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Le visage de Greenpeace

Porte-parole francophone de l’organisation, Patrick Bonin adore son boulot: sensibiliser la population à l’urgence d’agir pour la planète.

Par Pierre-Etienne Caza

10 décembre 2018 à 10 h 12

Mis à jour le 28 novembre 2022 à 14 h 41

Patrick BoninPhoto: Nathalie St-Pierre

Que ce soit dans les coulisses de l’Assemblée nationale, dans la rue en train de manifester, ou encore sur le plateau de Tout le monde en parle, où il était invité en octobre dernier, Patrick Bonin (M.Sc. sciences de l’environnement, 2006) semble à l’aise peu importe le contexte. «Mon travail consiste à sensibiliser les gens aux enjeux environnementaux et j’adore cela. Je le faisais déjà durant mes études à l’UQAM», raconte-t-il.

Le rythme soutenu auquel se multiplient les catastrophes causées par le réchauffement climatique éveille les consciences, constate le responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada et porte-parole francophone de l’organisation. «Notre discours sur la sauvegarde de la planète, qui était encore perçu comme marginal il y a quelques années, est devenu mainstream», observe-t-il.

Les inondations du printemps, la canicule meurtrière de l’été dernier et les feux de forêt en Colombie-Britannique et en Californie, jumelés à la publication, en octobre, du rapport alarmant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), en ont convaincu plus d’un de s’engager. «Ça tombe bien, car il y a urgence d’agir pour sauver la planète», affirme le militant.

Patrick Bonin se réjouit que plus de 250 000 personnes aient signé le Pacte pour la transition, lancé en novembre dernier. Le mouvement vise à ce que chaque citoyen s’engage à agir immédiatement pour réduire son empreinte écologique et qu’il exige le même effort de la part des pouvoirs publics. «Les gestes individuels, c’est bien, mais ce ne sera pas suffisant pour inverser la tendance, insiste l’environnementaliste, qui a participé à la rédaction du Pacte. Il faut que les gouvernements agissent en leaders et proposent des politiques publiques visionnaires et exemplaires.»

L’engagement du Canada

À cet égard, Patrick Bonin suit avec intérêt le déroulement de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP24), qui se déroule jusqu’au 14 décembre en Pologne. «Nous nous attendons à ce que le gouvernement canadien reconnaisse devoir se doter d’une cible plus ambitieuse en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), souligne-t-il. L’ancienne cible, héritée du gouvernement Harper – une réduction de 30 % des émissions de GES par rapport au niveau de 2005 – est nettement insuffisante.»

«Les gestes individuels, c’est bien, mais ce ne sera pas suffisant pour inverser la tendance. Il faut que les gouvernements agissent en leaders et proposent des politiques publiques visionnaires et exemplaires.»

Le rapport du GIEC expose les conséquences d’un réchauffement des températures au-delà de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels: vagues de chaleur, extinctions d’espèces, déstabilisation des calottes polaires, montée des océans, etc. Pour limiter cette hausse, il faudra réduire les émissions mondiales de CO2 de 50 % d’ici 2030. «Ce qu’il faut comprendre, c’est que les pays développés auront un effort supplémentaire à fournir, car nous polluons davantage, précise Patrick Bonin. Or, plus nous attendons pour mettre en place des mesures efficaces, plus ces changements devront être drastiques et bouleverseront nos habitudes.»

Au cours des dernières années, la lutte de Greenpeace Canada s’est surtout concentrée sur les sables bitumineux. «Ils constituent la principale source d’augmentation de GES au pays, note le spécialiste. Voilà pourquoi nous militons sans relâche contre les pipelines comme le projet Énergie Est et que nous décrions l’achat de Trans Mountain par le gouvernement Trudeau.»

L’engagement du Québec

Patrick Bonin réserve son jugement sur le nouveau gouvernement caquiste. Lors de son discours inaugural, François Legault a reconnu l’urgence climatique, ce qui tranche avec son absence de position lors de la campagne électorale, souligne le militant avec optimisme. L’abandon de l’aventure gazière et pétrolière à Anticosti est également une bonne nouvelle, analyse-t-il, tout comme la fermeture du dossier du gaz de schiste au Québec. «Il faudra toutefois que le gouvernement présente rapidement un plan crédible. On ne peut pas reconnaître l’urgence climatique tout en étant favorable à des projets qui augmenteraient notre production d’émissions et notre dépendance aux hydrocarbures, comme l’usine de gaz naturel liquéfié au Saguenay, l’usine d’urée à Bécancour ou le troisième lien à Québec. On ne peut plus se permettre ces incohérences.»

«On ne peut pas reconnaître l’urgence climatique tout en étant favorable à des projets qui augmenteraient notre production d’émissions et notre dépendance aux hydrocarbures, comme l’usine de gaz naturel liquéfié au Saguenay, l’usine d’urée à Bécancour ou le troisième lien à Québec. On ne peut plus se permettre ces incohérences.»

