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Découvrir le monde par le son

La doctorante et enseignante en musique Pascale Goday forme de futurs citoyens à l’écoute des autres et de leur environnement.

Par Valérie Martin

17 février 2020 à 10 h 02

Mis à jour le 7 juin 2022 à 12 h 12

Série En vert et pour tous

Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.

Une dictée de sons permet aux enfants, qui ont les yeux bandés, de reconnaître et de décrire les sons ambiants de la classe. Photo: AJ

Combien de décibels peuvent produire un groupe d’enfants surexcités dans les corridors d’une école primaire? Beaucoup trop! Pour sensibiliser les élèves au bruit, la doctorante en études et pratiques des arts Pascale Goday, qui est aussi enseignante en éducation musicale et en chant choral au Collège international Marie de France, a lancé un projet d’éducation sonore. Celui-ci comprend une série d’activités interdisciplinaires à réaliser en classe, des outils pédagogiques, des règles de vivre-ensemble à appliquer à l’école ainsi que des actions citoyennes.

Les environnements sonores dans lesquels vivent les enfants sont saturés, à commencer par celui de l’école, observe Pascale Goday. «Il est vu comme de plus en plus normal de parler haut et fort, ce qui peut amener les enfants à perdre leur capacité d’écouter l’autre et le monde qui les entoure.»

Intitulé «Une approche de l’écologie sonore adaptée à l’école», le projet de l’enseignante, mis en place depuis l’automne 2017, s’inspire du concept d’écologie sonore inventé par le compositeur canadien Raymond Murray Schafer. «Il s’agit d’amener les élèves à acquérir au quotidien une meilleure connaissance du monde sonore qui les entoure, en le présentant comme un nouveau continent à explorer, avec ses merveilles, comme le chant des oiseaux, et ses dangers, comme la pollution sonore», illustre Pascale Goday. Dans ses cours, la doctorante propose également des mesures préventives pour aider les élèves à protéger leur appareil auditif. «Il est urgent d’agir, soutient-elle, car nous sommes en train de former une génération de malentendants.»

Promenade sonore dans les corridors de l’école.Photo: AJ

Pour son initiative, Pascale Goday a reçu le prix Essor de Reconnaissance 2019 (catégorie Initiative), attribué par les ministères québécois de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et de la Culture et des Communications à un enseignant ou à un responsable scolaire pour son projet artistique innovateur. L’enseignante a aussi reçu le prix de l’Innovation pédagogique 2019 (catégorie Primaire) décerné par la Fédération des établissements d’enseignement privés du Québec (FEEP).

Pascale Goday a entamé en 2018 un doctorat en études et pratiques des arts qui porte sur son projet d’écologie sonore. Elle effectue sa recherche sous la supervision du professeur du Département de musique Vincent Bouchard-Valentine, dont les travaux portent aussi sur l’écologie sonore. Quelque 800 élèves du primaire ont participé à ce jour au projet de l’enseignante, qui a publié de nombreux articles sur le sujet, notamment dans la revue FAMEQ de la Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec et dans le numéro de janvier 2020 de NectArt, une revue s’intéressant aux nouveaux enjeux de la culture, des transformations artistiques et de la révolution technologique.

Améliorer les capacités d’écoute

Le projet vise également à améliorer les capacités d’écoute des élèves, en vue de former de futurs citoyens écoutants plus responsables et conscientisés quant aux effets néfastes du bruit. «Je leur explique comment fonctionnent l’oreille, l’ouïe et le son afin qu’ils saisissent la différence entre entendre, un phénomène biologique, et écouter, qui demande de prendre une décision», précise Pascale Goday.

Pour les aider à développer leur sens critique, l’enseignante fait écouter à ses élèves une pièce musicale, qui peut sembler sonner faux, pour leur faire connaître des sons différents ou encore leur fait entendre des sons acoustiques, éloignés de ceux plus amplifiés auxquels ils sont habitués. Dans le cadre des exercices de chant, elle essaie d’amener ses élèves à chanter en fonction de leur voix et non selon un type de voix associé aux chanteurs et chanteuses populaires du moment.

