Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Auteur de pièces de théâtre à succès, parmi lesquelles Motel Hélène, 24 poses (portraits) et Les bonbons qui sauvent la vie, Serge Boucher a entrepris en 2002 l’écriture d’une première œuvre télévisuelle. Il lui aura fallu cinq années pour en venir à bout, mais le jeu en valait la chandelle. Présentée l’automne dernier à Radio-Canada, la télésérie Aveux a été acclamée par les critiques et a suscité l’engouement d’un public hétéroclite, heureux de se voir offrir une œuvre dense, à mille lieues des téléréalités qui occupent le devant de la scène depuis quelques années. «J’ai reçu une tonne de courriels chaque jour. Les gens ont été touchés par les personnages et se sont identifiés à eux», s’étonne avec candeur le dramaturge, peu habitué à ce déferlement de commentaires enthousiastes contrastant avec la relative confidentialité du milieu théâtral.
L’entrevue est à peine commencée que Serge Boucher (B. Ed. enseignement du français langue maternelle, 89) parle sans arrêt, à l’instar des personnages de ses pièces de théâtre. Comme eux, il ne termine pas la moitié de ses phrases, mais les idées et les émotions n’en sont pas moins parfaitement cohérentes. À l’évidence, il ne peut renier son «écriture du détour», comme il l’a baptisée lui-même. Non-dits, silences et sous-entendus, tout y est. «J’utilise une logorrhée de mots pour masquer le propos, qui se trouve ailleurs», expliquera-t-il plus tard au sujet de ses pièces.
René-Richard Cyr, qui a mis en scène les six dernières pièces de Boucher, a parfaitement réussi à illustrer le talent de l’auteur dans une entrevue accordée à la journaliste Sonia Sarfati, du journal La Presse. À propos du texte de 24 poses (portraits), créée à l’automne 1999 au Théâtre d’Aujourd’hui, il avait déclaré : «J’ai lu une page, deux, trois. C’était l’fun. Mais au bout de vingt-deux, j’ai commencé à trouver que c’était long avant qu’il se passe quelque chose. Je lisais, je lisais, et il n’arrivait toujours rien! J’étais en tabarnac. Puis, la fin m’est tombée dessus. Je ne l’avais vraiment pas vue venir. En fait, je n’en revenais pas de ne pas avoir remarqué ça, et ça… ou ça.» Serge Boucher en convient. Dans cette pièce, toutes les conversations des personnages pourraient très bien porter sur d’autres sujets sans que cela n’altère le fil conducteur, à savoir : «Comment peut-on passer sa vie les uns à côté des autres sans savoir de quoi l’autre est en train de vivre ou de mourir?»
Ce fil conducteur l’a également guidé dans l’écriture d’Aveux, une expérience pourtant bien différente de l’écriture théâtrale. «Si cela n’avait tenu qu’à moi, je n’aurais pas écrit une ligne de dialogue, j’aurais laissé parler le jeu des comédiens, dit-il en riant. Mais en télé, il faut prévoir plusieurs rebondissements et dire certaines choses.»
Il a visiblement réussi à s’adapter sans sacrifier son style unique. La saga familiale d’Aveux a connu un énorme succès grâce au secret, une des ficelles de la dramaturgie qui dessert bien l’auteur. «En gardant leurs secrets, les membres de cette famille se sont protégés les uns les autres par amour», explique Boucher, fier d’avoir mis en scène, comme dans quelques-unes de ses pièces, une famille de la classe moyenne. «Ce type de famille est sous-représenté dans les œuvres de fiction, ou alors trop souvent caricaturé», juge-t-il.
D’acteur à auteur
Né à Victoriaville, Serge Boucher a découvert le théâtre, et plus particulièrement l’œuvre de Michel Tremblay, à l’école secondaire. «J’allais dans les rayons de la bibliothèque le midi et je regardais les photos des acteurs dans les ouvrages consacrés aux pièces de Tremblay», se rappelle-t-il, sourire aux lèvres. Ce fut le début d’une véritable passion, qui l’a incité à s’inscrire au cégep Lionel-Groulx en interprétation théâtrale. «Je souhaitais devenir le meilleur acteur du Québec», raconte-t-il. Trois ans plus tard, le jeune homme savait que son rêve ne se réaliserait pas. Il n’est pas très explicite sur les raisons qui l’ont fait changer d’idée en cours de route, mais l’on entend dans ses phrases en suspens que son séjour collégial a été difficile.
