Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.
Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.
Le 26 octobre dernier, le professeur du Département de sociologie et de l’Institut des sciences de l’environnement Éric Pineault (Ph.D. sociologie, 2003) a présenté un mémoire dans le cadre de la deuxième partie des travaux du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur le projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel Énergie Saguenay. Après avoir été annulés en mars 2020 à cause de la pandémie, les travaux du BAPE ont débuté en septembre dernier.
Proposé par GNL Québec en collaboration avec Énergie Saguenay, le projet vise à exporter du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés mondiaux dès 2026. Une usine de liquéfaction serait construite à Saguenay dans l’objectif de refroidir le gaz naturel extrait par fracturation provenant de l’Ouest canadien.
Dans son mémoire intitulé Les enjeux économiques du projet GNLQ, Éric Pineault, un économiste spécialiste de l’environnement et des industries extractives, présente des perspectives sombres sur le marché du gaz naturel ainsi que des débouchés incertains pour le GNL produit à Saguenay. «Au moment de la mise en marché du GNL saguenéen, son coût de production sera plus élevé que la moyenne, affirme le professeur. Le produit sera plus cher à produire en raison de la distance entre le point d’extraction du gaz, situé dans l’Ouest canadien, et le point de liquéfaction, soit l’usine à Saguenay.»
En 2026, plusieurs sources de production en Amérique du Nord seront déjà à l’œuvre. Des projets similaires existent aussi en Australie et au Moyen-Orient. «Ces usines sont construites près des zones d’extraction du gaz, ce qui fait en sorte qu’elles peuvent produire du GNL à plus faible coût, poursuit Éric Pineault. Prenons seulement l’exemple des usines du golfe du Mexique, qui fabriquent du GNL à partir du pétrole. Ce sous-produit de l’industrie pétrolière est liquidé sur les marchés mondiaux à très bas prix.»
En plus d’être non compétitif sur le marché américain, le GNL saguenéen aura aussi le désavantage d’être loin des marchés asiatiques, principale cible de ses promoteurs. L’Europe se tournera-t-elle vers le GNL québécois pour combler ses besoins d’énergie? «Rien n’est moins sûr, répond Éric Pineault. Il est difficile de prévoir quels sont les volumes de gaz dont l’Europe aura besoin, mais les Européens sont en train de transformer leur système énergétique dans l’objectif de se débarrasser des hydrocarbures.»
« Les Européens sont en train de transformer leur système énergétique dans l’objectif de se débarrasser des hydrocarbures.»
Éric Pineault,
Professeur à l’Institut des sciences de l’environnement
Le processus de transition énergétique est entamé en Europe, souligne le professeur. «Il y a là-bas un désir fort de fermer les centrales nucléaires et d’éliminer les centrales de charbon, puis de miser davantage sur les énergies renouvelables. Ce processus ne va que s’accélérer au cours des prochaines années.»
Quant à l’argument défendu par ses promoteurs voulant que le projet GNL Québec attire des clients intéressés par un GNL de plus faible intensité en émissions de CO2, Éric Pineault n’y croit pas. «Aux yeux d’un client, la qualité compensera-t-elle le coût plus élevé de ce GNL? En 2026, GNL Québec sera-t-elle réellement la seule usine au monde à fournir ce type spécifique de gaz?» À l’heure actuelle, observe le chercheur, il n’existe pas d’acheteur potentiel connu et aucun contrat de vente n’a encore été signé. «Alors on ne sait toujours pas si la Chine achètera notre GNL.»
Le GNL et les énergies renouvelables
L’industrie du gaz propose de faire du GNL une énergie de substitution en remplacement de carburants plus polluants tels que le pétrole. Elle présente le GNL comme une solution transitoire, en attendant le développement des énergies renouvelables. Selon Éric Pineault, si le gaz naturel était, jadis, une énergie de substitution, ce n’est plus le cas aujourd’hui. «Il y a 10 ans, rappelle le professeur, l’Allemagne convertissait ses centrales thermiques au charbon en centrales au gaz. Désormais, les énergies renouvelables remplacent le charbon.»
