sont remontées au créneau ces derniers jours, afin d’empêcher l’adoption de mesures qui auraient des conséquences dévastatrices pour les étudiants et professeurs étrangers qui fréquentent nos institutions et souhaitent s’établir au Québec. Une lettre du BCI a d’ailleurs été envoyée le 16 juin à Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration et responsable de la réforme (il a été remplacé par la ministre Nadine Girault (M.B.A., 2003) lors du remaniement ministériel du 22 juin).
Au cours des dernières semaines, des étudiants étrangers universitaires ont mis en lumière les efforts qu’ils ont consentis afin de venir s’établir ici. «J’ai tout quitté pour réaliser un projet de vie réellement concret et je risque de tout perdre… C’est bien plus qu’un rêve brisé, c’est le projet de toute une vie envolé», affirme Amandine Delmiche, étudiante au premier cycle à l’UQAM. Ces étudiants sont inquiets devant la remise en question de l’un des incitatifs qui leur avaient été présentés pour venir étudier au Québec, soit la possibilité de bénéficier d’une voie accélérée vers la résidence permanente. La situation est d’autant plus préoccupante que cette remise en question surgit après leur installation à Montréal et une fois leur parcours académique amorcé.
Le 28 mai dernier, un projet de Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration au Québec a été publié dans la Gazette officielle du Québec. Ce projet de règlement modifie les conditions applicables à la sélection des ressortissants étrangers dans le cadre du PEQ. La liste des domaines de formation admissibles au programme, tant décriée l’automne dernier, est disparue, mais, pour l’UQAM, les nouvelles modifications posent trois problèmes majeurs: l’absence de droits acquis pour les étudiants étrangers en cours d’études (qui ont, dans bien des cas, été attirés dans nos institutions avec la promesse de pouvoir bénéficier du PEQ); des exigences trop sévères en matière d’expérience de travail (qui passe de 0 à 12 mois à temps plein pour les étudiants et de 12 à 36 mois pour les professeurs et professionnels de la recherche); et un nouveau délai de traitement trop long(de 20 jours ouvrables à 6 mois).
Droit acquis
Le projet de règlement prévoit un droit acquis seulement pour les étudiants étrangers diplômés qui auront présenté une demande de Certificat de sélection du Québec (CSQ) dans le cadre du PEQ avant la date d’entrée en vigueur du règlement. Autrement dit, aucun droit acquis n’est prévu pour les milliers d’étudiants étrangers qui seront toujours aux études lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle réforme. «Si l’on tient compte uniquement de l’UQAM, cela signifie que plus de 4000 étudiants étrangers risquent de se voir imposer les nouvelles règles du jour au lendemain, alors qu’ils ont été invités à s’inscrire à notre université sur la base des conditions actuelles du PEQ», souligne la rectrice Magda Fusaro.
En novembre 2019, dans le cadre des discussions entourant la première mouture de la réforme du PEQ, aujourd’hui retirée, le ministre avait pourtant reconnu la pertinence d’accorder une clause de droits acquis aux étudiants étrangers ayant débuté leur formation au Québec. Selon l’UQAM, la même logique devrait prévaloir aujourd’hui. Cela est d’autant plus vrai que le projet de règlement prévoit une clause de droits acquis complète pour les travailleurs étrangers.
Des exigences trop sévères en matière d’expérience de travail
Le projet de règlement augmente également de manière trop importante l’expérience de travail requise pour pouvoir présenter une demande de CSQ dans le cadre des deux volets du PEQ.
En ce qui concerne le volet «Travailleur étranger temporaire», les travailleurs étrangers devront démontrer 36 mois d’emploi à temps plein au Québec au lieu des 12 mois actuellement requis. Cette nouvelle exigence pourrait avoir de sérieuses répercussions sur l’attraction des futurs ressortissants étrangers appelés à travailler dans le milieu universitaire québécois. L’UQAM, comme les autres universités, est un grand employeur de ressortissants étrangers: en plus des étudiants, qui ont le droit de travailler sur le campus, les établissements universitaires embauchent des centaines de professeurs, de stagiaires postdoctoraux et de professionnels de recherche. À l’UQAM, ces trois catégories de travailleurs représentent plus de 200 personnes.
Aucune autre province canadienne n’exige une expérience de travail de plus de 12 mois pour être admissible à un programme d’immigration économique en tant que travailleur qualifié. De plus, le programme fédéral des travailleurs qualifiés (Entrée express) n’exige qu’une expérience de travail de 12 mois pour être admissible. Si les conditions sont plus exigeantes au Québec, il y a un risque que plusieurs futurs travailleurs qualifiés étrangers fassent le choix de s’établir ailleurs au Canada afin d’accéder plus rapidement et plus facilement à la résidence permanente. L’attraction et la rétention des professeurs et du personnel de recherche de haut niveau pourraient ainsi être affectées.
Pour ce qui est du volet «Diplômé du Québec», les étudiants étrangers diplômés devront démontrer 12 mois d’emploi à temps plein au Québec, alors qu’actuellement aucune expérience de travail n’est exigée de leur part. Dans un mémoire présenté en mars dernier par l’UQAM dans le cadre de la consultation sur le PEQ, l’Université mentionnait qu’elle ne croyait pas nécessaire d’exiger une expérience d’emploi pour les étudiants étrangers diplômés.