La période qui a suivi, qu’il appelle sa période «tunnel», l’a été encore plus. «Je suis retourné vivre chez mes parents durant deux ans et j’ai travaillé dans le dépanneur qu’ils possédaient, dit-il. Ce fut une période solitaire, de grand ménage, au cours de laquelle j’ai beaucoup lu. Je savais à l’époque que je reviendrais au théâtre un jour, car ma passion était intacte, mais je ne savais pas de quelle façon.»
Son inscription à l’UQAM en enseignement du français au secondaire a constitué, de son propre aveu, un déclencheur qui a libéré sa créativité et lui a permis de trouver sa voie. Durant l’été précédant son entrée au bac, il a amorcé la rédaction de ce qui deviendra Natures mortes, sa première pièce. «J’avais besoin d’une stabilité dans ma vie et la perspective d’enseigner me l’a procurée. À partir de ce moment, tout a été facile.»
Certains auteurs doutent, mais Serge Boucher, lui, savait, «en toute humilité et avec énormément de prétention», dit-il en souriant, qu’il tenait un bon filon et que le ton de sa pièce en devenir était juste. L’avenir lui a donné raison. Après une lecture publique de Natures mortes au Centre des auteurs dramatiques, au printemps 1993, le directeur du Théâtre de Quat’sous, Pierre Bernard, le contacte et se montre intéressé à monter sa pièce l’automne suivant. Il le rappelle quelques semaines plus tard et lui annonce qu’il a trouvé un metteur en scène… Michel Tremblay! L’idole de Boucher a été séduit par le texte et allait signer sa première mise en scène à vie. «La pièce de Boucher, d’un pessimisme rare et courageux, d’une virulence de la misère existentielle, est traversée de bout en bout par une force incroyable qui tient à un dialogue aussi maniaque qu’économe», écrit le lendemain de la première le critique du Devoir, Robert Lévesque.
«Je refuse l’explication de la vie et de la société au théâtre, je ne souhaite pas écrire de pièces moralistes. J’aime créer un malaise, déstabiliser les gens et les forcer à prendre position. Soit ils aiment, soit ils détestent», affirme Serge Boucher, qui a par la suite écrit Motel Hélène (1995), 24 poses (portraits) (1999), Avec Norm (2004), Les bonbons qui sauvent la vie (2004), Là (2007) et Excuse-moi (2010), toutes mises en scène par René-Richard Cyr, une collaboration qui enchante l’auteur depuis le premier jour. «René-Richard sait lire et décoder un texte, en l’humanisant encore plus et en le portant sur la scène d’une façon exceptionnelle», dit-il.
La théâtralité de l’enseignement
Serge Boucher a enseigné le français pendant 17 ans à l’école secondaire Pierre-Bédard, à Saint-Rémi. Faut-il se surprendre de l’entendre raconter qu’il a aimé «jouer» au professeur? «J’ai adoré la théâtralité de l’enseignement, confie-t-il. Il faut développer des stratégies pédagogiques, puis inculquer une certaine discipline et, surtout, imposer des règles, comme au théâtre. Selon moi, chaque individu arrive à se dépasser en intégrant ces contraintes ou en les transgressant.» Cette stabilité professionnelle lui a permis d’écrire à son rythme. «J’ai conservé les mêmes horaires d’écriture qu’à l’époque, souligne-t-il avec amusement. Aujourd’hui encore, j’écris très tôt le matin ou tard le soir.»
Sa prochaine série télévisée, dont l’écriture est amorcée, devrait s’intituler Apparences. «Il y sera question encore une fois de la difficulté d’accepter les autres et de notre impuissance à les connaître vraiment», précise-t-il. Comme le répétait l’un des personnages d’Aveux : «Si seulement on pouvait être dans la tête de ceux qu’on aime…»
L’intensité dramatique devrait être une fois de plus au rendez-vous. «Mes pièces et mes séries ne sont pas roses, j’en conviens. Mais je fais ce métier en espérant toucher des gens comme j’aime être moi-même touché et bouleversé par certaines œuvres et certains spectacles…» Serge Boucher laisse dériver son regard par la fenêtre, faisant place à un autre de ces silences dont il a le secret. Puis il conclut : «Il n’y pas de meilleur moment que lorsque tout est noir au début d’un spectacle, parce que tout est possible et que notre vie va peut-être basculer.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 08, no 1, printemps 2010.