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Écriture thérapeutique

Par Pierre-Etienne Caza

18 juin 2007 à 0 h 06

Mis à jour le 28 août 2018 à 10 h 08

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.​

Élevée dans le quartier Centre-Sud par une grand-mère paranoïaque et une mère atteinte de maladie mentale, l’écrivaine Marie-Sissi Labrèche est l’incarnation même du concept de résilience. Elle l’avoue sans gêne : l’autofiction a été l’une de ses bouées de sauvetage, lui permettant de «crever sa bulle toxique», dixit sa psychanalyste.

Ses deux premiers romans, Borderline et La Brèche, parus chez Boréal en 2000 et 2002, seront bientôt portés au grand écran, fondus en un seul film par la réalisatrice Lyne Charlebois. Isabelle Blais et Jean-Hugues Anglade s’y donneront la réplique. «J’ai également un petit rôle», révèle Marie-Sissi (M.A. études littéraires, 2000), excitée par le projet auquel elle a collaboré comme coscénariste. « J’espère qu’on ne me coupera pas au montage!»

Avec ses couettes blondes, son sourire éclatant et son petit rire contagieux, elle a parfois l’air d’une enfant, qui parle beaucoup et très très très vite. Difficile de ne pas être charmé par cette spontanéité qui lui «fait parfois dire plein de niaiseries», mais écrire des histoires émouvantes, comme La lune dans un HLM (Boréal), son troisième roman paru l’automne dernier.

Elle y revisite la thématique familiale, mais avec une narration en deux temps laissant davantage de place à la fiction. En refermant le livre, on a l’impression que l’auteure a bouclé la boucle. «Nos rapports ont changé, confirme l’écrivaine à propos de la relation avec sa mère malade. J’apprécie dorénavant chaque moment passé en sa compagnie… et je suis prête à écrire sur autre chose.»

Écrire, elle le fait depuis toujours. «À 13 ans, j’écrivais des histoires pornographiques entre Boy George et moi, dit-elle en riant. Ma grand-mère les avait trouvées et m’avait dit que c’était très bon. J’étais terriblement gênée.»

À cette époque, elle ne rêvait pas d’être écrivaine, mais chanteuse… un rêve qu’elle a réalisé au sein du groupe alternatif Sylph, au milieu des années 90. Le succès critique était au rendez-vous, mais Marie-Sissi a choisi de mettre fin à l’aventure. Pourquoi? «Par timidité.» La scène la rendait malade, littéralement. À l’université, elle a fait des détours par la sexologie et l’histoire avant de s’inscrire en études littéraires. «J’avais peur que l’on uniformise mon style et qu’il devienne insipide.» Elle a attendu à la fin de son baccalauréat avant de suivre des cours de création. Le professeur André Carpentier, qui l’a ensuite dirigée à la maîtrise, se rappelle d’une fille remplie de contradictions. «Elle pouvait être à la fois sérieuse, légère, spectaculaire ou réservée. Elle donnait l’impression de jouer sa vie dans l’écriture. Rétrospectivement, on peut comprendre ce qui était en jeu pour elle à cette époque.»

«À la maîtrise, je savais que j’avais trouvé ma voie et j’ai terminé l’écriture de Borderline en un an et demi», se rappelle-t-elle. Mais quand les éditions du Boréal ont accepté son roman, elle a tout à coup réalisé qu’il portait sur sa mère et sa grand-mère. «Je ne voulais plus le publier, je pleurais et me traitais de méchante fille. Heureusement, elles ne l’ont jamais lu.» Les critiques ont été excellentes et le roman a depuis été traduit en allemand, en russe, en grec et en néerlandais.

Si Marie-Sissi vit de sa plume, c’est aussi parce qu’elle collabore à des revues comme Clin d’oeil et Femme Plus. Son travail lui permet de rencontrer des gens, ce qu’elle n’aurait pas l’occasion de faire autrement, sauf pour les tournées promotionnelles et les quelques conférences qu’elle donne dans les écoles secondaires. «Je n’aspire qu’à rester chez moi et à regarder Canal Vie!» lance-t-elle en riant.

Casanière et férocement montréalaise, elle a dû s’exiler en Suisse il y a quelques années, avec son mari. Une expérience catastrophique. «J’habitais en pleine campagne, loin de tout… et je ne sais pas conduire. Je m’ennuyais du béton!» De retour à Montréal, elle s’est empressée d’acheter un appartement, à l’ombre du Stade Olympique. Ainsi, la petite Marie-Sissi, qui écrivait jadis son nom de famille avec un accent circonflexe plutôt qu’un accent grave, a désormais un toit à elle, sous lequel elle peut écrire, en paix avec son passé.