Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Avant 2013, Sébastien St-Louis (M.B.A. pour cadres en services financiers, 13) ne connaissait rien de la marijuana. «Je n’en avais même jamais fumé! », dit-il. Aujourd’hui, le cofondateur et p.-d.g. d’Hydropothicaire, la seule entreprise québécoise autorisée à produire et à distribuer de la marijuana médicale, est assis sur une véritable mine d’or. «À lui seul, le marché de la marijuana médicale au Canada est évalué à un milliard de dollars. Si le gouvernement fédéral légalise la marijuana récréative, comme Justin Trudeau l’a promis, ce marché bondira à huit milliards!», affirme l’homme d’affaires de 32 ans.
Pour l’entreprise de Masson-Angers, une petite municipalité à 30 kilomètres de Gatineau, les affaires se portent déjà très bien. Sa clientèle – des anciens combattants, des prestataires de la CSST, des personnes souffrant d’anxiété, de nausée ou d’épilepsie – double tous les mois depuis six mois. Son service de distribution, qui couvre l’ensemble du Canada et bientôt l’international, fonctionne sept jours sur sept. Récemment, la compagnie a reçu un permis pour produire de l’huile de marijuana, qui peut être incorporée à l’alimentation, une alternative plus saine que la cigarette de cannabis. Et dans un futur rapproché, son cofondateur souhaite qu’Hydropothicaire devienne une entreprise publique cotée en bourse. «D’ici 5 à 10 ans, l’entreprise pourrait valoir plus de un milliard», rêve-t-il, sans trop s’inquiéter du récent jugement de la Cour fédérale qui invalide l’interdiction pour les particuliers de faire pousser leurs propres plants de marijuana médicale. À son avis, cela ne touchera qu’une minorité de consommateurs.
Hydropothicaire est déjà la quatrième entreprise fondée par Sébastien St-Louis. Il a démarré la première, spécialisée en simulation 3D, en 2001, à l’âge de 17 ans. À 20 ans, il acquiert un premier immeuble à revenus, qui sera suivi de plusieurs autres. Puis, il mène en parallèle des études en arts à l’Université d’Ottawa et en finance à l’UQAM, tout en travaillant comme conseiller à la Banque de développement du Canada. «J’ai quitté mon emploi à la Banque quand j’ai réalisé que je faisais plus d’argent avec l’immobilier, dit celui qui se dit inspiré par Elon Musk, fondateur de PayPal et Tesla, et par Jeff Bezos, créateur d’Amazon. Je voulais avoir plus de temps pour réfléchir à des occasions d’affaires.»
Une occasion toute spéciale se présente à l’été 2013. Maxime Cyr, un ami d’enfance alors à l’emploi de Santé Canada, lui annonce que la loi sur la marijuana médicale est sur le point d’être modifiée pour ouvrir la porte à l’entreprise privée. «Je n’ai pas dormi ce soir-là, se souvient-il. À quatre heures du matin, j’étais assis à la table de pique-nique, au chalet, en train d’élaborer un plan d’affaires.» Il discute de son plan avec son beau-frère, Adam Miron, et les deux entrepreneurs aux compétences complémentaires – Sébastien pour la finance, Adam pour les relations publiques et la vente – montent un dossier en moins de deux semaines. «Nous étions la 77e entreprise sur 3 500 à poser notre candidature. Six mois plus tard, Santé Canada émettait notre permis.»
Adam et Sébastien s’associent quelques mois après à l’horticulteur Louis Gagnon, propriétaire de l’entreprise Botanix à Masson-Angers. Ce dernier possède trois atouts considérables : 30 années d’expérience en horticulture, des infrastructures et un immense terrain de 260 000 mètres carrés. Les trois partenaires investissent chacun un million de dollars et fondent Hydropothicaire – le nom combine hydroponique, une méthode horticole couramment utilisée pour la culture du cannabis, et apothicaire, le précurseur du pharmacien. Ils construisent une serre moderne, la seule au Canada équipée de verre de vitre courbé, lequel procure à la marijuana un ensoleillement optimal. À l’intérieur, le chauffage de quatre millions de BTU et l’éclairage de un million de watts rendent la production indépendante de Mère Nature. «Lorsque tout l’équipement sera installé, ce sera l’été à l’année longue dans une moitié de la serre – pour le cycle de végétation – et l’automne dans l’autre moitié – pour le cycle de floraison. Nous produirons plus de 3000 kilogrammes de cannabis annuellement dans une seule serre.»
Sébastien St-Louis a récemment fait un voyage «d’affaires» à Amsterdam, histoire de vérifier si l’herbe est plus verte chez le voisin. «La qualité était très inégale. Contrairement à ce qui est vendu là-bas, ou encore sur le marché noir au Canada, je peux dire exactement le pourcentage de tétrahydrocannibinol (THC) et de cannabidiol (CBD) [les substances actives] dans mes produits.»
L’homme d’affaires a aussi suivi attentivement la situation dans les cinq États américains qui ont légalisé la vente de cannabis depuis 2014. «L’expérience du Colorado nous a montré qu’il y a une demande pour de la marijuana haut de gamme. À 15 dollars le gramme, nos produits coûtent deux fois plus que dans la rue, mais ils se vendent comme des petits pains chauds.»
Comment a réagi l’entourage du jeune homme lorsqu’il leur a annoncé qu’il devenait producteur de pot? «Ma mère est une ancienne hippie, alors elle était bien contente», dit-il à la blague. Ce fut une autre histoire quand Adam et Sébastien ont annoncé la nouvelle à leur belle-mère. «Elle pleurait au début. On lui a expliqué que c’est un produit naturel et légal, deux fois plus efficace pour traiter l’épilepsie que les médicaments conventionnels. Si la marijuana est consommée par des adultes sous la supervision d’un médecin, elle est moins toxique que l’alcool et crée moins de dépendance que le jeu. Et devinez quoi? Notre belle-mère a été l’une des premières à investir dans Hydropothicaire!»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 14, no 1, printemps 2016.