Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.
Jade Bourdages a toujours rêvé de faire le tour du monde en bateau avec ses enfants et son conjoint. Dans une autre vie, avant d’être professeure à l’École de travail social, elle a même enseigné la plongée sous-marine. Elle aura l’occasion de renouer avec la vie maritime puisque, du 4 au 19 octobre prochains, elle accompagnera 12 jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans lors d’une expédition sur le fleuve Saint-Laurent à bord du voilier-école à vocation environnementale Écomaris, le premier du genre au Québec. Cette expédition s’inscrit dans le cadre du programme de réinsertion sociale Cabestan, offert en partenariat avec les Carrefours jeunesse emploi du Québec.
Créé en 2006, le programme Cabestan permet d’organiser, chaque année, cinq expéditions avec de jeunes adultes provenant de divers horizons, qui sont sans emploi et qui ne sont pas aux études. Il vise à appuyer des jeunes aux prises avec diverses difficultés: itinérance, dépendances de toutes sortes, pauvreté, faible scolarisation, etc.
C’est parce qu’ils connaissaient l’expérience en recherche de Jade Bourdages dans le domaine de l’intervention jeunesse que les responsables du programme Cabestan l’ont approchée pour lui proposer de participer à l’expédition. Experte sur la question de la prise en charge des mineurs dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, la professeure a témoigné l’automne dernier devant la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Elle préside le conseil d’administration de l’organisme communautaire Coup d’éclats qui, en 2018, a remporté le Prix Droits et Libertés, décerné par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, pour le projet Porte-Voix. Celui-ci fournit aux jeunes des Centres jeunesse des outils artistiques – dessin, peinture, photographie, vidéo, musique ou poésie – leur permettant de s’exprimer et de sortir de l’isolement.
En initiant ces jeunes, qui deviennent membres de l’équipage, aux métiers de la mer, l’expédition favorise l’acquisition de compétences en navigation. «Elle permet surtout de briser leur isolement social, souligne Jade Bourdages. Quand, pendant deux semaines, on se retrouve avec d’autres personnes dans un espace clos comme celui d’un bateau, sans possibilité d’aller sur terre, on apprend à vivre en groupe. Tous ceux et celles qui ont vécu cette expérience par le passé ont raconté à quel point elle leur avait permis de développer une meilleure estime de soi, de se découvrir des forces ou des compétences qu’ils ne soupçonnaient pas, comme le sens du leadership ou la capacité de travailler en équipe et de relever des défis.»
Le programme Cabestan a aussi été conçu pour mettre en contact des personnes ayant des profils et des trajectoires de vie très diversifiés. «Une femme monoparentale de 28 ans, peu scolarisée, peut côtoyer un jeune toxicomane de 18 ans», note la professeure. Cabestan permet, par ailleurs, de dépersonnaliser les problèmes vécus par les jeunes. «Exclus de la vie active, les jeunes sans emploi se sentent souvent inutiles et en arrivent à penser que leurs difficultés, leurs défis et leurs rêves ne peuvent pas être partagés par d’autres personnes, dit Jade Bourdages. L’expédition leur fera prendre conscience que c’est possible.»
Le voilier Écomaris partira de Québec et se dirigera ensuite vers le golfe du Saint-Laurent. «Le trajet dépendra des décisions du groupe et des conditions météorologiques. Une véritable aventure!», lance la chercheuse. Les jeunes seront partie prenante de toutes les décisions. «Chaque jour, l’un d’entre eux sera nommé chef de son équipe et sera responsable des communications entre son groupe et le reste de l’équipage.» L’expédition aura un caractère environnemental. Des cours sur la biologie marine, la flore et la faune du Saint-Laurent seront donnés sur le bateau.
Nourrir les rêves
Selon Jade Bourdages, le programme Cabestan correspond en tout point à sa philosophie d’intervention auprès des jeunes. «Au-delà de l’intervention clinique, il est important à mes yeux de faire des choses avec les jeunes, de développer leurs champs d’intérêt et de nourrir leurs rêves en s’engageant avec eux dans des activités concrètes, en leur faisant découvrir de nouveaux horizons.»
En devenant membre, elle aussi, de l’équipage, la professeure pourra documenter l’expérience proposée par Cabestan, ce qui n’a jamais été fait jusqu’à présent. «Je n’animerai pas d’activités particulières, dit-elle, mais je participerai aux différentes tâches sur le voilier, au même titre que les autres membres du groupe.» Elle réalisera de manière informelle des entrevues avec les jeunes participants durant l’expédition. «Ce sera l’occasion de mieux comprendre, en tant que chercheuse, leurs parcours personnels et d’échanger avec eux autour de ça. Mon approche en sera une de recherche-action.»
La professeure n’en sera pas à sa première expérience du genre. «J’ai déjà participé avec mon conjoint, qui est directeur clinique en intervention jeunesse, à des expédions en kayak avec de jeunes héroïnomanes. Mais côtoyer des jeunes 24 heures sur 24 sur un bateau durant deux semaines constituera une première.»
Sélection et formation
Les participants à l’expédition ont été référés pour la plupart par des carrefours jeunesse emploi, par des centres jeunesse ou par des organismes intervenant auprès des jeunes de la rue. Puis, ils ont fait l’objet d’un processus de sélection sur la base de différents critères: avoir moins de 30 ans, être sans emploi, manifester un intérêt pour la navigation, avoir la volonté et la capacité de séjourner sur un bateau pendant 14 jours. «Les évaluations se font au cas par cas, avec le souci de composer une cohorte ayant le potentiel de créer une dynamique de groupe», observe Jade Bourdages.
Avant le départ, le groupe s’installera à quai durant deux jours sur le voilier pour se familiariser avec son espace et ses membres recevront de la formation par deux responsables du programme. «Je vais aussi rencontrer les jeunes à la mi-septembre, histoire de briser la glace et d’établir un premier contact», dit la chercheuse.
Suivi d’un an
Au retour de l’expédition, Jade Bourdages assurera un suivi auprès des jeunes pendant une année. «Il s’agira de dresser un bilan de l’expérience, d’identifier les difficultés qu’ils auront vécues en groupe ou sur le plan personnel. Je les accompagnerai dans leur processus de développement et la poursuite de leurs objectifs, qu’il s’agisse de trouver un emploi ou de retourner aux études. Mon rôle consistera enfin à les orienter vers les bonnes ressources.»
La professeure estime que l’on a trop tendance à évaluer l’efficacité et les retombées des programmes de réinsertion sociale destinés aux jeunes à partir de critères exclusivement quantitatifs, tels que le taux d’employabilité ou le nombre d’individus qui retournent aux études. «Il faut aller au-delà de ces statistiques et prendre en compte d’autres dimensions, plus qualitatives, de l’impact des programmes sur le parcours des individus. Dans le cas de Cabestan, tous ne se trouveront pas nécessairement un emploi six mois ou un an après l’expédition, mais l’expérience qu’ils auront vécue aura été marquante à plus d’un titre!»
En ce moment, Jade Bourdages dit être aussi anxieuse que les jeunes. «Au début septembre, j’aurai le bonheur de faire un premier convoyage de Saint-Anne-des-Monts à Rimouski. Ce sera l’occasion de me familiariser avec l’espace du voilier et de faire connaissance avec les membres de l’équipage.»