Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Au volant de sa voiturette électrique, Joanne Lalumière (M.Sc. sciences de l’environnement, 87) zigzague entre la savane africaine, la forêt de l’Himalaya et un temple maya. Les girafes, pandas roux et jaguars qui peuplent les lieux lui jettent à peine un regard, trop occupés à lézarder au soleil ou à grignoter quelques branches de bambou. «L’époque des cages, c’est fini», dit la diplômée, qui a fait du Zoo de Granby une attraction de calibre international, avec 700 000 visiteurs par année. «Les visiteurs peuvent maintenant admirer les animaux comme s’ils étaient en safari.»
Au mois d’août dernier, Joanne Lalumière a pris sa retraite à titre de directrice générale de la célèbre institution de Granby. L’organisation l’a toutefois convaincue de rester en poste comme conseillère stratégique auprès du conseil d’administration. Pas question de se priver des services de cette battante qui, en 10 ans, a transformé le parc animalier, haussant son chiffre d’affaires annuel de 11 à 22 millions de dollars, tout en faisant fondre son empreinte environnementale comme neige au soleil, entre autres grâce à des mesures d’économie d’énergie.
Rien, pourtant, ne semblait destiner Joanne Lalumière, une géographe de formation qui a passé 23 années chez Hydro-Québec, à diriger un parc zoologique. Dans les années 1970, elle scrutait à la loupe les photographies aériennes noir et blanc prises par la société d’État pour déterminer où devraient passer les lignes électriques reliant les futurs barrages au sud de la province. Au fil des années, elle a gravi les échelons pour finalement superviser la réalisation des études d’impact sur l’environnement.
«J’ai toujours eu à cœur l’avenir de la planète», raconte la sexagénaire, lauréate (catégorie Moyenne Entreprise) du prix PDG Vert 2013 remis par le journal Les Affaires. «J’ai récemment retrouvé dans l’appartement de ma mère des articles que j’avais découpés à l’âge de six ans, à propos de menaces environnementales en Arctique et de gorilles africains en péril.»
À l’époque où elle travaille pour Hydro-Québec, Joanne Lalumière poursuit des études et complète, entre autres, une maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQAM. «J’ai adoré le côté pratique de l’UQAM, dit-elle. Le programme m’a donné des outils pour faire bouger les choses sur le terrain.» Ce programme multidisciplinaire original, qui a joué un rôle de pionnier au Canada et dans la francophonie, fête son 40e anniversaire cette année. Il compte plus de 1000 diplômés, dont plusieurs occupent des postes clés dans des secteurs reliés à la gestion de l’environnement.
Quand elle quitte Hydro-Québec, Joanne Lalumière fait un saut du côté de la consultation privée, mais se met rapidement à la recherche de nouveaux défis. Quand elle entend parler du poste au Zoo de Granby, une organisation à but non lucratif, elle fonce corps et âme. «Le salaire m’importait peu. J’aimais la mission de conservation de la nature et d’éducation du zoo.»
À son arrivée, en 2003, le jardin zoologique est menacé de perdre son accréditation auprès de l’Association mondiale des zoos, tant les installations sont vétustes. Mais, dès 2004, 61 millions de dollars sont sur la table pour procéder à la modernisation des lieux. «Il y avait une grande part d’argent public là-dedans, raconte-t-elle. Je ne devais pas gaspiller un seul sou.»
Joanne Lalumière consulte les plus grands experts en aménagement de parcs zoologiques. Elle fait venir un aménagiste de Singapour, reconnu pour son travail dans les grandes capitales du monde. «Il nous a proposé d’utiliser de nouvelles techniques de contention qui sont souvent invisibles pour le visiteur, explique l’ex-d.g. Tous les barreaux ont disparu. Quand vous regardez la savane africaine, vous avez l’impression que rien ne vous sépare des animaux. En réalité, il y a un étroit fossé qu’ils ne peuvent pas franchir.»
Lors des travaux de réaménagement, Joanne Lalumière tient tête à un ingénieur et insiste pour faire installer un système de géothermie qui servira à chauffer les pavillons. Elle fait aussi remplacer de vieux bassins qui fuient comme des passoires. Les émissions de gaz à effet de serre du zoo chutent de 21 %. La consommation d’eau, de 70 %!
Le travail n’est pas fini. Même si elle prend sa retraite, Joanne Lalumière continuera à superviser la modernisation du zoo. Elle aura toutefois plus de temps pour profiter de sa famille — qui comprend cinq chats rescapés — et de son terrain de trois arpents, sur lequel est aménagée une maison tricentenaire, à Varennes. Avec son mari, un infirmier retraité de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, elle compte aussi voyager. «On a attrapé la piqûre des safaris!»
Source :
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 11, no 2, automne 2013.