Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.
Le titre est certes rigolo, mais le sujet est tout à fait sérieux. «Le but était d’abord de prendre la juste mesure de toute l’infrastructure nécessaire à la gestion communautaire de nos déjections individuelles», explique le chargé de cours du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM Scott McKay (M.Sc. sciences de l’environnement, 1993) à propos de son plus récent ouvrage intitulé L’aventure du caca (Somme toute).
C’est à une véritable prise de conscience individuelle et collective que nous convie l’auteur dans cet essai qui se lit d’une traite. «J’ai eu beaucoup de plaisir à le rédiger et à fouiller différents aspects auxquels je ne m’étais jamais attardé, notamment l’histoire des réseaux d’égouts, ainsi que celle de la microbiologie», raconte Scott McKay, un spécialiste de l’eau et des sciences de l’environnement qui a été chef du Parti vert du Québec de 2006 à 2008, député du Parti québécois de 2008 à 2014 et qui est aujourd’hui membre additionnel du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE).
Le premier réseau d’égouts
La petite histoire de l’hygiène publique s’amorce à Londres, nous apprend Scott McKay. De la théorie des miasmes à la découverte des bactéries, en passant par les épidémies de choléra et les premiers canaux de drainage des eaux usées, les esprits évoluent. Au milieu du 19e siècle, les autorités anglaises reconnaissent la nécessité de se doter d’un réseau d’égouts. Ces travaux d’envergure, qui s’échelonnent entre 1858 et 1875, sont réalisés sous la gouverne de l’ingénieur Joseph Bazalgette, considéré comme l’inventeur de l’égout moderne.
Fait intéressant, le réseau d’égouts montréalais est implanté en 1867, «près de 30 ans avant que Paris n’enclenche une démarche semblable et quelque 40 ans avant que Toronto ne se dote d’un réseau comparable», souligne l’auteur, faisant référence au passage à l’ouvrage Question d’égouts (Boréal), publié en 2006 par le professeur du Département d’histoire Robert Gagnon.
Pendant longtemps, les réseaux d’égouts ont transporté les eaux usées directement dans les cours d’eau, les autorités choisissant des endroits éloignés des centres-villes pour déverser ces contenus nauséabonds. «Au Québec, il a fallu attendre la mise en place du Programme d’assainissement des eaux, en 1978, pour arrêter cette pratique nocive pour l’environnement», rappelle Scott McKay. Le revirement a été spectaculaire. L’implantation systématique d’usines d’épuration aura permis de passer, en moins de 25 ans, de 98 % d’eaux usées déversées sans traitement à 98 % d’eaux traitées. «Et le 2 % d’eaux usées non traitées, qui est le lot de petites municipalités rurales, continue de diminuer», se réjouit le spécialiste.
Surverses par milliers
Là où le bât blesse, c’est au niveau de la conception de nos réseaux d’égouts. «La majorité des égouts des villes sont combinés, c’est-à-dire qu’ils recueillent à la fois les eaux usées domestiques et les eaux de pluie», explique-t-il. Or, lors des épisodes de pluies torrentielles, qui tendent à se multiplier avec les changements climatiques, les usines d’épuration sont submergées. «Il faut alors détourner les eaux usées et faire des surverses, c’est-à-dire envoyer les eaux usées non traitées directement dans le fleuve Saint-Laurent. Il ne s’agit pas d’incidents isolés: au Québec, on en compte des dizaines de milliers par année – il y en a eu 62 000 en 2017 – et la situation risque d’empirer. Voilà pourquoi il faut revoir la façon de gérer les eaux de pluie.»
«Aujourd’hui, on s’aperçoit que pour trouver des solutions aux surverses, il faut également faire appel à des urbanistes, à des architectes paysagistes et, surtout, aux citoyens, car nous pouvons tous apporter notre contribution.»
Scott McKay
Chargé de cours et auteur de L’aventure du caca
Depuis Bazalgette, les égouts ont toujours été la chasse gardée des ingénieurs civils, souligne Scott McKay. «Aujourd’hui, on s’aperçoit que pour trouver des solutions aux surverses, il faut également faire appel à des urbanistes, à des architectes paysagistes et, surtout, aux citoyens, car nous pouvons tous apporter notre contribution.»
