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Chenilles espionnes

Près de 500 élèves participent à un projet de science citoyenne visant à mieux comprendre l’écologie urbaine.

Par Pierre-Etienne Caza

8 juin 2020 à 11 h 06

Mis à jour le 19 avril 2021 à 10 h 04

Série En vert et pour tous

Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.

Les sites peuplés d’arbres d’espèces différentes sont-ils plus résistants aux insectes défoliateurs? Depuis 2018, le professeur du Département des sciences biologiques Alain Paquette et les étudiants de son laboratoire tentent de le vérifier en utilisant de fausses chenilles en pâte à modeler en guise d’insectes défoliateurs. Ils ne sont plus seuls dans l’aventure: entre le 3 et le 7 juin derniers, près de 500 élèves de 5e et 6e année primaire ont installé 20 fausses chenilles chacun dans un arbre à proximité de leur domicile.

«Après un projet-pilote l’an dernier avec une centaine d’enfants, l’activité devait avoir lieu à plus grande échelle cette année, avec les enseignantes et leurs élèves dans les écoles, raconte Alain Paquette. Quand la COVID-19 nous est tombée dessus, j’ai proposé d’en faire un projet scolaire en confinement.»

Une vingtaine d’enseignantes et enseignants de cinq commissions scolaires de la grande région métropolitaine ont accepté de participer au projet Chenilles espionnes avec leurs élèves, malgré les obstacles de l’enseignement à distance. Des dizaines d’autres enseignants tentent l’expérience avec leurs propres enfants, à titre d’activité familiale, dans le but de la réaliser l’an prochain avec leur classe. «C’est tout de même formidable, car nous avons près de 10 000 fausses chenilles sur le terrain, ce qui nous permettra de récolter une foule de données intéressantes», se réjouit le professeur, qui est également chercheur au Centre d’étude de la forêt (CEF).

Installations des chenilles

Pandémie oblige, les scientifiques en herbe ont reçu par la poste une quantité de pâte à modeler suffisante pour fabriquer 20 chenilles, ainsi que du fil de fer pour les attacher. «Nous leur avons fait parvenir les instructions par courriel et ils peuvent également se référer aux vidéos sur le site web du projet», note Alain Paquette.  

Photo: Nathalie St-Pierre

Après avoir confectionné leurs 20 chenilles, les élèves ont choisi un arbre feuillu dans leur cour ou à proximité de leur domicile. Ils devaient ensuite sélectionner 4 branches pointant dans 4 directions différentes et y installer 5 chenilles sur chacune.

La fille d’Alain Paquette, Félicie Colin, participe au projet avec son enseignante. Elle a décidé d’installer ses chenilles sur un pommier dans la cour de la maison familiale. Il lui suffit maintenant d’attendre deux semaines avant d’aller récupérer les fausses chenilles pour y relever les marques de prédation.

Transmission des observations

«L’objectif du volet en écologie urbaine est de tester le contrôle que les prédateurs exercent, ou pas, sur les insectes défoliateurs», explique Alain Paquette. Est-ce qu’un arbre isolé ou entouré d’arbres de la même espèce est moins bien protégé? En effet, on peut penser qu’un arbre est plus sujet à la défoliation par les insectes nuisibles (représentés par la chenille) s’il ne profite pas d’un habitat diversifié pouvant héberger des prédateurs de la chenille comme des oiseaux ou des insectes. Voilà le type de questions auxquelles le chercheur compte répondre, tout comme Émilie Secours, qui y consacre son projet de maîtrise en sciences de l’environnement sous sa direction.

«Au bout de deux semaines, les élèves compteront le nombre de chenilles qui auront été attaquées et ils devront identifier correctement les marques de prédation», poursuit Alain Paquette. Celles-ci peuvent provenir d’oiseaux, de petits mammifères comme des écureuils, d’araignées ou encore de guêpes parasites. «Ces dernières viennent déposer leurs œufs dans la chenille. Certains enfants sont fascinés tandis que d’autres sont dégoûtés, parce que lorsque la larve de la guêpe éclot, elle mange la chenille de l’intérieur. D’autres larves prennent le contrôle de la chenille qui devient alors comme un zombie au service de la larve parasite!»

Photo: Nathalie St-Pierre

Une fois ces observations effectuées, les élèves les inscriront dans le formulaire prévu à cet effet sur le site web du projet Chenilles espionnes. «Avec Google Maps, ils peuvent nous indiquer les coordonnées précises de leur arbre. Avec un système d’information géographique, nous pourrons calculer le nombre d’arbres présents autour de celui qui a servi à l’expérimentation et noter si ce dernier se trouve, par exemple, dans une zone densément bâtie ou un îlot de chaleur. Nous analyserons si ces variables ont eu une incidence sur la quantité de prédateurs l’aidant à se défendre contre les insectes défoliateurs.»

Alain Paquette compte déployer à nouveau le projet au printemps 2021. «Le volet scolaire sera assurément reconduit, mais on peut aussi penser que des familles voudront s’approprier l’activité, car elle est facile à réaliser. Les camps de jour pourraient également embarquer dans l’aventure. Nous devrons être prêts à recevoir encore plus de données, mais ce sera un beau problème!»

Volet didactique des sciences

En plus du volet en écologie urbaine, mené par Alain Paquette, l’activité Chenilles espionnes comporte un volet en didactique des sciences, auquel participe le professeur du Département de didactique Pierre Chastenay, et dont le responsable est le diplômé Jean-Philippe Ayotte-Beaudet (B.Ed. enseignement secondaire science et technologie, 2010; M.A. éducation, 2013; Ph.D. éducation, 2018), professeur à l’Université de Sherbrooke. Rompu à ce type d’activité de science participative, l’organisme Mouvement 4-H est le principal partenaire du projet, hébergeant le site web de l’activité.

«Le volet didactique des sciences a deux objectifs, explique Jean-Philippe Ayotte-Beaudet. Nous souhaitons identifier l’impact de la participation à un projet de science citoyenne sur le terrain de son domicile sur les apprentissages en écologie d’élèves du primaire, et explorer la possible contribution à l’éducation scientifique, selon les enseignants, de la participation à un projet de science citoyenne chez les élèves du primaire.»

Pour atteindre ces objectifs, le chercheur compte réaliser 160 entretiens téléphoniques avec les élèves (80 en juin et 80 en août), ainsi que 40 entretiens avec les enseignantes et enseignants.