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Observer les nuages de glace

Le doctorant Ludovick Pelletier a participé à une expédition scientifique dans le Grand Nord canadien.

Par Claude Gauvreau

28 janvier 2019 à 15 h 01

Mis à jour le 22 janvier 2020 à 11 h 01

«Quand on est dans l’Arctique durant la saison hivernale, à moins 50 degrés Celsius, on se sent tout petit dans l’univers. Souvent plongé dans la noirceur, le paysage paraît surréaliste, semblable à celui de la surface de la Lune. On parvient pourtant à voit des montagnes au loin grâce aux lumières des stations de recherche et à la blancheur du sol.»

Ludovick Pelletier, doctorant en science de la Terre et de l’atmosphère sous la direction du professeur Jean-Pierre Blanchet, a séjourné deux semaines à Iqaluit, capitale du Nunavut, à la fin novembre 2018. Il faisait partie d’une expédition scientifique menée conjointement par des chercheurs d’Environnement et Changement climatique du Canada et du Conseil national de recherches du Canada.

«L’objectif de l’expédition, explique l’étudiant, était de mieux comprendre le processus de formation et la composition des Cirrus, communément appelés nuages de glace, en prenant des mesures de leurs propriétés microphysiques. Ces nuages couvrent de grandes superficies et ont un impact important sur le bilan radiatif  de l’atmosphère (la quantité d’énergie solaire reçue et perdue) et sur le cycle de l’eau.»

Ludovick Pelletier à Iqaluit avec l’appareil FIRR, chargé de télédétecter les propriétés des nuages de glace.

L’une des tâches du doctorant consistait à s’assurer que  l’appareil FIRR (Far Infrared Radiometer), installé en permanence sur le site de recherche d’Iqaluit, fonctionnait adéquatement. «Semblable à une caméra, le FIRR enregistre des données sur les longueurs d’ondes dans l’infrarouge lointain et permet de télédétecter les propriétés des nuages de glace», note Ludovick Pelletier. Le FIRR aurait pu être testé à la station de recherche météorologique canadienne d’Eureka, située encore plus au nord, près du cercle polaire, mais cela coûtait une fortune. «Lors d’une mission précédente, en 2016, j’avais installé un FIRR  à la base d’Eureka, là où le soleil se couche à la fin octobre pour se lever à la fin février, remarque le doctorant. Nous avons finalement opté pour le site d’Iqaluit pour des raisons financières et de logistique.»

L’expédition à Iqaluit s’inscrit dans le prolongement des recherches menées par le professeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Jean-Pierre Blanchet. Dans les années 2000, le chercheur a débuté un projet de mission satellitaire en collaboration avec l’Agence spatiale canadienne. L’objectif était de lancer un satellite afin d’obtenir des informations sur la formation et la composition des nuages dans l’Arctique canadien durant les périodes froides de l’année. En 2006, l’Institut national d’optique (INO), situé à Québec, l’a contacté pour mettre au point une nouvelle technologie – le FIRR – permettant d’effectuer des mesures thermiques à la verticale dans l’infrarouge lointain, ce qu’aucun instrument ne permettait jusque-là. En 2015, l’Agence spatiale canadienne a financé la fabrication d’un premier prototype par l’INO.

Impact sur le bilan radiatif

Présents dans la couche supérieure de l’atmosphère, les Cirrus sont formés de cristaux de glace. On les compare souvent à des cheveux d’ange parce qu’ils ont une apparence fibreuse et duveteuse. Bien qu’effilochés, ils ont un impact notable sur le bilan radiatif de la planète, c’est-à-dire l’inventaire de l’énergie reçue et perdue par le système climatique (interactions sol-atmosphère-océans) de la Terre.

«Parce qu’ils réfléchissent le rayonnement solaire, les Cirrus permettent de maintenir la température de l’atmosphère plus froide, observe le doctorant. En même temps, comme ils absorbent le rayonnement infrarouge émis par le sol et qu’ils en réémettent une partie vers la surface, ils contribuent aussi au réchauffement. Selon leurs propriétés – taille et opacité – et la région où ils se trouvent, l’atmosphère ne perdra pas son énergie de manière équivalente, ce qui peut causer un déséquilibre entraînant des perturbations climatiques.»

Les mécanismes de formation des nuages de glace arctiques durant la nuit polaire sont encore mal définis à cause de l’éloignement des régions nordiques et du peu d’observations qui y sont effectuées. Pourtant, les Cirrus ont une importante influence sur les conditions météorologiques et climatiques dans l’hémisphère nord.

Gaz à effet de serre

«Les Cirrus ont non seulement un impact sur le bilan radiatif, mais aussi sur la redistribution de la vapeur d’eau dans l’atmosphère, souligne Ludovick Pelletier. Contenue notamment dans les nuages, la vapeur d’eau est le gaz à effet de serre le plus puissant sur la planète.»

Outre le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux, la vapeur d’eau est un gaz atmosphérique à effet de serre naturel qui absorbe la chaleur et en renvoie une partie à la surface de la Terre, faisant ainsi augmenter les températures. Sans cet effet de serre naturel, la Terre serait bien plus froide qu’elle ne l’est actuellement.

«Essentiel pour le maintien de la vie sur Terre, le cycle de l’eau, ou son passage par différents états – gelée, liquide et gazeuse – dans le système sol-océan-atmosphère, exerce une influence sur le système climatique en général», note le jeune chercheur.

Tester des instruments

Cabine où se trouve l’appareil FIRR sur le site de recherche d’Iqaluit.

L’un des objectifs de l’expédition à Iqaluit était de tester les outils de mesure et de valider leurs données en vue d’établir de meilleures prévisions météorologiques. Un avion équipé de sondes et d’autres instruments a effectué quelques allers-retours pour enregistrer des données atmosphériques, pendant que le FIRR scrutait les nuages à partir du sol. Avec un tel échantillonnage, il sera possible d’établir un portrait des valeurs mesurées par les différents appareils et, ultimement, de valider la justesse de l’information obtenue.

«Quand il fait noir dans l’Arctique, il est plus difficile d’effectuer des observations, relève Ludovick Pelletier. Dans de telles conditions, peu d’avions sont envoyés pour prendre des mesures atmosphériques, alors que celles des satellites sont de faible qualité. D’où l’intérêt d’un appareil autonome comme le FIRR, qui permet de pallier ces difficultés et de se concentrer sur les nuages de glace.»

Le FIRR, qui en est à sa deuxième version, offre maintenant une meilleure qualité d’observation. «Environnement Canada l’a reconfiguré afin de le rendre plus performant et de le déployer éventuellement dans d’autres régions de l’Arctique canadien», indique le doctorant.

Ludovick Pelletier retournera peut-être à Iqaluit au mois de mars dans le cadre d’une nouvelle mission, financée cette fois par l’Agence spatiale européenne. «Je suis privilégié, dit-il, d’autant plus qu’Environnement Canada m’autorise à utiliser le FIRR pour les besoins de ma recherche doctorale. Lors de mes études de bac, j’aspirais à devenir météorologue. Aujourd’hui, je vise une carrière de chercheur, que ce soit en milieu universitaire ou pour le compte d’une agence gouvernementale, voire d’une entreprise.»