Le Québec, rappelle-t-il, visait une réduction de 20 % de ses émissions de GES en 2020. «Nous atteindrons la cible en achetant des crédits de carbone à l’étranger. Or, il faudrait réduire les émissions sur le territoire québécois», souligne-t-il. Demander au nouveau gouvernement d’élaborer des politiques publiques et de les mettre en place en moins de deux ans pour atteindre la cible de 2020 par des réductions sur son territoire n’est pas réaliste, reconnaît-il. L’horizon 2030 l’est davantage.

De CHOQ à Greenpeace

Assistant de recherche à la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement pendant sa maîtrise sous la direction de Lucie Sauvé, Patrick Bonin multipliait les engagements parascolaires. Il a participé durant trois ans à l’émission de vulgarisation Delirium environnemental à CHOQ, la radio universitaire de l’UQAM, qui a valu à ses artisans un prix Phénix de l’environnement dans la catégorie éducation et sensibilisation en 2004.

La même année, il s’est impliqué dans la coalition Québec-vert-Kyoto, mise en place pour bloquer le projet de centrale thermique du Suroît. «Nous avons réussi à organiser une manifestation de 7000 personnes dans les rues de Montréal en plein mois de février», se souvient celui qui est ensuite devenu porte-parole de la coalition. L’année suivante, il participait à sa première conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, la COP11, qui avait lieu à Montréal.

«Réduire nos émissions de CO2 de 50 % d’ici 2030 n’est pas un scénario de science-fiction, car la technologie et les solutions pour y parvenir existent. Il ne manque que la volonté et le courage politiques.»

Après avoir terminé sa maîtrise, en 2006, Patrick Bonin a accepté le poste de directeur général de Projet Saint-Laurent, l’organisme responsable du Jour de la Terre au Québec. «C’était une belle expérience, mais c’est une organisation non politisée. Or, j’avais le goût de prendre position et de militer plus activement», raconte-t-il.

Il trouve chaussure à son pied à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique. De 2008 à 2012, il y œuvre d’abord à titre de coordonnateur d’un programme visant à retirer les vieux véhicules automobiles des routes, puis de porte-parole et directeur climat-énergie. Il fait le saut chez Greenpeace Canada en 2012, à titre de responsable de la campagne Climat-Énergie. «C’est motivant de travailler pour une organisation présente dans 40 pays, qui a le pouvoir de réaliser des actions de désobéissance civile non violentes à grande échelle pour faire bouger les choses et qui, surtout, s’assure que son discours soit basé sur des faits scientifiques», souligne-t-il.

Il y a encore de l’espoir!

Aux pessimistes environnementaux tentés de lancer la serviette, Patrick Bonin rétorque que rien n’est joué. «Le rapport du GIEC est clair: il est possible de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius, ou alors de dépasser légèrement la cible tout en mettant en place des solutions, comme la captation/séquestration du carbone et l’augmentation du couvert forestier, qui nous permettront de revenir sous ce seuil. Réduire nos émissions de CO2 de 50 % d’ici 2030 n’est pas un scénario de science-fiction, car la technologie et les solutions pour y parvenir existent. Il ne manque que la volonté et le courage politiques.»

«Au Canada, il faudrait d’abord arrêter de subventionner l’industrie pétrolière et investir cet argent dans les solutions.»

Quels seraient les premiers gestes à poser pour s’engager sur la bonne voie? «Au Canada, il faudrait d’abord arrêter de subventionner l’industrie pétrolière et investir cet argent dans les solutions, affirme-t-il. Ensuite, il faudra mettre un prix sur le carbone et s’assurer que le prix de la pollution se reflète dans le coût des biens et services, investir dans le transport collectif, la densification des villes et l’aménagement du territoire pour éviter l’étalement urbain, bannir le moteur à combustion interne pour les véhicules légers, comme le fera la Norvège d’ici 2025, investir dans les énergies renouvelables et revoir nos modes de consommation.»

L’adoption d’une loi anti-déficit climatique et la création d’une commission indépendante, afin de s’assurer que le pays atteigne ses cibles, seraient également de bonnes idées, suggère-t-il. «Ce n’est pas vrai qu’on va abandonner les centaines de millions de personnes qui font face à l’augmentation du niveau de la mer, aux sécheresses et aux inondations. On n’a pas le choix, il n’y a pas de plan B, nous n’avons qu’une seule planète.»

Patrick Bonin est-il tenté de faire le saut en politique pour mettre ses idées en œuvre? «C’est une option que je considérerai le temps venu», dit-il tout en confiant avoir été courtisé par différents partis. Papa de trois filles de 6, 8 et 10 ans – il a rencontré leur mère, Julie Maurais (M.Sc. sciences de l’environnement, 2006; prog. court de 2e cycle en pédagogie de l’enseignement supérieur, 2009), pendant ses études à l’UQAM –, il n’est pas prêt, pour l’instant, à sacrifier sa vie de famille.