La proposition de GNL pourrait nuire au développement des énergies renouvelables et en freiner le déploiement, avertit le professeur. «La course pour remplacer le charbon se fait désormais entre l’éolien, le solaire et le gaz.»
«La course pour remplacer le charbon se fait désormais entre l’éolien, le solaire et le gaz.»
Éric Pineault,
Professeur à l’Institut des sciences de l’environnement
En conclusion, Éric Pineault plaide pour une meilleure utilisation de l’hydroélectricité. «En refroidissant et en comprimant le gaz issu de l’Ouest du Canada, l’usine de GNL consommerait en électricité entre 500 et 550 mégawatts par année, soit le tiers de ce que produit le complexe hydroélectrique de la Romaine, avance-t-il. Pour une seule usine, c’est énorme!» Chaque kilowatt propre généré au Québec est précieux dans un contexte de transition énergétique, ajoute-t-il.
De nombreux mémoires déposés devant le BAPE (dont plusieurs provenant de membres de la communauté universitaire: voir encadré) mettent de l’avant le caractère délétère du projet sur le plan environnemental et mettent en doute sa viabilité économique. Est-ce que cela mènera à son rejet? «Mon inquiétude, c’est que le gouvernement, qui se montre tout de même favorable, décide d’injecter de l’argent dans le projet pour des raisons politiques comme le développement régional et la création d’emplois, confie Éric Pineault. S’il investit, les investisseurs privés emboîteront le pas et le projet pourrait alors voir le jour», craint-il.
Devant la forte mobilisation des citoyens, Éric Pineault demeure toutefois optimiste. Durant les séances, les citoyens et presque tous les experts représentant différentes organisations se sont opposés au projet, remarque le professeur, qui suit la majeure partie des travaux en ligne. Il y a beaucoup de débats, un grand scepticisme. Les voix qui appuient sont rares…»
Audiences très courues
Le BAPE a reçu plus de 3000 mémoires portant sur le projet GNL, un record! Depuis la reprise des travaux, le 26 octobre dernier, les séances se déroulent en mode virtuel seulement. Elles se terminent le 4 novembre. On peut voir les webdiffusions des séances en cliquant ici. Les commissaires doivent remettre leur rapport et leurs recommandations au gouvernement Legault au plus tard le 13 janvier prochain.
Plusieurs membres de la communauté uqamienne ont déposé des mémoires. Ainsi, le mémoire du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec a été présenté devant la commission d’enquête le 2 novembre dernier par la chargée de cours de l’Institut des sciences de l’environnement et membre du Comité de coordination du Collectif Marie Saint-Arnaud. Le Collectif regroupe plus de 150 scientifiques de différents champs disciplinaires, dont plusieurs, y compris Éric Pineault, proviennent de l’UQAM.
Lucie Sauvé, professeure associée au Département de didactique et chercheuse au Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE), a déposé une lettre publiée en 2019 dans Le Devoir et endossée par 160 signataires. À la fin de la première partie des travaux qui se sont déroulés en septembre dernier, Lucie Sauvé et Marie-Saint-Arnaud ont également rédigé une lettre questionnant l’impartialité et l’intégrité du processus de la consultation publique. La lettre a été cosignée par neuf autres membres du Collectif. Marc Durand, professeur retraité du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, a déposé un mémoire sur les risques technologiques liés à la production du gaz par la fracturation du shale. Le doctorant en sociologie Colin Pratte, chercheur associé à l’Institut de recherche et d’information socioéconimique, a cosigné le mémoire GNL Québec: un projet risqué qui retarderait la transition énergétique. Le Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM (SPUQ), représenté par la professeure de l’École des arts visuels et médiatiques Susan Turcot, l’Association des étudiants et étudiantes aux cycles supérieurs en sciences de l’environnement ainsi que Yves Baudouin, professeur au Département de géographie, et Caroline Roger, directrice du Service des partenariats et du soutien à l’innovation, ont également soumis des mémoires. On peut les consulter en cliquant ici.