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L’art qui fait du bien

Grâce à la musique, au théâtre ou au dessin, des personnes aux prises avec toutes sortes de conditions voient leur état s’améliorer.

Par Valérie Martin

11 avril 2014 à 8 h 04

Mis à jour le 12 novembre 2015 à 15 h 11

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Dessins réalisés dans une séance d’art-thérapie du psychologue Pierre Plante.

La professeure et musicothérapeute Debbie Carroll, du Département de musique, se souvient d’un petit garçon agressif, enfermé dans son mutisme, qu’elle avait rencontré durant ses années de stage en Allemagne. Un cas lourd dont personne ne voulait. «Durant les deux premières sessions, l’enfant repoussait les instruments de musique avec violence. Je ne savais que faire», se remémore la professeure, qui enseigne la musicothérapie à l’UQAM depuis 1985. «Puis, lors de la troisième séance, j’ai fait jouer une berceuse perse au petit, qui s’est mis à l’écouter avec une grande attention. Les traits de son visage se sont détendus au fur et à mesure que les notes se succédaient. Il m’a demandé de refaire jouer la pièce, puis encore et encore. Il ne voulait plus que la musique s’arrête!» La berceuse rappelait à cet enfant d’origine iranienne de beaux souvenirs liés à sa mère.

Le guitariste classique Matthieu Léveillé (B. Mus., 08) occupe une place privilégiée auprès des malades de l’unité de soins palliatifs de l’Hôpital de Verdun. Depuis 2011, il agit comme musicien au sein d’une équipe multidisciplinaire composée entre autres de médecins et de psychologues. «Mon mandat est de rendre le séjour des patients en fin de vie plus humain», explique le doctorant en études et pratiques des arts, qui accompagne parfois les patients jusqu’à leur dernier souffle au son de leur musique préférée.

«Pour les enfants, aller voir un art-thérapeute est moins confrontant que d’aller voir un psychologue. Ils n’ont pas l’impression d’être en thérapie et ils craignent moins d’être jugés.»

pierre plante

Professeur au Département de psychologie

L’art-thérapie et l’accompagnement par les arts peuvent aider des gens de tous les âges, des tout-petits aux vieillards, aux prises avec différentes situations, que ce soit la maladie, un handicap, un abus sexuel ou la dépression. Il suffit d’un espace – un bureau, un atelier, une chambre d’hôpital – où jouer, bouger, chanter, écouter de la musique, peindre ou dessiner, seul ou en groupe. On attribue à ces méthodes d’intervention des bienfaits physiques et mentaux: grâce à la musique, au théâtre ou au dessin, les participants verront leur stress diminuer, dormiront mieux ou se sentiront plus en confiance. Dans certains cas, on parle d’une véritable transformation personnelle.

Parmi les participants, certains n’auraient jamais mis les pieds au musée ou dans une salle de concert. «L’accompagnement par l’art est un moyen de rendre l’art accessible à des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale ou vivant d’aide sociale qui autrement n’y auraient pas accès», souligne Mona Trudel (M.A. arts plastiques, 96), professeure au Département des arts visuels et médiatiques.

Les intervenants œuvrent dans des hôpitaux, des organismes communautaires, des centres d’hébergement, des maisons de soins palliatifs ou pratiquent en bureau privé. Chaque séance, qu’elle soit menée par un thérapeute spécialisé dans les arts (art-thérapeute, musicothérapeute, dramathérapeute) ou un moniteur (éducateur somatique, éducateur artistique) ne vise qu’une seule chose: le bien-être de la personne.

L’accompagnement par l’art et l’art-thérapie sont toutefois des méthodes d’intervention distinctes. «L’art-thérapie puise ses fondements dans la psychologie alors que l’accompagnement par l’art est une forme de relation d’aide qui n’a pas de visée psychothérapeutique à proprement parler, explique le professeur et art-thérapeute Pierre Plante (Ph.D. psychologie, 05), du Département de psychologie. Un art-thérapeute détient une maîtrise dans le domaine et une double formation en beaux-arts et en psychologie.»

L’art, source de joie

L’art est souvent synonyme de plaisir et de joie. «En soi, l’art fait du bien», observe Mona Trudel. Son collègue Pierre Plante souligne que la thérapie par l’art comporte une dimension ludique. «Pour les enfants, aller voir un art-thérapeute est moins confrontant que d’aller voir un psychologue, dit-il. Ils n’ont pas l’impression d’être en thérapie et ils craignent moins d’être jugés.»

