Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Quand l’astronaute David Saint-Jacques s’est envolé lundi matin vers la Station spatiale internationale, un autre Québécois était presque aussi fébrile que lui. «Ce sont plus de 10 années de travail qui se concrétisent en quelques secondes», a commenté Benoît Laplante (B.A.A gestion et intervention touristique, 1987) sur les ondes du réseau LCN, peu avant le décollage.
Ce gestionnaire, qui travaille comme directeur des approvisionnements chez Rio Tinto, est un véritable mordu de l’espace. Spécialiste en missions spatiales, ses compétences sont régulièrement sollicitées par différents médias québécois et canadiens. Au cours des 20 dernières années, il a commenté une cinquantaine de missions et d’expéditions.
De père en fils
Sa passion pour l’espace lui vient de son père, un ancien mécanicien de l’Aviation royale canadienne. En 1969, Benoit et son père sont rivés devant leur téléviseur pour regarder Neil Armstrong et Buzz Aldrin marcher sur la lune. À l’époque, Benoit a six ans et ces images vont le marquer pour toujours. «Je m’amusais à construire des fusées avec des blocs Lego!, se souvient-il. Tout au long de ma jeunesse, je me suis intéressé à tout ce qui touche l’espace et les avions.»
À l’UQAM, il entame d’abord des études en géographie, puis poursuit en gestion et intervention touristique, un domaine touchant plusieurs de ses intérêts: l’administration, l’économie, le droit, les voyages. Il rêve de piloter. Après ses études, il réussit tous les examens pour être pilote de chasse, mais il ne peut obtenir sa licence à cause de sa vision imparfaite.
Une rencontre marquante
Dans les années 1990, alors qu’il travaille dans les ventes et l’administration chez Rio Tinto Fer et Titane (il y est aujourd’hui directeur des approvisionnements pour l’usine de Sorel – sa ville natale –, une mine de Havre St-Pierre et deux usines en Californie), ses fonctions l’amènent à voyager régulièrement à travers l’Amérique du Nord, et notamment à Houston, point névralgique de l’industrie aérospatiale américaine. Un jour, il se retrouve, par hasard, assis dans l’avion à côté de l’astronaute canadien Chris Hadfield, qui revient de sa première mission spatiale. «On a discuté d’espace et d’aviation durant tout le vol, raconte-t-il. Chris avait été pilote de chasse dans la même escadrille que mon père, ce qui nous a rapprochés.»
Les deux hommes se lient d’amitié. Quelques mois plus tard, Benoît Laplante invite l’astronaute à prononcer une conférence dans une école soreloise. L’événement connaît un grand succès auprès des jeunes, à un point tel qu’ils ont l’idée de former d’autres personnes pour parler de l’espace. C’est ainsi que Chris Hadfield propose à ses contacts de l’Agence spatiale canadienne (ASC) et de la NASA que son ami devienne ambassadeur du programme spatial.
Pour devenir ambassadeur, Benoît Laplante doit suivre une formation à la station spatiale de Houston. Il décide aussi de compléter une maîtrise en génie aérospatial à l’Université du Texas, où il est admis en raison du rôle qu’il est appelé à jouer et de sa formation de pilote de chasse. Entre 1999 et 2003, il mène ces projets d’études de front, tout en continuant à travailler chez Rio Tinto et à aider sa conjointe à élever leurs deux enfants!
«Quand je n’étais pas dans un simulateur virtuel à Houston ou dans un voyage d’affaires, je devais lire des briques de 500 pages sur les plans des missions spatiales, raconte-t-il. Ces quatre années ont été extrêmement intenses, mais tellement passionnantes!»
Dans le cadre de sa formation, il doit se rendre à Moscou à quelques reprises. Pour comprendre les termes propres aux fusées Soyouz et tenir une conversation avec ses collègues, il doit suivre des cours de russe à distance! «C’est une langue très difficile à maîtriser, avoue-t-il. Je me débrouillais à l’époque, mais j’ai presque tout oublié depuis.»
Un club d’astronomie populaire
À titre d’ambassadeur du programme spatial, Benoît Laplante est régulièrement invité à prononcer des conférences dans des écoles au Canada et aux États-Unis. «Chaque fois que je parle aux jeunes du monde spatial, je vois des étoiles briller dans leurs yeux. C’est très gratifiant pour moi.»
L’homme natif de Sorel a aussi transmis sa passion à ses concitoyens. En 2014, il fonde le Club d’astronomie de Sorel-Tracy. Tous les mercredis, une quarantaine de membres se réunissent pour discuter de tout ce qui touche l’espace et les étoiles. «En août, notre grand événement d’observation du ciel attire plus de 500 personnes», dit Benoît Laplante.
Métier dangereux?
Devenir astronaute comporte des risques. Benoît Laplante se souvient avec précision de l’explosion du réservoir d’oxygène d’Apollo 13 en 1970, de l’accident de la navette Challenger en 1986 et de celui de la navette Columbia en 2003. «En 2003, j’ai dû expliquer, sur les ondes de TVA, les causes de la mort des sept membres de l’équipage que je connaissais personnellement. Ce fut le moment le plus difficile de ma carrière médiatique.»
Le 11 octobre dernier, un problème de moteur a forcé l’interruption du vol d’une fusée Soyouz. Les deux astronautes – un Américain et un Russe –ont ainsi été forcés d’atterrir d’urgence. «C’était la première fois depuis 1975 qu’un problème de ce genre survenait», souligne Benoît Laplante. Heureusement, les deux astronautes n’ont pas été blessés malgré le fait qu’ils aient ressenti une force de 6 G – l’équivalent de six personnes assises sur soi – pendant quelques secondes. «Les astronautes s’entraînent durant des années justement pour résister à ce genre d’événement, reprend l’ambassadeur de l’espace. C’est un métier qui comporte des risques, mais les accidents majeurs surviennent très rarement. J’embarquerais sans hésiter dans une fusée demain matin.»
Parmi les beaux moments de sa vie, Benoît Laplante se souvient d’une mission en 2011 qu’il avait été appelé à commenter avec Chris Hadfield. «Parler en direct à la télévision avec mon bon ami, ça venait boucler la boucle de ce que nous avions commencé lors de notre première rencontre en 1996.»
Benoît Laplante se considère privilégié de pouvoir commenter un domaine qui le passionne. «Je ne suis jamais allé en orbite, mais c’est la seule chose qui m’a manqué pour réaliser mon rêve.»