Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Une nouvelle ère s’amorce pour les Alouettes de Montréal. Leur quart-arrière étoile, Anthony Calvillo, a pris une retraite bien méritée après 20 saisons dans la Ligue canadienne de football (LCF) et un nouvel entraîneur-chef, Tom Higgins, a été nommé en février. Tous ces chambardements surviennent après une saison décevante: 8 victoires, 10 revers et une défaite en demi-finale de division. «Nous avons habitué nos partisans à une équipe gagnante et nous viserons à nouveau la Coupe Grey cette année», affirme avec aplomb Mark Weightman (M.B.A., 03), nommé président et chef de la direction du club en décembre dernier.
Très bien accueillie dans le milieu sportif, sa nomination s’inscrit dans la continuité pour l’organisation, que nul ne connaît mieux que lui. Le parcours du nouveau patron des Alouettes est en effet digne d’un scénario hollywoodien. C’est l’histoire d’un petit gars de Saint-André-d’Argenteuil, près de Lachute – né d’un père francophone et d’une mère anglophone – qui, après avoir obtenu un poste de stagiaire à 23 ans, a gravi tous les échelons de l’entreprise pour en devenir président! Bien sûr, il a dû relever des défis, mais il a aussi connu des moments de bonheur intense (dont quatre victoires de la Coupe Grey!), sa petite amie des débuts est devenue sa femme et ils ont aujourd’hui deux enfants. Même le groupe U2 aura un rôle à jouer dans le film!
Un stage payant
Ancien joueur de l’équipe de football du cégep John-Abbott, Mark Weightman a tenté sa chance avec les Stingers de l’Université Concordia au début de ses études en commerce. «Avec mon gabarit, j’ai rapidement réalisé qu’il était préférable que je troque mes épaulettes contre un travail de bureau», raconte-t-il en riant.
À la fin de son baccalauréat, attiré par le marketing et le milieu sportif, il essaie de décrocher un poste au sein d’une équipe professionnelle. «La meilleure façon de mettre les pieds dans une organisation sportive est d’y effectuer un stage non rémunéré», explique-t-il. Alors il cogne à toutes les portes: les Canadiens, l’Impact, les Expos et toutes les équipes canadiennes de la LCF…. sans succès. «Un soir, pour passer le temps en attendant ma blonde, je consultais ma liste d’équipes et je suis tombé sur les Stallions de Baltimore, une équipe de l’expansion américaine de la LCF qui venait de connaître une bonne saison. Je me suis rappelé que j’avais un oncle et une tante qui habitaient à Bethesda, près de Washington, à une soixantaine de kilomètres de Baltimore. J’ai donc écrit au vice-président marketing de l’équipe.»
«Avec mon gabarit, j’ai rapidement réalisé qu’il était préférable que je troque mes épaulettes contre un travail de bureau.»
La réponse a été positive et Mark Weightman a passé la saison 1995-1996 en stage à Baltimore. «J’ai été affecté à plusieurs secteurs – produits dérivés, commandites, billetterie, production de match. J’ai appris comment fonctionnait une organisation sportive», se rappelle-t-il. Cette année-là, les Stallions de Baltimore ont remporté la Coupe Grey!
Peu après son retour à Montréal, il reçoit un appel du propriétaire des Stallions, Jim Speros, qui souhaite le rencontrer. Celui-ci lui annonce que la LCF dissout ses équipes américaines et que les Stallions deviendront les Alouettes de Montréal dès la prochaine saison. Mark Weightman est l’un des premiers employés à être engagé, comme coordonnateur du marketing. «Nous étions à la fin février et il fallait préparer la saison qui débutait à la fin juin!»
Un concert providentiel
Les Alouettes – qui avaient joué à Montréal de 1946 à 1987 (de 1982 à 1987, l’équipe s’appelait les Concordes) – disputent la saison 1996 au Stade olympique, remportant 12 victoires en 18 matchs. Le 1er mars 1997, Bob Wetenhall achète l’équipe et nomme Larry Smith, ancien commissaire de la LCF et ancien joueur des Alouettes, au poste de président et chef de la direction. Alors que le club amorce sa deuxième saison depuis son retour à Montréal, les recettes aux guichets – avec une moyenne de 9 000 spectateurs par match – n’augurent rien de bon.
Sur le terrain, toutefois, l’équipe est compétitive. Elle récolte 13 victoires contre 5 revers et se taille une place en séries éliminatoires. «Quand nous avons demandé à la Régie des installations olympiques de réserver le Stade pour le match éliminatoire du 2 novembre, on nous a répondu que c’était impossible parce qu’un concert de U2 était programmé pour cette date», raconte le gestionnaire. La LCF ne souhaitant pas modifier la date du match, deux choix s’offraient aux Alouettes: abandonner les avantages d’une partie à domicile et la disputer à Vancouver (leurs adversaires étaient les Lions de la Colombie-Britannique) ou trouver un autre stade.
«Nous avions trouvé le salut de la concession: un stade au cachet vieillot en plein air, au centre-ville, où les spectateurs sont près de l’action.»
«Nous avons visité le stade Percival-Molson de l’Université McGill trois semaines avant le match, se rappelle Mark Weightman. Il était dans un tel état de délabrement! Un arbre avait poussé au beau milieu des gradins. Nous avons ouvert la porte de l’une des toilettes et un raton-laveur est sorti! Nous avons dû investir des sommes importantes pour le rendre fonctionnel. Il fallait tout faire: évaluer les structures pour s’assurer de la solidité des gradins, peinturer, réparer les toilettes, trouver des tourniquets, poser des pancartes signalétiques, indiquer les places sur les sièges, transférer les places des détenteurs de billets de saison, ajouter les logos des commanditaires sur le terrain. Je n’ai pas dormi pendant trois semaines!»
