Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Dans les cliniques de fertilité, les parents en devenir vivent souvent des montagnes russes d’émotions. La psychologue Danièle Tremblay (M.A. psychologie, 84) partage leurs espoirs et leur bonheur, mais aussi leurs frustrations, leurs angoisses et parfois leurs deuils. «Travailler en fertilité est bouleversant», souligne la spécialiste, qui agit comme consultante pour différentes cliniques privées et qui a célébré l’an dernier ses 30 ans de pratique.
C’est dans les années 1980, à l’Hôpital Saint-Luc de Montréal — à l’époque l’un des rares établissements employant des psychologues dédiés à la gynécologie-obstétrique — que Danièle Tremblay a eu la piqûre pour la périnatalité. «Je me suis toujours intéressée à la psychologie du développement, se rappelle-t-elle. Or, la grossesse et l’anxiété qui lui est associée, l’accouchement et ses difficultés, le post-partum et l’adaptation à la présence d’un enfant, les problèmes de fertilité et le passage du couple à une famille sont autant de moments existentiels importants liés au développement psychologique des femmes surtout, mais aussi des hommes.»
En travaillant étroitement avec sa collègue Nicole Reeves (M.A. psychologie, 83), Danièle Tremblay a contribué à développer dans les années 1990 un programme de stages en périnatalité pour les étudiants de cycles supérieurs de l’UQAM, de l’Université de Montréal et de l’École des psychologues cliniciens de Paris. «Il s’agissait du premier programme du genre au Québec, précise-t-elle avec fierté, et Nicole Reeves a perfectionné la formation après mon départ.»
Danièle Tremblay a quitté le CHUM en 2000 pour se consacrer aux problèmes psychologiques entourant l’infertilité et la procréation assistée. «Je me suis intéressée à la fertilité parce que la souffrance et la détresse des femmes stériles étaient immenses», explique celle qui est devenue l’une des rares spécialistes dans ce domaine, rapidement appréciée des médias, à une époque où les cliniques de fertilité attiraient moins l’attention qu’aujourd’hui.
Depuis 2010, le Programme de procréation médicalement assistée (PMA) du gouvernement du Québec rembourse les frais liés aux traitements de fertilité pour les femmes et les couples. «Cela a diversifié la clientèle, remarque Danièle Tremblay. Il y a toujours des couples hétérosexuels, mais on voit aussi plusieurs femmes célibataires, des conjoints de même sexe et des mères porteuses.»
Toutes les personnes suivant un traitement de fertilité doivent rencontrer un psychologue afin que ce dernier évalue leur compréhension du parentage et leur perception du processus et de ses implications. «Mon rôle est de les soutenir et de déceler des problèmes majeurs qui pourraient nuire à la conception», note la psychologue. La psychothérapie aide à traiter des dépressions et des problèmes d’adaptation, mais aussi des problèmes psychosomatiques. «C’est là parfois que réside le mystère de la grossesse, explique-t-elle. Une trop grande anxiété, par exemple, peut nuire à la fécondation.»
Le deuil périnatal, autre domaine peu fouillé par les psychologues, est omniprésent dans la dynamique des traitements de fertilité. «Les femmes font souvent des fausses couches, observe Danièle Tremblay. Et contrairement à ce que les gens pensent, le deuil qui survient lorsqu’une femme perd son bébé avant 12 semaines de grossesse est plus complexe que lorsque le foetus est plus âgé, car il y a souvent moins de sollicitude de la part des proches.»
De l’insémination artificielle à la fécondation in vitro, la spécialiste a assisté à l’évolution des technologies. «Au début, le donneur de sperme était dans une pièce et la dame à inséminer dans une autre, se rappelle-t-elle. Il n’y avait rien de congelé! Aujourd’hui, on ne sourcille même plus à l’évocation d’un double don — d’ovule et de sperme.»
Les avancées de la science invitent toutefois à une réflexion sur l’identité et la filiation, observe Danièle Tremblay. «Dans les débats entourant la PMA, toute la place est occupée par des médecins et des biologistes qui repoussent les limites médicales. Ce sont de belles prouesses, en effet, mais il ne faut pas oublier qu’il y a un être humain qui naît en bout de piste.» Comment, par exemple, une petite fille va-t-elle comprendre ce qu’est une femme et la sexualité si elle a été conçue à l’aide d’un don d’ovules et d’une mère porteuse? «On doit être conscient des enjeux identitaires, car chaque enfant veut connaître ses origines, note la psychologue. Les futurs parents doivent être préparés à répondre à ce type d’interrogation. C’est aussi mon rôle de les amener à réfléchir sur ces questions.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 12, no 2, automne 2014.