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Activités en arts plastiques avec des enfants à la clinique du Docteur Julien.

Maud Gendron-Langevin (B.A. art dramatique enseignement, 07), professeure à l’École supérieure de théâtre, est également dramathérapeute. Elle a cofondé l’organisme NouZ’autres, qui offre des activités d’intervention théâtrale à des groupes marginalisés ainsi que des services de dramathérapie, soit l’utilisation des outils traditionnels du théâtre (personnages, masques, etc.) à des fins de croissance personnelle. «Dans nos interventions, il y a d’abord un réel plaisir de créer, de jouer et d’être en connexion avec les autres qui s’installe, observe-t-elle, même si les séances peuvent être ponctuées d’exercices plus difficiles qui font resurgir de la tristesse ou un blocage lié à de mauvaises expériences.»

Dans le cadre de NouZ’autres, Maud Gendron-Langevin offre des ateliers de théâtre à des adultes  au début de la vingtaine qui souffrent d’autisme, de déficience intellectuelle ou de dysphasie. Lors d’une session, la troupe a décidé d’écrire et d’interpréter une pièce de théâtre sur le thème du rêve. L’œuvre fut un véritable plaidoyer en faveur de la différence et de la liberté. «Les participants ont interprété des rôles de destructeurs de rêves; une série de portraits qui représentaient leurs parents ou des enseignants de leur milieu pas toujours à l’écoute de leur différence et parfois maladroits dans leur volonté de les protéger», raconte la professeure.

Stéphanie Connors (B.A. danse, 04) enseigne la danse à l’École secondaire Lucien-Pagé, en plein quartier multiethnique, à Montréal. Pour elle, la danse est un langage universel. «Il y a plus de 80 langues différentes parlées dans l’école, dit-elle, mais quand on arrive au studio, tout le monde se comprend!» La danse aide à renforcer la confiance et l’estime de soi, souligne la jeune enseignante. «Les adolescents sont obsédés par leur image corporelle: je leur répète que leur différence d’allure ou de silhouette est un atout pour la troupe. J’essaie de miser sur leurs bons coups, de les amener à voir leurs progrès et à les reconnaître.» Selon elle, les cours de danse constituent une bouée de sauvetage pour bon nombre d’élèves: plusieurs lui ont d’ailleurs confié que la danse les empêchait de décrocher!

«Les adolescents sont obsédés par leur image corporelle: je leur répète que leur différence d’allure ou de silhouette est un atout pour la troupe. J’essaie de miser sur leurs bons coups, de les amener à voir leurs progrès et à les reconnaître.»

stéphanie connors

Enseignante en danse à l’école secondaire Lucien-Pagé

Bouger, un pas à la fois!

Lucie Beaudry (B.A. design graphique, 95; M.A. danse, 12) enseigne différentes techniques du mouvement en utilisant les principes de l’éducation somatique, une méthode qui regroupe plusieurs approches corporelles comme le Feldenkrais et la gymnastique holistique et qui permet d’augmenter l’aisance, la précision et l’efficacité du mouvement par le développement de la conscience du corps. «Les gens ont toutes sortes de contraintes à cause d’accidents de la route, de blessures sportives ou de problèmes inflammatoires, dit-elle. Mon rôle est de les amener à bouger de manière confortable en fonction de leur historique corporel.»

Les gains obtenus pendant les séances peuvent être rapides, dit la professeure, qui enseigne, entre autres, à des personnes âgées. «Après une série d’exercices, une dame sera capable d’enfiler ses chaussures debout, parce qu’elle réussit désormais à garder son équilibre; une autre regagnera de la mobilité parce que ses chevilles sont plus souples et qu’elle aura moins peur de se blesser en glissant sur les trottoirs glacés.»

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Cours de danse de Stéphanie Connors. Photo: AQEDE/Andrea de Keijzer

Ces changements ont une grande incidence sur la vie des participants, qui peuvent appliquer dans leur quotidien les notions apprises durant les ateliers et développer ainsi des stratégies pour améliorer leur bien-être. La professeure du Département de danse Sylvie Fortin, qui enseigne l’éducation somatique dans le cadre de la maîtrise en danse et du diplôme d’études supérieures spécialisé dans le domaine, a mené trois projets de recherche-action avec des femmes souffrant de dépression, de troubles alimentaires ou de fibromyalgie. «Des femmes fragilisées qui ont parfois un rapport complexe avec leur corps, une difficulté à l’habiter», dit-elle. Les femmes devaient suivre une série d’ateliers en petits groupes où elles étaient invitées à bouger lentement une épaule, un orteil, un bras… «Les pensées affectent le corps et le corps affecte les pensées, explique la professeure. En travaillant avec les mouvements, on peut faire cesser les ruminations négatives.»

