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Drôle de sculpteur

Par Marie-Claude Bourdon

16 novembre 2009 à 0 h 11

Mis à jour le 28 août 2018 à 11 h 08

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

En octobre 2007, la Galerie de l’UQAM présente L’Engin, une forme ovoïde monumentale en ciment qui occupe la salle principale. Comment cet énorme objet a-t-il pénétré à l’intérieur de l’espace d’exposition? Interprétation libre d’un moteur d’avion Rolls-Royce, L’Engin fait référence à l’avion de passagers qui a mystérieusement disparu dans le ventre du Pentagone, le 11 septembre 2001. Devenu œuvre d’art, l’objet et l’espace qu’il occupe forcent le public à mesurer par l’absurde l’étendue de la disparition évoquée.

Quelques années auparavant, le Musée national des Beaux-arts du Québec attribuait par erreur, sur son site Internet, un faucon sculpté par un artiste inuit à Michel de Broin. S’amusant de cette situation, le sculpteur québécois réagit en fabriquant un pastiche de l’œuvre, à un détail près : son faucon est taillé dans un bloc de vulgaire savon, au lieu de la pierre à savon traditionnelle. Clin d’œil ironique, Savon fait désormais partie de la collection du Musée.

Les œuvres hétéroclites de Michel de Broin (M.A. arts plastiques, 97) reprennent souvent des objets ou des motifs existants. «Ma spécialité, dit-il : fabriquer de l’étrange avec des choses ordinaires.»

Parmi ses créations, Dead Star est une sculpture inquiétante composée de piles usagées. Shared Propulsion Car repose sur une carrosserie de voiture vidée de sa mécanique et équipée d’un pédalier pour chaque passager. L’oeuvre a fait sensation lors de sa mise en circulation, en 2005, à New York. À Toronto, l’arrestation de l’artiste a été filmée et diffusée sur YouTube. Le procès qui a suivi a eu des échos jusqu’à l’étranger. Avec l’aide d’un ami avocat, de Broin a contesté la contravention reçue pour avoir circulé sur la voie publique dans un «véhicule automobile dangereux». «Nous avons gagné notre procès, raconte-t-il en riant. Il suffisait de démontrer que la voiture ne répond pas aux critères d’un véhicule automobile puisqu’elle n’a pas de moteur. En réalité, selon les critères de la loi, ce n’est pas une automobile, mais un vélo!»

Le travail de Michel de Broin s’inscrit dans un mouvement de l’art contemporain marqué par une volonté de se fondre dans le paysage et de s’en démarquer tout à la fois. Affichant une sorte de distance humoristique qui n’est pas dépourvue d’une composante politique, ses œuvres se prêtent à de multiples détournements de sens qui amènent le public à questionner ses idées reçues. Revolutions, une sculpture métallique géante installée dans le parc Maisonneuve-Cartier, derrière le métro Papineau, est inspirée du paysage montréalais et de ses célèbres escaliers extérieurs, mais elle fait aussi référence à une œuvre russe des années 20 représentant la foi dans le progrès. Dans la sculpture de Michel de Broin, les escaliers s’enchevêtrent et finissent par créer une spirale sans fin. «L’escalier, symbole du progrès, est détourné pour signifier les éternels retours en arrière et les cycles qui caractérisent l’expérience humaine», souligne l’artiste.

Selon Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM, Michel de Broin est l’un des diplômés les plus brillants de l’École des arts visuels. Cette figure montante de l’art contemporain, Prix Reconnaissance 2006 et Prix Sobey 2007, a exposé ses sculptures dans de nombreux musées et galeries à travers le monde. Une exposition solo de son travail est présentée au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, en France, jusqu’en mars 2010. Cet automne, il participe à une exposition de groupe sur le thème du sentiment amoureux au Musée national des beaux-arts du Québec. L’été dernier, il était reçu comme artiste en résidence au Xiamen University Art College de Xiamen, dans le sud-est de la Chine.

À l’UQAM, où il a complété sa maîtrise en arts visuels, Michel de Broin a aimé la fréquentation de la philosophie et de l’histoire. C’est un esprit raffiné, qui parle avec intelligence et clarté de son travail. Mais c’est aussi un «patenteux» incroyable. Ses œuvres – dont Monochrome bleu, un jacuzzi installé dans un conteneur à déchets, tout à fait fonctionnel, avec jets d’eau et système d’éclairage – constituent souvent de véritables prouesses techniques.

Le 11 septembre dernier, Michel de Broin était de passage à Montréal pour l’inauguration d’un monument dédié à Salvador Allende. Commandée par la Ville de Montréal et réalisée selon les vœux de l’Association des Chiliens du Québec pour souligner le centième anniversaire du politicien, l’œuvre installée au parc Jean-Drapeau est un moulage d’un arbre courbé pour former une arche. S’intégrant dans l’environnement naturel du parc, le monument a pourtant la solidité du béton dans lequel il a été coulé. «La cime qui rejoint ses racines symbolise la rencontre entre le présent et les origines, explique l’artiste. L’arche permet d’imaginer un passage vers une utopie restée inachevée, à la mémoire d’Allende, qui était un ami des artistes et un utopiste.»