Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
L’aventure commence à l’UQAM, en janvier 1999. Une poignée de finissants du baccalauréat en communication, passionnés de cinéma, se donnent pour défi de réaliser un film par mois pendant un an, jusqu’au nouveau millénaire. Leur devise: Faire bien avec rien, faire mieux avec peu, mais le faire maintenant. C’est ainsi que naît le collectif de cinéastes indépendants Kino. Fort aujourd’hui de quelque 1500 membres, il continue de soutenir la production et la diffusion de courts métrages (fiction, documentaire, animation) dans un esprit non compétitif.
Au début, les courts métrages étaient présentés dans des bars ou des cafés. «L’important était d’avoir un écran et un endroit pour montrer nos films et échanger avec le public, d’où l’idée, qui a perduré, d’organiser chaque mois une soirée de projections», explique Christian Laurence (B.A. communication, 98), réalisateur du film Le journal d’Aurélie Laflamme. «À cette époque, où les caméras numériques et les logiciels de montage étaient encore peu répandus, l’UQAM nous a permis d’avoir accès à du matériel de tournage et à des salles de montage», raconte la cinéaste et chargée de cours à l’École supérieure de théâtre Eza Paventi (B.A. communication, 97; M.A. art dramatique, 02), qui a collaboré au projet Wapikoni Mobile et réalisé, entre autres, D’Est en Ouest, pour lequel elle a reçu le Gémeaux de la meilleure websérie documentaire en 2009.
Les deux cinéastes comptent parmi les fondateurs de Kino avec Stéphane Lafleur (B.A. communication, 99), réalisateur de Continental, un film sans fusil et de Tu dors Nicole, présenté au dernier festival de Cannes, et Jéricho Jeudy, réalisateur, monteur et cadreur. D’autres diplômés, qui font maintenant carrière au cinéma et à la télé, sont aussi passés par Kino, dont le cinéaste et professeur à l’École des médias Loïc Guyot (M.A. communication/multimédia interactif, 00), la directrice photo Geneviève Perron (B.A. communication, 04) et le concepteur télé Iann Saint-Denis (M.A. communication/multimédia interactif, 01).
Christian Laurence se souvient du premier Kino Kabaret, un laboratoire d’expérimentation lancé en 2001 au Festival du nouveau cinéma à Montréal. «Nous avions invité des apprentis cinéastes à réaliser des courts métrages en un court laps de temps, 48 heures, en collaborant les uns avec les autres, puis à les présenter devant public.» Depuis, le Kino Kabaret a lieu chaque année à l’automne.
Ce concept original, qui a connu beaucoup de succès, est à l’origine de l’expansion du mouvement Kino, au Québec et ailleurs sur la planète. «Le Kino Kabaret de Montréal a fait venir des cinéastes d’un peu partout, qui, de retour dans leur pays, ont repris le concept en l’adaptant à leur réalité», note Eza Paventi. Kino a ainsi favorisé la naissance de plus de 60 cellules dans une vingtaine de pays sur tous les continents. La dernière a été créée l’été dernier à Gaza, en Palestine.
Pour Christian Laurence et Eza Paventi, le cinéma indépendant est synonyme de liberté. «Le court métrage dont je suis le plus fier est L’éducation nautique. J’ai tourné ce film en une journée, avec une vieille caméra 16 mm, dans le cadre du festival de Trouville, en France, après avoir écrit le scénario la veille», confie Christian Laurence. «Les films produits chez Kino ne sont pas tous de qualité égale, reconnaît Eza Paventi, mais plusieurs petits bijoux ont vu le jour et ont circulé dans de nombreux festivals à l’étranger.»
Kino s’est taillé une place dans le paysage cinématographique québécois en multipliant les événements et en établissant des partenariats avec des bailleurs de fonds gouvernementaux (conseils des arts) et privés (Mouvement Desjardins notamment), mais aussi avec l’industrie. En plus d’offrir un soutien technique, le collectif a lancé en mars 2014 le programme Macro Kino qui permet d’encadrer des réalisateurs émergents pour les aider à développer leurs compétences professionnelles. Chaque mois, un réalisateur est sélectionné parmi divers candidats. Il dispose de huit semaines pour concrétiser son projet avec l’appui logistique du groupe. Son film est ensuite présenté en vedette lors des soirées mensuelles.
Au fil de ses 15 ans d’existence, Kino s’est transformé en un tremplin vers le milieu professionnel, à l’instar de la Ligue nationale d’improvisation, qui a permis à de jeunes comédiens assoiffés de théâtre de faire leurs premières armes. «Parmi ceux qui ont fréquenté Kino, certains sont devenus des cinéastes établis, comme Philippe Falardeau, Denis Côté, Stéphane Lafleur et Raphaël Ouellet, tandis que d’autres travaillent à titre de preneur de son, de directeur photo, d’éclairagiste ou de comédien», souligne Christian Laurence. «Kino est un incubateur de talents qui permet à des jeunes d’explorer et d’acquérir de l’expérience, observe Eza Paventi. C’est une école de création extraordinaire où chacun a droit à l’erreur.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 12, no 2, automne 2014.