Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
La vie de Robert Boily (B.Éd. enseignement au primaire, 94), 52 ans, a parfois des airs de film d’espionnage. Ses clients lui confient des missions top secrètes – et archi-délicates – qu’il doit accomplir avec le plus grand tact. Parmi ses outils de travail, toutefois, pas de microfilms, ni de gadgets à la James Bond. Plutôt une connexion Internet et un bon vieux téléphone, installés dans le sous-sol de sa résidence de Laval. Le tout doublé d’une forte dose de flair, de connaissances scientifiques hors pair et d’un réseau de contacts dans le monde entier.
Le fondateur et seul employé d’Inforex est avare de détails lorsqu’il est question de ses clients, des chefs de file dans les secteurs les plus variés : aérospatiale, biotechnologies, électronique, énergie, robotique, nanotechnologies, imagerie médicale, etc. Dans certains cas, il s’agit de compagnies qui veulent en savoir davantage sur les activités de leurs concurrents. D’autres fois, ce sont des sociétés de financement ou des gouvernements qui désirent cerner le marché d’un produit de haute technologie avant d’investir dans un projet.
Mission impossible
La mission, lorsque Robert Boily l’accepte, semble impossible. «Si l’information se trouvait facilement sur Internet, mes clients n’auraient pas besoin de moi, rigole l’homme d’affaires. D’ailleurs, chaque fois que je commence un nouveau mandat, je me pose la même question : comment diable vais-je m’y prendre?!»
Heureusement, sa détermination ne connaît pas de limites. «Quelqu’un, quelque part, connaît l’information que je cherche. Elle traîne peut-être dans le fond du tiroir d’un fonctionnaire à l’autre bout du monde. Suffit de la retracer. Et surtout, de convaincre mon interlocuteur de me la donner.»
Robert Boily n’hésite pas à se lever du lit à 3h du matin pour placer un coup de fil à Tokyo, à sortir son dictionnaire français-allemand pour déchiffrer un document obscur ou à envoyer l’un de ses contacts en Hollande se balader avec un appareil photo sur le chantier de construction d’une usine. «J’ai une curiosité insatiable, raconte-t-il. J’ai aussi un solide bagage scientifique qui me permet de décoder les informations que j’arrive à dénicher.»
En 2008, celui qui a contribué au démarrage et au financement de dizaines d’entreprises de science et de technologie a reçu la médaille McGovern de la société de recherche scientifique Sigma Xi, aux États-Unis, soulignant sa contribution exceptionnelle au domaine «sciences et société». David Suzuki est le seul autre Canadien à partager cet honneur. La même année, il a été nommé Chevalier de l’Ordre de la Pléiade par l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Les honneurs ne s’arrêtent pas là. Le scientifique-enquêteur est fellow de la Société royale des arts, de la Fondation mondiale pour l’innovation et de l’Association américaine pour l’avancement de la science (AAAS).
Un parcours inusité
Ses connaissances scientifiques, Robert Boily les a glanées au long d’un parcours pour le moins inusité. En quatrième secondaire, il décroche pour travailler dans une usine. Quelques années à s’échiner dans la poussière suffisent toutefois à le convaincre de la valeur des études. À l’Institut Teccart, il obtient un diplôme en électronique, puis décroche un boulot chez Kodak, tout en prenant des cours à l’École Polytechnique. En 1989, le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ) l’embauche pour travailler au sein de son service d’information scientifique. C’est au cours des sept années suivantes qu’il apprend les rudiments de son métier.
Au CRIQ, la journée de travail se termine à 16h30. Bien avant que Robert Boily n’ait épuisé son énergie. «Pour le plaisir», il décide de s’inscrire au baccalauréat en enseignement à l’UQAM. Il ira jusqu’à décrocher un doctorat en psychopédagogie, cette fois à l’Université de Montréal.
En 1996, lorsque le CRIQ ferme son service d’information scientifique à Montréal, Robert Boily a tout le bagage nécessaire pour démarrer sa propre entreprise. Le lendemain matin, Inforex est née. Son premier contrat, payé 76 $, est loin derrière lui. «J’ai beaucoup appris, de mes bons coups comme de mes erreurs.» Des erreurs? «La première année, j’avais mis le nom de ma compagnie dans les Pages jaunes sous la rubrique information. On m’appelait à toute heure du jour et de la nuit pour avoir des numéros de téléphone. Entre autres, celui de la pizzeria du coin!»
Quand le téléphone sonne aujourd’hui, il y a plus de chance qu’un ingénieur russe ou un chimiste asiatique soit au bout du fil. Espion, Robert Boily? Pas tout à fait. «Je n’ai jamais recours à des méthodes illégales pour obtenir mon information et je ne raconte pas de mensonges à mes interlocuteurs.»