Pendant plusieurs années, la professeure a d’abord enseigné l’éducation somatique aux danseurs dans le but de raffiner leurs capacités expressives et techniques, avant de se pencher sur la santé des danseurs et la prévention des blessures en utilisant la même approche. «Je me suis alors intéressée au mieux-être par le mouvement en général», dit-elle. L’une de ses étudiantes, qui en avait souffert pendant son adolescence, lui a alors proposé d’appliquer l’éducation somatique aux troubles alimentaires. L’approche, qui a par la suite été adaptée à d’autres conditions, se veut en effet un outil de transformation personnelle et de prise de pouvoir sur soi-même.

«Nous travaillons avec la personne et non avec sa pathologie. Nous nous intéressons à ses possibilités plutôt qu’à ses contraintes. Parfois, c’est aussi minime que de créer avec elle une danse avec les doigts!»

Mona trudel

Professeure au Département des arts visuels et médiatiques

Mona Trudel donne le cours «Accompagnement par l’art et l’éducation artistique dans la communauté», qui offre la possibilité aux étudiants de réaliser un projet artistique dans des organismes œuvrant auprès d’enfants et d’adultes vulnérables ou à risques. Cela peut être des femmes immigrantes, des personnes souffrant de maladies graves, des personnes âgées ou des enfants aux prises avec des difficultés d’apprentissage. Les étudiants apprennent dans ce cours à s’adapter à chaque cas et à entrer dans la bulle de l’autre par la création. «Nous travaillons avec la personne et non avec sa pathologie, dit Mona Trudel. Nous nous intéressons à ses possibilités plutôt qu’à ses contraintes. Parfois, c’est aussi minime que de créer avec elle une danse avec les doigts!»

Une vision plus riche de la vie

Les approches thérapeutiques par l’art sont fort différentes des psychothérapies conventionnelles. «Dans les thérapies et l’accompagnement par les arts, nous ne sommes pas dans l’intellect. Le patient doit faire en quelque sorte un deuil de la logique et du contrôle», remarque Pierre Plante, qui est aussi président de l’Association des art-thérapeutes du Québec. «Le corps exprime autre chose que la parole. Les arts permettent d’avoir accès à certaines informations clés sur soi-même que la thérapie verbale ne peut faire ressortir», renchérit Lucie Beaudry.

«Dans nos interventions, il y a d’abord un réel plaisir de créer, de jouer et d’être en connexion avec les autres qui s’installe, même si les séances peuvent être ponctuées d’exercices plus difficiles qui font resurgir de la tristesse ou un blocage lié à de mauvaises expériences.»

Maud gendron-langevin

Professeure à l’École supérieure de théâtre

Le rôle de l’intervenant en art-thérapie est également fort différent. «C’est la personne elle-même qui est amenée à interpréter son œuvre et non le psychologue. Cela l’amène à prendre conscience qu’il existe plusieurs interprétations possibles», avance Pierre Plante. «Le dramathérapeute n’est pas un expert qui te dit quoi faire et ce qui est bon pour toi. Il est en situation de jeu lui aussi, ajoute Maud Gendron-Langevin. La dramathérapie, c’est une coconstruction entre le patient et l’intervenant.»

Selon Pierre Plante, les méthodes d’intervention par les arts aident les patients à voir la vie autrement. «Ils en ressortent avec une vie plus riche et une autre manière de voir les choses, car l’art leur apprend qu’il existe plusieurs interprétations et solutions possibles à un problème.» Le processus d’expérimentation fait partie de la création, poursuit le professeur. «Il faut essayer des choses, se risquer, bref expérimenter avant d’arriver à la création finale, à un idéal. Si on peut le faire en art, pourquoi ne pas reproduire cela dans la vie au quotidien?»

Mona Trudel rappelle que les interventions inspirées par l’art ne visent pas à créer des chefs-d’œuvre. «Ce n’est pas le résultat ou l’œuvre qui importe, souligne-t-elle. Le plus important, c’est le processus, c’est de ressentir du bien-être, de retrouver le moyen de s’exprimer et d’arriver à s’épanouir. L’art ne change peut-être pas le monde, mais il peut changer la vie de bien des gens.»

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 12, no 1, printemps 2014.