Est-il facile de remporter un match de hockey contre une équipe de non-voyants? Pas si on se fie à la performance de l’équipe UQAM, qui a subi une défaite de 5-4 contre les Hiboux de Montréal, le 24 février dernier, à l’aréna Francis-Bouillon.
Les 18 joueurs de l’UQAM, employés de soutien et cadres, dont le vice-recteur à la Vie universitaire, Marc Turgeon, ont vécu une belle expérience malgré la défaite. «Ce sont de très bons joueurs de hockey, affirme Daniel Hébert, conseiller en communication à la Fondation de l’UQAM. Une expérience comme celle-là fait tomber bien des préjugés sur les capacités des personnes non-voyantes à pratiquer un sport aussi rapide que le hockey.»
En fait, dès la première poussée offensive, les Hiboux de Montréal ont pris les devants 1-0. Stupeur dans le camp de l’équipe UQAM, qui a dû s’ajuster rapidement au jeu et aux règlements adaptés aux personnes non-voyantes. «Nous avons perdu avec style, déclare en riant Benoît Kelly, bibliothécaire à l’UQAM. Les Hiboux ont pris les devants 5-2, puis nous sommes revenus dans le match avec deux autres buts.» Mais ce fut trop peu trop tard…
Les Hiboux
Le club de hockey sonore les Hiboux de Montréal, organisme sans but lucratif, est composé de personnes handicapées visuelles de la grande région métropolitaine. On y retrouve des amblyopes (des personnes malvoyantes ayant une vision inférieure à 30 %) et aussi des personnes aveugles ayant une cécité complète. «On oublie souvent qu’à peine 10 % de la population non-voyante ne voit absolument rien», souligne Gilles Ouellet, conseiller à l’accueil et à l’intégration aux Services à la vie étudiante. Malvoyant (il n’a que la vision périphérique), ce dernier fait partie des Hiboux depuis 2000 et en est le président depuis 2004.
C’est Gilles Ouellet qui a eu l’idée d’organiser cette rencontre. Le projet a rapidement été pris en charge par Jean-Pierre Hamel, directeur du Centre sportif (qui était l’un des joueurs), et Anik Landry, agente de recherche et de planification au Vice-rectorat à la vie universitaire et responsable du Programme d’accès à l’égalité en emploi de l’UQAM. «Environ 4 % de la population a un handicap, mais seulement 1 % réussit à trouver du travail en entreprise, souligne cette dernière. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour intégrer ces personnes et c’est pourquoi nous sommes toujours heureux d’organiser des activités de sensibilisation.»
L’entraîneur de l’équipe UQAM, Pierre Robitaille, adjoint au vice-recteur à la Vie universitaire, abonde en ce sens. «Il faut multiplier ce genre d’initiatives pour faire tomber les préjugés», souligne-t-il.
Quelques variantes réglementaires
Les matchs de hockey des Hiboux comportent quelques variantes en matière de règlements. Pour le match contre l’UQAM, les deux équipes ont échangé leurs gardiens. Ainsi, les joueurs de l’UQAM affrontaient un gardien voyant et les joueurs des Hiboux un gardien non-voyant.
La rondelle utilisée par les Hiboux de Montréal est une boîte de conserve 48 onces peinte en noir, nous apprend Gilles Ouellet. Cette rondelle spéciale est plus grosse, donc plus facile à voir. Elle fait du bruit en rebondissant sur la glace, ce qui permet aux joueurs de la repérer plus facilement. Elle a aussi pour effet de ralentir le jeu comparativement à une rondelle, ce qui permet d’intégrer des joueurs de tous les calibres, indépendamment de leur niveau de vision. Un inconvénient de la «canne», comme ils l’appellent, est qu’elle se déforme au contact de la glace et des bâtons de hockey. «Elle doit donc être remplacée plusieurs fois au cours d’un match, explique Gilles Ouellet. Voilà pourquoi nous organisons une journée barbecue l’été et nous peignons en noir le plus de boîtes de conserve possible en vue de la saison.»
Le plus jeune joueur des Hiboux a 16 ans et le plus âgé a 64 ans! «Ni l’un ni l’autre n’était en uniforme contre l’équipe de l’UQAM, j’étais donc le doyen de la partie», affirme Daniel Hébert. À 61 ans, ce dernier a bien tiré son épingle du jeu, marquant deux des quatre buts de son équipe.
Mais ce ne fut pas suffisant pour vaincre les Hiboux. «C’est dur pour l’ego, lance à la blague Éric Dion, animateur au Centre sportif, qui a adoré l’expérience. Au hockey, on apprend à jouer la tête haute, mais avec la rondelle spéciale qu’ils utilisent, c’était peine perdue. Il fallait garder les yeux rivés dessus pour la contrôler.»
«Le plus difficile, c’est l’impossibilité d’effectuer de longues passes avec cette rondelle, note pour sa part Benoît Kelly. Il faut toujours être en groupe de deux ou trois joueurs pour compléter des passes.»
Les joueurs de l’UQAM ont aussi dû s’adapter aux mises au jeu. L’arbitre dépose en effet la boîte de conserve sur la glace, puis les deux joueurs placent leur bâton de chaque côté. L’arbitre siffle pour donner le signal et le plus rapide des deux joueurs s’empare alors de la rondelle. «Ils ont une ouïe tellement développée que je me suis fait battre quatre fois sur cinq», ajoute en riant Daniel Hébert.
Une belle métaphore
L’adaptation des règlements pour permettre aux non-voyants de jouer au hockey est une métaphore parfaite de ce qui doit être fait en milieu de travail, poursuit Anik Landry. «Si on adapte correctement leur environnement de travail, ces personnes peuvent être fonctionnelles, bien s’intégrer et compter parmi les meilleurs employés.»
Il a été décidé après le match, à la demande générale, qu’une activité de hockey sur glace devait être créée à l’UQAM, révèle Éric Dion. «Je me suis engagé auprès de mes coéquipiers à développer une activité pour leur permettre de s’entraîner», dit-il en riant. Le projet est bien sérieux, non seulement pour un match revanche face aux Hiboux – Gilles Ouellet aimerait bien que cela devienne un événement annuel – mais aussi pour permettre à des membres de la communauté universitaire de pratiquer un sport que plusieurs adorent et qui amène à se réunir des gens qui autrement se côtoient sans se connaître.