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Quand le corps danse avec le territoire

À travers ses performances chorégraphiques, visuelles et sonores, Germain Ducros propose une autre relation au monde vivant.

Par Claude Gauvreau

18 septembre 2025 à 9 h 07

En mai dernier, Germain Ducros, doctorant en études et pratiques des arts, a présenté trois performances au Studio 840 du Département de danse, directement inspirées de son projet de recherche-création intitulé «Danser le corps-territoire: strates, spectres et errances». Mené sous la direction du professeur de l’École des médias Louis-Claude Paquin, ce projet doctoral interdisciplinaire consiste en une transposition à la fois chorégraphique, visuelle et sonore des affects sensoriels générés par les territoires où sont nés les quatre grands-parents de Germain Ducros.

Souhaitant explorer ses racines familiales et leur ancrage territorial dans une sorte de quête auto-archéologique, le doctorant a séjourné dans deux régions rurales du sud de la France (en Provence et près de la ville de Moissac, dans la région de l’Occitanie), dans un petit village du Piémont, au nord de l’Italie, et dans la ville de Sétif en Algérie. «Ces lieux, avec leurs paysages, leur histoire, leur mémoire et leurs habitants, constituaient mon terrain de recherche-création, devenant ainsi de véritables résidences d’artiste», observe Germain Ducros.

De la rencontre avec ces territoires ont émergé des affects sensoriels, lesquels se trouvent au cœur de la démarche de recherche-création de l’artiste chercheur. «Ces affects, produits par le contact physique avec les divers éléments des paysages, j’ai cherché à les exprimer en improvisant des mouvements dansés, dit le doctorant. La texture du sol, par exemple, pouvait m’amener à ralentir ou à accélérer mes gestes, alors que la lumière tamisée d’un sous-bois m’incitait à porter une attention particulière aux mouvements de ma tête.»

La transposition des affects n’était pas que chorégraphique. Germain Ducros a aussi eu recours à la vidéo et à la création sonore. «Sur le terrain, j’enregistrais divers types de sons, tels que le souffle du vent dans les arbres, le chant d’un oiseau ou le bruit des pas sur la terre.» Puis, un collaborateur vidéaste a filmé des images des territoires et des mouvements corporels du doctorant. «Au croisement du documentaire et de la vidéo d’art, ces séquences étaient davantage évocatrices que narratives», indique Germain Ducros. Tous ces éléments sonores et visuels ont été intégrés aux performances chorégraphiques présentées au studio du Département de danse.

L’artiste multidisciplinaire s’intéresse depuis quelques années déjà aux mouvements du corps qui émergent de la relation avec un territoire donné. Dans la nature ou en ville, il a réalisé plusieurs performances chorégraphiques devant public, appelées «visites sensibles». Chaque visite est unique et propose une médiation culturelle in situ. Le public est invité à explorer avec l’artiste un paysage sensoriel, sa mémoire notamment, et le type de relation pouvant en émerger via les perceptions du corps. Le doctorant a ainsi livré des performances chorégraphiques à l’île d’Orléans, en 2022, à la Cité-des-Hospitalières, un site patrimonial montréalais, lors des Journées de la culture 2023, dans les Laurentides et dans des parcs de la métropole.


Une autre façon d’être au monde

Germain Ducros définit son projet doctoral comme une proposition de rencontre éco-somatique avec les territoires natals de ses grands-parents, comme une autre façon d’être en relation avec le monde vivant.

«L’approche éco-somatique s’intéresse au corps sensible, à ses rapports avec l’environnement, à ses perceptions et sensations fines», relève le doctorant. Dans sa recherche-création, la chorégraphie a peu à voir avec l’esthétique. Elle vise plutôt à rendre compte avec justesse des sensations corporelles éprouvées, qu’il s’agisse des battements du cœur ou de l’effet du vent sur la peau.

«La crise écologique que nous traversons est, au fond, une crise de l’attention au monde, à notre environnement. Il faut apprendre à se reconnecter à l’espace vivant pour mieux le protéger. Porter attention au monde, c’est donner un supplément d’existence à ce qui nous entoure. Voilà ce à quoi je veux contribuer à travers ma pratique artistique.»

Germain Ducros,

Doctorant en études et pratiques des arts

Germain Ducros prévoit soumettre la version finale de son projet de recherche-création d’ici la fin de 2025. Une partie de sa thèse repose sur un document écrit concernant sa démarche créatrice. L’autre partie est constituée des performances chorégraphiques, visuelles et sonores présentées au Studio 840 du Département de danse, où les membres du jury de sa thèse étaient présents. «Mes performances étaient accompagnées d’une exposition intitulée Affleurements, un espace-témoin qui comprenait une sélection d’archives visuelles et sonores – cartes, enregistrements, aquarelles et installations textiles –en lien avec l’ensemble du processus de recherche-création», note le doctorant.


Un parcours atypique

Avant d’entamer ses études doctorales à l’UQAM, en 2021, Germain Ducros a obtenu une maîtrise en linguistique et phonologie à l’Université d’Aix-en-Provence et enseigné pendant 10 ans l’anglais et le français en France, son pays natal, et en Angleterre, tout en développant une pratique artistique.

«Mon intérêt pour la danse et la performance est né au début des années 2010. Je suivais alors des cours de danse contemporaine et je me suis passionné pour le rapport au corps, pour l’expression de la sensibilité à travers le mouvement dansé. Puis, petit à petit, je me suis rapproché des pratiques somatiques.»

En 2016, la compagnie Aqui et Là – Carla Frison lui offre ses premières expériences en tant qu’interprète. Il participe au Défilé de la Biennale de la Danse de Lyon, en 2016, comme interprète, puis en 2018 comme assistant chorégraphe et répétiteur. Cette même année, il danse avec la compagnie Kontamine à Marseille.

Le doctorant s’est établi à Montréal en 2020 pour y poursuivre la pratique de l’enseignement. Mais sa passion artistique l’emportant, il a décidé de s’inscrire au doctorat en études et pratiques des arts de l’UQAM, en raison notamment de son caractère interdisciplinaire.

Depuis quatre ans, Germain Ducros est auxiliaire d’enseignement au Département de danse, en plus d’animer, à l’UQAM et ailleurs, des ateliers de création en arts performatifs basés sur l’approche éco-somatique et le concept de «corps-territoire» comme état de corps. Il a aussi présenté des communications et des interventions dans le cadre de colloques, notamment en Turquie, en Finlande et en Australie.

«Pouvoir combiner la recherche-création et une pratique pédagogique est un privilège, car les deux s’alimentent mutuellement», dit-il. Une fois son doc en poche, il souhaite poursuivre ses performances et recherches, et envisage un stage postdoctoral. «Où? Je ne sais pas encore. Toutes les portes sont ouvertes.»

Pour avoir un aperçu du travail de Germain Ducros, on peut visiter son site web personnel ainsi que le site du Département de danse.