Promenade sonore

Parmi les activités proposées, Pascale Goday a créé une promenade sonore, au cours de laquelle les élèves déambulent dans l’école en notant les bruits de couloir ou de la cafétéria, au moyen de mots, de dessins ou de signes. «Les élèves goûtent aux sons quotidiens et apprennent à se servir de leurs oreilles», dit-elle. La consigne est de le faire en silence et d’annoter leurs observations. Les élèves dressent ensuite un inventaire des sons de leur environnement, une sorte de musiographie de l’école. «À partir d’un plan, comme celui du premier étage, ils imaginent les sons qui s’y trouvent et apprennent à les géolocaliser.» Puis, à partir de ces relevés, les élèves réalisent des créations sonores en transposant les sons qu’ils ont entendus lors de la promenade en partitions musicales ou en partitions de bruits. «Quelles sont les caractéristiques des sons de la cafétéria? Quel est le volume sonore du lieu? Quel est le meilleur instrument pouvant transcrire les sons entendus? Les enfants doivent se poser ces questions pour créer leurs œuvres.»

Une dictée de sons permet aux enfants de reconnaître et de décrire les sons ambiants de la classe. «Avec les yeux bandés, leur perception auditive est exacerbée et ils peuvent ainsi se concentrer davantage sur ce qu’ils entendent, note la doctorante. Il existe un vocabulaire propre à l’ouïe et l’élève doit l’utiliser pour décrire les sons.»

Pascale Goday a enfin développé des outils de vivre-ensemble, comme un «permis sonore à points», à l’image d’un permis de conduire. L’objectif est de mieux respecter le volume sonore des espaces communs, tels que les corridors, les vestiaires et la cafétéria. Chaque élève doit suivre une série de règles: «Je suis silencieux dans les couloirs» ou «Je suis discret dans les vestiaires». S’il n’observe pas les consignes, il perd des points. Un guide permet aux élèves de s’autoévaluer au moyen de figures géométriques et de codes de couleurs, classés selon un ordre précis. Plus la figure géométrique a de côtés, un hexagone, par exemple, plus le niveau de décibels augmente et représente un comportement répréhensible. «Un hexagone rouge, c’est une catastrophe, tandis qu’un cercle vert, c’est très bien!», décrit l’enseignante, qui a aussi introduit des éléments du langage des signes afin de faire respecter le silence dans les couloirs ou dans la classe au moment opportun. 

Louis Lemieux, Pascale Goday et Jean-Bernard Émond.
Photo: Louise Leblanc

Grâce à ces activités de sensibilisation, les élèves ont réussi à faire baisser le volume sonore dans les espaces communs. Ils sont aussi plus calmes et parviennent à mieux se discipliner. «C’est un projet de vivre-ensemble multidisciplinaire et transversal qui s’adresse à tous les membres de l’école, souligne Pascale Goday. Plusieurs professeurs participent désormais au projet et proposent des activités à leurs élèves. Dès le départ, la direction du collège s’est montrée très enthousiaste.»

Le prochain défi de la doctorante ? Mettre l’écologie sonore au programme de toutes les écoles!

Semaine du son

En tant que présidente du volet canadien de la Semaine du son de l’UNESCO, qui aura lieu du 23 au 29 mars prochains à Montréal, Pascale Goday organise une journée d’études à l’UQAM le 26 mars. L’événement présentera des conférences scientifiques portant sur les cinq thèmes proposés dans la charte de la Semaine du son, soit la santé, l’environnement sonore, les techniques d’enregistrement et de diffusion sonore, la relation entre image et son ainsi que l’expression musicale et sonore. Le professeur Vincent Bouchard-Valentine compte parmi les invités. L’association, dont le siège social est en France, a pour but d’amener chaque être humain à prendre conscience que l’environnement sonore est un élément d’équilibre personnel fondamental dans sa relation aux autres et au monde.