La ville éponge
On peut agir sur la quantité d’eau de pluie qui est acheminée dans les réseaux d’égouts en participant à la mise en place de la ville éponge. «Le principe est simple: on laisse le sol absorber l’eau de pluie là où elle tombe, c’est-à-dire sur nos terrains, nos rues, nos ruelles, ou alors on la stocke temporairement avant de la relâcher en temps opportun ou de la laisser s’évaporer», explique l’auteur.
Il cite plusieurs initiatives pour y parvenir, notamment les jardins pluviaux (ou les saillies de trottoir drainantes), les toits verts, les pavages perméables, les tranchées d’infiltration, les systèmes de rétention souterrains, les barils de pluie et les ruelles bleues-vertes. Il vaut la peine de regarder sur YouTube le cas du water square de la place Benthemplein, à Rotterdam. Celui-ci comporte trois grands bassins, qui deviennent par temps sec un skatepark, un terrain de basket et un amphithéâtre. «L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal en a aménagé un sur l’avenue du Mont-Royal, à l’intersection de la rue Mentana», souligne l’auteur.
Les fatbergs
Pour préserver l’intégrité de nos réseaux d’égouts, il faut aussi viser la responsabilisation individuelle. «On a tous entendu des légendes urbaines à propos de monstres vivant dans nos égouts. Il y en a effectivement, confirme Scott McKay, mais c’est nous qui les alimentons avec ce que nous jetons dans la cuvette des toilettes.»
Les fatbergs, ces masses figées faites de matière solide non biodégradables, peuvent être terrifiantes. À Londres, en 2013, on en a retiré un de la taille d’un autobus et un autre, encore plus impressionnant, de 130 tonnes réparties sur 250 mètres, que l’on a dû découper en morceaux afin de l’extraire des égouts!
«Avec la COVID-19, les employés des villes ont observé une recrudescence des colmatages d’égouts et de défectuosité des pompes à cause des lingettes dites flushables, mais qui en réalité ne se décomposent pas, illustre l’auteur. Avec les gras de cuisson, les huiles alimentaires, les mouchoirs – qui se décomposent mal – les cheveux, la soie dentaire et les couches souillées – oui, oui, ça arrive plus souvent qu’on pense – cela fait un mélange catastrophique.»
Dans la cuvette, on devrait s’en tenir au papier de toilette, à l’urine et aux excréments, insiste-t-il. «Il ne s’agit pas de culpabiliser les gens, mais il y a clairement un laisser-aller et une méconnaissance des impacts de nos gestes quotidiens.»
Éliminer autrement
Dans le dernier chapitre de son essai, Scott McKay s’attarde sur les procédés (complexes) de traitement des eaux usées et note le criant déficit d’entretien de nos réseaux d’égouts. «Si en Occident, avec les moyens financiers dont nous disposons, nous n’arrivons pas à maintenir nos infrastructures, imaginez le problème pour la moitié de la population mondiale qui n’a pas accès à des installations sanitaires sécuritaires – parmi laquelle 671 millions de personnes qui défèquent encore en plein air. N’y aurait-il pas lieu de remettre en question le sacro-saint principe voulant qu’on utilise une eau si précieuse pour simplement transporter nos excréments?»
Il est impératif de trouver des solutions moins coûteuses, note-t-il en soulignant le travail de la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a lancé le défi de réinventer les toilettes. «Il faut développer des toilettes pouvant composter les excréments et fonctionnant avec des énergies renouvelables, c’est-à-dire ne nécessitant aucune connexion à un réseau d’électricité, d’eau ou d’égouts, explique-t-il. Sur une vidéo, on peut voir Bill Gates boire de l’eau produite à partir d’excréments humains. Je ne suis pas certain que l’on soit rendu là socialement, mais il faudra bien trouver des solutions…» Avis aux inventeurs en herbe !