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Muséologue citoyen

Le diplômé en histoire de l’art René Binette, directeur de l’Écomusée du fier monde, prône l’ancrage des musées dans leur milieu.

Par Valérie Martin

14 novembre 2014 à 9 h 11

Mis à jour le 16 octobre 2017 à 15 h 10

Série Tête-à-tête

Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

René BinettePhoto: Nathalie St-Pierre

Dédié à l’histoire du monde du travail, l’Écomusée du fier monde à Montréal n’est pas un musée comme les autres. Sa double vocation — mettre en valeur l’histoire et le patrimoine du quartier Centre-Sud et favoriser des démarches participatives avec la population et les organismes du quartier — en a fait un précurseur dans son domaine. Depuis deux ans, l’Écomusée et son directeur, René Binette (B.A. histoire de l’art, 82), ont obtenu plusieurs prix récompensant différentes expositions et initiatives, dont le prix en éducation de l’Association des musées canadiens et le prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence dans les musées. «Nous récoltons aujourd’hui les fruits de notre travail, souligne René Binette. Il y a cinq ans, nous nous sommes dotés d’un nouveau plan stratégique en inscrivant le rôle citoyen du musée au coeur de nos activités. C’est notre mission, notre particularité.»

L’Écomusée a ainsi collaboré avec l’Atelier des lettres, un organisme d’éducation populaire et d’alphabétisation du quartier Centre-Sud. «Des adultes en processus d’alphabétisation à l’Atelier ont participé à des projets de recherche, à des expositions et à des publications de l’Écomusée. Cela prouve que des projets ancrés dans le milieu peuvent servir d’outils de développement et d’empowerment», observe celui qui est devenu en 2014 le premier Québécois à recevoir le prestigieux prix Barbara Tyler de l’Association des musées canadiens, décerné pour le meilleur leadership en gestion muséale au Canada et l’engagement communautaire.

René Binette a découvert le courant de la nouvelle muséologie à la fin des années 1970, lors de ses études en histoire de l’art à l’UQAM. «Le monde des musées était alors en pleine révolution, rappelle-t-il. La remise en question du caractère élitiste des musées traditionnels a ouvert la voie à la nouvelle muséologie, dont l’un des objectifs est de démocratiser la culture en rendant les musées plus accessibles.» Le professeur et muséologue de l’UQAM Pierre Mayrand, aujourd’hui décédé, était l’un des représentants de ce mouvement au Québec. «Grâce à lui, je me suis retrouvé stagiaire aux Habitations communautaires Centre-Sud, un organisme communautaire qui souhaitait créer un nouveau type de musée dédié à la population locale. C’est ainsi qu’est né l’Écomusée du fier monde», raconte René Binette.

Participant à la mise sur pied de l’Écomusée en 1980, le muséologue tient dès lors à raconter l’histoire du quartier Centre-Sud, témoin privilégié de l’industrialisation à Montréal et des conditions de vie difficiles des familles ouvrières. Il contribue à définir la mission de l’Écomusée, qui sera axée sur l’histoire du travail, un thème jusqu’alors peu abordé dans le milieu muséal. «Le concept de patrimoine industriel était nouveau au Québec à cette époque, note René Binette. Il n’y avait même pas de musée sur l’histoire urbaine de Montréal.»

Logé de façon permanente dans l’ancien bain public Généreux, un bâtiment typique de l’architecture des années 20, situé sur la rue Amherst, l’Écomusée présente depuis 1996 l’exposition permanente À coeur de jour! Grandeurs et misères d’un quartier populaire. Mise à jour récemment, l’exposition relate l’histoire du quartier Centre-Sud et de ses habitants, de 1850 à aujourd’hui, au moyen de documents écrits, de témoignages sonores, de photographies et de divers objets provenant des anciennes usines du quartier.

À partir du début des années 1980, l’Écomusée a tissé des liens étroits avec le Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM, lequel joue un rôle d’interface entre les chercheurs universitaires et divers groupes et communautés. Récemment, Catherine Trudelle, professeure au Département de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits socioterritoriaux et la gouvernance locale, a développé en collaboration avec l’Écomusée le projet de formation et d’exposition Habiter des villes durables (2009–2013), appuyé par le SAC. L’exposition itinérante et évolutive, qui a obtenu un vif succès à travers le Québec, a permis de susciter une réflexion sur le développement durable en milieu urbain et d’aider les citoyens à acquérir des connaissances dans ce domaine pour qu’ils améliorent l’équilibre entre leur qualité de vie et leur environnement. «Grâce à l’UQAM, nos projets sont validés scientifiquement. Avec ses chercheurs, nous faisons avancer les connaissances en matière de recherche-action», souligne le directeur de l’Écomusée, qui est également chargé de cours au Département d’histoire de l’art de l’UQAM depuis 2003.

René Binette et son équipe planchent en ce moment sur une nouvelle politique de collection écomuséale. «Nos collections ne sont pas seulement constituées d’objets, comme c’est le cas pour les musées d’art, mais aussi d’éléments appartenant au patrimoine immatériel. Établir une telle politique est une idée novatrice qui suscite un grand intérêt dans le milieu muséal», dit celui qui voyage désormais aux quatre coins du monde afin de présenter ce projet.

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 12, no 2, automne 2014.