Le jeu en a valu la chandelle, puisque 16 252 spectateurs ont rempli le stade Percival-Molson. «L’ambiance était électrique! Nous avions trouvé le salut de la concession: un stade au cachet vieillot en plein air, au centre-ville, où les spectateurs sont près de l’action.» Les Alouettes l’ont emporté 45-35 contre les Lions. Le lendemain, un journal montréalais a écrit que ce match était l’événement sportif de la décennie à Montréal. «Et cela, dans la même décennie que la Coupe Stanley de 1993!», souligne fièrement Mark Weightman.
La semaine suivante, plus de 400 détenteurs de billets de saison ont appelé pour indiquer qu’ils renouvelleraient leurs billets uniquement si les matchs avaient lieu dorénavant au stade Percival-Molson. On connaît la suite: les Montréalais ont adopté les Alouettes et l’équipe est devenue l’une des meilleures de la ligue.
Le nouveau président du club se rappelle avec émotion le championnat de 2002. «Cela faisait plus de 25 ans que les Alouettes avaient remporté la Coupe Grey, précise-t-il. Au défilé sur la rue Sainte-Catherine, il y avait près de 300 000 personnes. C’était impressionnant.»
Au fil des saisons gagnantes – l’équipe a remporté la Coupe Grey à deux autres reprises, en 2009 et 2010 –, les Alouettes se sont taillé une place de choix dans le cœur des partisans. «Notre but est de développer un sentiment d’appartenance et c’est pourquoi nous sommes fiers d’embaucher des joueurs francophones. Et ils ne sont pas là uniquement pour faire de la figuration, ils sont parmi les meilleurs», dit le chef de l’organisation.
Des outils en gestion
Les Alouettes, qui ont aujourd’hui un bail à long terme avec l’Université McGill et qui agissent à titre d’opérateurs du stade Percival-Molson, y ont investi beaucoup d’argent au fil des ans. Promu vice-président aux opérations et aux événements en 2002, Mark Weightman a supervisé les deux projets majeurs de rénovation, en 2003 et 2010. Le stade délabré de l’époque compte aujourd’hui 25 000 sièges et un écran vidéo.
C’est pour obtenir les outils lui permettant de gérer ce genre de projets que Mark Weightman s’est inscrit à l’ESG UQAM, en 2001, au programme de MBA. «Comme c’était un programme pour cadres en exercice, j’étais parmi les plus jeunes, dit-il. J’y ai rencontré des gens expérimentés du milieu des affaires desquels j’ai beaucoup appris.» Ces études lui ont servi aussi pour l’organisation des festivités entourant le match de la Coupe Grey à Montréal, en 2008, qui a attiré plus de 66 000 spectateurs au Stade olympique. Un match qui s’est terminé par une défaite crève-cœur de 22-14 contre les Stampeders de Calgary… un souvenir encore douloureux pour Mark Weightman.
Jouer un rôle actif
Il y a toutefois plus que le football dans l’univers du p.-d.g. des Alouettes, qui a à cœur de nouer des liens durables avec les partenaires de l’équipe. En bon citoyen corporatif, celle-ci organise chaque année une collecte de sang avec Héma-Québec et participe au programme Blitz contre la faim de Purolator, qui consiste à recueillir des dons en aliments non périssables ou en argent lors d’un match. Quelques joueurs visitent aussi des hôpitaux pour enfants, un classique de l’engagement sportif. «Nous ne voulons pas nous contenter de jouer au football et de vendre des billets, précise Mark Weightman. Nous voulons jouer un rôle actif dans la société québécoise.»
«On oublie souvent qu’il n’existe pas de ligue mineure professionnelle de football au Québec. Pour y jouer, il faut étudier et réussir à l’université.»
Voilà pourquoi le chef de la direction est particulièrement fier du programme Ensemble à l’école, parrainé par les Alouettes depuis 1998 – le CN s’est joint à l’aventure en 2001. Ce programme veut à la fois faire la promotion de l’activité physique et encourager les jeunes à la persévérance scolaire. «Nos joueurs sont les meilleurs porte-paroles de cette cause, car ils détiennent tous un baccalauréat, affirme Mark Weightman. On oublie souvent qu’il n’existe pas de ligue mineure professionnelle de football au Québec. Pour y jouer, il faut étudier et réussir à l’université.»
Une quinzaine de joueurs visitent chaque hiver des écoles primaires et secondaires. Le programme offre aussi des séances de tutorat en collaboration avec des étudiants universitaires en enseignement. «L’an dernier, nous avons visité 126 écoles, rejoignant plus de 60 000 étudiants du primaire et du secondaire», précise le président des Alouettes.
Au cours des prochaines années, les Alouettes souhaitent s’engager davantage auprès de Football Québec, qui régit le développement du football amateur dans la province. «Il y a quatre fois plus d’équipes de football au Québec aujourd’hui qu’en 1996, souligne Mark Weightman. Sauf qu’il manque cruellement d’entraîneurs qualifiés pour encadrer les jeunes. Nous souhaitons participer à la formation de ces entraîneurs, car c’est notre relève qu’ils ont entre leurs mains.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 12, no 1, printemps 2014.