Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Des oiseaux volent la tête renversée. Des cimes d’arbres, fouettées par le vent, pointent vers le sol. Pour illustrer des émotions fortes – peur, tristesse, colère -, Janice Nadeau (B.A. design graphique, 02) utilise aussi bien les éléments de la nature, les traits d’un visage, que le décor. Cette jeune artiste de 33 ans, originaire de Gatineau, a remporté pour la troisième fois, en 2009, le Prix du Gouverneur général du Canada, ainsi que le Grand prix illustration du Concours Lux, pour ses illustrations d’Harvey, un album jeunesse d’Hervé Bouchard qui aborde l’imaginaire d’un petit garçon dont la vie bascule après la mort de son père. Le dessin de Janice Nadeau, d’une grande poésie, danse avec le texte et donne un rythme à la lecture du livre, ont commenté les membres du jury.
Après ses études à l’UQAM et en illustration à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, Janice Nadeau a amorcé sa carrière comme directrice artistique au sein d’agences de publicité. Devenue pigiste, elle a notamment signé l’affiche de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, ainsi que l’affiche de promotion du spectacle Corteo du Cirque du soleil. Ce sont toutefois ses illustrations de livres jeunesse qui lui valent une renommée nationale. En 2004, elle obtient un premier prix du Gouverneur général pour Nul poisson où aller de Marie-Francine Hébert et remporte de nouveau cette palme en 2008 pour Ma meilleure amie, de l’auteur Gilles Tibo.
Hypersensible et perfectionniste, Janice Nadeau angoisse chaque fois qu’elle entreprend une nouvelle création. Mais les projets difficiles la stimulent. Elle travaille avec lenteur, laissant mûrir les images qu’un récit fait surgir dans sa tête. «Je dois tomber en amour avec le texte dès la première lecture, lance-t-elle en souriant. J’aime les histoires qui laissent beaucoup de place à l’imagination, qui respectent l’intelligence du lecteur en évitant de lui fournir toutes les clés de compréhension.» Le plus important à ses yeux est la complicité avec le texte. «Je n’ai rencontré Hervé Bouchard, l’auteur d’Harvey, que trois fois en trois ans. J’étais seule avec ses mots, mais je sentais sa présence, car ses livres m’entouraient.»
Pour illustrer Ma meilleure amie et Harvey, Janice Nadeau a dû mettre en images le sujet grave et délicat de la mort. Elle a utilisé le fusain et le pastel pour représenter l’univers fragile, couleur cendre, de Ma meilleure amie, récit attendrissant d’un gamin hospitalisé que la grande faucheuse menace.
Dans Harvey, elle a choisi l’encre, le fusain et les pochoirs. «Ces médiums permettaient de conserver des traces, floues ou traînantes, du passage du père», explique-t-elle. Au milieu du livre, sur une double page au fond noir, Janice Nadeau fait apparaître dans la maison familiale la silhouette évanescente du père et évoque sa présence au moyen de petits losanges colorés représentant les motifs qui ornaient son chandail. «J’ai voulu montrer que la mort ne parvient jamais à tout effacer. Le souvenir de l’être disparu continue d’habiter l’espace, l’esprit et le cœur de ceux qui restent.»
L’auteur d’Harvey dit avoir aimé le trait de crayon «délicat, aérien, près de Chagall» de sa complice. Selon Janice Nadeau, ses propres illustrations et les mots d’Hervé Bouchard se font écho. «Le texte indique au lecteur comment regarder les images et les images l’aident à lire le texte», observe-t-elle.
Recrutée par l’agence montréalaise Anna Goodson, qui représente des illustrateurs et des photographes d’ici et d’ailleurs, Janice Nadeau obtient maintenant des contrats lui permettant d’accéder aux marchés américain, européen et asiatique. Un éditeur new-yorkais publiera bientôt ses illustrations de comptines pour enfants.
Même si elle a des projets jusqu’en 2012 avec des éditeurs de livres jeunesse, Janice Nadeau refuse de se cantonner dans ce seul créneau. Comme beaucoup d’illustrateurs, elle est une touche-à-tout qui s’intéresse aussi bien au graphisme publicitaire, au design textile, à la conception graphique de faire-part et d’invitations qu’aux dessins de vêtements.
«Pour survivre dans le monde de l’illustration, il faut être polyvalent et ne rien tenir pour acquis, dit-elle. Personnellement, j’ai besoin d’explorer différents sentiers. Quand je fais trop longtemps la même chose, j’ai tendance à m’ennuyer.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 08, no 1, printemps 2010.