Si une expérience de travail est malgré tout jugée nécessaire pour les diplômés, l’UQAM, à l’instar du BCI, estime qu’on devra prendre en considération le fait que ces personnes ont séjourné pendant plusieurs années au Québec dans le cadre de leurs études et qu’elles connaissent bien le Québec, ce qui milite en faveur d’un assouplissement des critères de qualification à leur égard. À titre d’exemple, on pourrait reconnaître leur expérience de travail à temps partiel acquise pendant leurs études ainsi que leur expérience de stage crédité en milieu de travail. Pour Lilia Desmeules, étudiante aux cycles supérieurs à l’UQAM: «À la fin de ma maîtrise, cela fera sept ans que j’étudie à Montréal. Sept années qui comprennent également des emplois étudiants, des stages et même un projet d’intervention de maîtrise. Ces expériences sont des engagements concrets et prouvent bien mon dévouement envers le Québec.»
Un nouveau délai de traitement trop long
Cette nouvelle réforme prévoit aussi que le délai maximum de traitement des demandes présentées dans le cadre du PEQ passera de 20 jours ouvrables à 6 mois. Cela signifie qu’un étudiant étranger diplômé de l’UQAM pourrait devoir attendre jusqu’à 18 mois pour recevoir son CSQ (12 mois d’expérience de travail auxquels s’ajoute le nouveau délai de traitement de 6 mois). Dans le cas des travailleurs étrangers, ces derniers pourraient devoir patienter jusqu’à 42 mois avant de recevoir leur certificat (36 mois d’expérience de travail auxquels s’ajoute le nouveau délai de traitement de 6 mois).
Alors que le PEQ se veut, selon les termes du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), «un programme accéléré de sélection des travailleurs qualifiés», il serait désormais difficile, avec des délais d’attente pouvant aller jusqu’à plus de 3 ans, de le présenter comme une voie rapide vers la résidence permanente au Canada.
Ajustements proposés
Dès l’annonce de la nouvelle version du PEQ, la rectrice et plusieurs membres de la Direction ont multiplié les démarches afin d’identifier les points problématiques eu égard à la réalité des étudiants, professeurs et professionnels de recherche étrangers de notre institution, mais également des autres universités.
Dans ses représentations auprès du Ministère, l’UQAM insiste pour l’inclusion d’une clause de droits acquis qui permettra à tous les étudiants étrangers déjà inscrits à un programme universitaire québécois et à ceux qui seront inscrits à l’automne 2020 de ne pas être visés par les nouvelles règles.
Elle croit qu’on doit continuer à exiger des futurs travailleurs étrangers temporaires de cumuler une expérience de travail de 12 mois à temps plein pour pouvoir présenter une demande, au lieu de rallonger cette expérience à 36 mois.
L’UQAM appuie également la création d’un programme de sélection spécifique pour favoriser l’attraction et la rétention des professeurs universitaires de calibre international. Ce programme permettrait de réserver des CSQ pour ces professeurs, à l’image du programme pilote du MIFI qui permet de réserver jusqu’à 550 CSQ annuellement pour les travailleurs étrangers de l’industrie de l’intelligence artificielle et des technologies de l’information.
Les modifications au PEQ devraient aussi, selon l’Université, permettre aux étudiants étrangers qui ne sont pas en mesure de cumuler une expérience de travail de 12 mois de pouvoir simplement présenter une offre d’emploi permanent afin d’être admissible à déposer une demande de CSQ. Les stages crédités en milieu de travail ainsi que l’expérience de travail à temps partiel de ces étudiants devraient également être reconnus.Finalement, comme les autres universités, l’UQAM souhaite qu’on maintienne le délai maximum de traitement des demandes présentées dans le cadre du PEQ à 20 jours ouvrables.
«Avant d’être une voie accélérée vers la résidence permanente, le PEQ, pour moi, c’est surtout une promesse, une manière de valoriser mon expérience au Québec et de m’accueillir les bras ouverts à la fin d’un long processus d’immigration», note Lilia Desmeules.
Depuis que la première réforme du PEQ a été proposée, la rectrice Magda Fusaro, une ancienne étudiante de l’UQAM venue de l’étranger, plaide pour que sa société d’accueil demeure ouverte et accueillante. «Les nouvelles règles vont à l’encontre non seulement de notre mission d’accessibilité et d’ouverture au monde, mais également des objectifs d’internationalisation que le gouvernement lui-même a donné aux universités», déclarait-elle en novembre dernier. Quand le gouvernement a accepté de suspendre sa réforme, la rectrice s’est réjouie que les voix qui s’étaient élevées en faveur du maintien de l’ouverture du programme aient été entendues. «Encore aujourd’hui, l’UQAM espère que le gouvernement écoute son appel et celui, clair et concerté, de toutes les universités québécoises en vue d’un PEQ plus ouvert», conclut Magda Fusaro.