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Serge Lareault : tout un itinéraire!

Par Valérie Martin

15 avril 2013 à 0 h 04

Mis à jour le 28 août 2018 à 11 h 08

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

Avant de se retrouver à la barre de L’Itinéraire, Serge Lareault (B.A. communication, 93), éditeur et directeur général de ce groupe communautaire, n’avait pas une très haute estime des itinérants. «Je croyais que c’était des cas désespérés et que tout ce que l’on pouvait faire pour eux, c’était du palliatif», lance le récipiendaire du prix Persillier-Lachapelle 2012, un prix que lui a remis le ministère de la Santé et des Services sociaux pour son engagement au sein de l’organisme depuis 19 ans.

À l’automne 1993, après avoir été relationniste, journaliste, infographiste et vendeur de publicité, Serge Lareault se joint, comme rédacteur en chef, à L’Itinéraire, un organisme fondé pour aider à la réinsertion des personnes de la rue. «L’organisme voulait créer un journal de rue vendu par des itinérants à l’image de Street News, un concept new-yorkais qui faisait boule de neige.»

Six mois plus tard, la première édition du journal L’Itinéraire voit le jour à Montréal. C’est le début d’une aventure qui bouleversera la vie et la vision du monde de Serge Lareault. «J’ai compris qu’il fallait non pas transformer l’humain pour l’adapter au monde du travail, mais faire l’inverse. Nos camelots sont soit trop vieux, soit trop malades pour réintégrer le milieu traditionnel du travail, d’où la pertinence d’organismes comme L’Itinéraire, qui offre aux plus démunis un travail adapté à leurs capacités tout en les aidant à se prendre en main.»

Les journaux de rue sont une alternative à la mendicité, rappelle le directeur, précisant que la vente de journaux constitue une véritable thérapie pour certains grands toxicomanes. «Nous apportons le travail et la dignité d’abord, dit-il. Grâce à ce travail, les sans-abris retrouvent une place dans la société et le goût de vivre.» L’équipe d’intervenants psychosociaux de l’organisme les aide par la suite à trouver un logement social et à entreprendre, au besoin, une cure de désintoxication.

Les camelots, au nombre de 125 environ, trouvent aussi à L’Itinéraire un milieu de vie et une communauté. Pour ceux qui fréquentent l’organisme, il est possible de manger une bouchée au Café L’Itinéraire et d’apprendre les rudiments de la rédaction journalistique. «Un de nos camelots a suivi un traitement contre l’hépatite C comportant beaucoup d’effets secondaires. Après en avoir parlé dans le journal, il a reçu de nombreux encouragements. Sans un tel soutien, cet homme n’aurait pas eu la force de suivre son traitement jusqu’au bout», affirme le directeur de l’organisme.

Depuis 2006, Serge Lareault assume la présidence du Réseau international des journaux de rue/International Network of Street Papers (INSP). Sous sa gouverne, l’INSP est devenu un leader reconnu par l’ONU et l’Union européenne en matière de lutte à la pauvreté dans les pays industrialisés. «On dénombre 120 journaux de rue répartis dans 40 pays. En Afrique, nous en avons mis cinq sur pied récemment. Environ 27 000 itinérants vendent un journal de rue par année; c’est 6,5 millions de lecteurs par édition.» Le Réseau a par ailleurs sa propre agence de presse et fournit à ses membres des reportages provenant de toutes les régions du monde.

En 2013, L’Itinéraire compte lancer une nouvelle maquette et aborder de nouveaux thèmes dans ses pages. «Nous allons publier des pistes de solution locales et internationales afin d’éradiquer la pauvreté. Nous voulons devenir une sorte d’état du monde social, mis à jour chaque année. Si la revue Québec Science est la référence en matière scientifique, pourquoi L’itinéraire ne pourrait-elle pas l’être dans le domaine social?», demande-t-il. Serge Lareault souhaite vendre la revue aux quatre coins du Québec «par abonnement ou dans des organismes». Il souhaite également doubler le nombre de camelots à Montréal. «Il y a encore des quartiers où l’on n’en trouve pas.»

Malgré tout, celui qui se décrit comme un entrepreneur social a encore du mal à sensibiliser les organismes subventionnaires au sort des sans-abris. «La cause des enfants malades est plus facile à vendre que la détresse des gens de la rue», dit-il. Son rêve? Que les ventes du journal génèrent des revenus de un million de dollars, «afin de couvrir les frais du service psychosocial et d’être moins dépendant des subventions».

Serge Lareault compte écrire un livre sur l’historique des journaux de rue, une innovation de l’économie sociale. «L’économie sociale est primordiale, dit-il, car un de ses moteurs est la réduction de la grande misère.»