Depuis 2009, plusieurs «Projets d’acquisition de connaissance des eaux souterraines» (PACES) ont été réalisés dans différentes régions du Québec, contribuant à une meilleure compréhension de l’importance de ces ressources, de leur qualité et de leur renouvellement. Toutefois, la grande région de Montréal, qui héberge près de 50% de la population québécoise, n’a jamais fait l’objet d’un PACES. Pour combler cette lacune, une équipe de recherche dirigée par la professeure du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère Marie Larocque dressera pour la première fois une cartographie des ressources en eaux souterraines sur une partie importante du territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM).
«Dans la grande région de Montréal, la majorité de la population s’alimente en eau potable à partir des eaux de surface, soit le fleuve et les grandes rivières qui ceinturent le secteur, indique Marie Larocque. C’est la raison pour laquelle les PACES ont priorisé d’autres territoires du Québec. Néanmoins, des demandes ont émergé récemment, notamment à Laval, afin que la grande région métropolitaine fasse également l’objet d’un PACES. On pourra ainsi finaliser la cartographie des eaux souterraines du sud du Québec et fournir des informations essentielles pour une meilleure gestion des ressources en eau et du territoire.»
Le nouveau PACES piloté par la professeure vise un large territoire couvrant l’île de Montréal, l’île de Laval, l’île Perrot, une partie de l’agglomération de Longueuil ainsi que des municipalités de la couronne sud (La Prairie et Saint-Philippe) et celle de Salaberry-de-Valleyfield. D’une durée de près de quatre ans, le projet est financé par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, dans le cadre du Plan national de l’eau mis en place en septembre 2024.
«Comme partout ailleurs au Québec, l’eau souterraine est omniprésente dans la grande région de Montréal, soutenant les plus petits cours d’eau et s’écoulant dans le fleuve.»
Marie Larocque,
Professeure au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère
Constituant la source d’alimentation en eau potable de plus de 80 % de la population en région rurale, les eaux souterraines sont essentielles à l’équilibre des écosystèmes aquatiques, souligne Marie Larocque, qui est titulaire de la Chaire de recherche sur l’eau et la conservation du territoire. «Comme les eaux souterraines sont un maillon du cycle de l’eau, leur écoulement alimente constamment le niveau d’eau des rivières, des lacs et des zones humides, particulièrement lors de sécheresses.»
Par ailleurs, les poissons et autres espèces dépendent des eaux souterraines pour le maintien de leur habitat et de la qualité de l’eau. Plus froide que l’eau de surface, l’eau souterraine permet de maintenir des zones d’eau fraîche, ce qui est particulièrement important lors des épisodes de grande chaleur. Les poissons peuvent y trouver un refuge, notamment pour se reproduire. Les réserves d’eau souterraine servent enfin à irriguer les cultures, à abreuver le bétail et à alimenter des industries.
Une ressource omniprésente
«Comme partout ailleurs au Québec, l’eau souterraine est omniprésente dans la grande région de Montréal, soutenant les plus petits cours d’eau et s’écoulant dans le fleuve, note la chercheuse. Elle sert, entre autres, à l’irrigation du secteur maraîcher, notamment sur l’île de Laval et à Salaberry-de-Valleyfield. Dans d’autres zones, elle est également utilisée pour l’alimentation de la population en eau potable, pour l’agriculture et par certaines industries.»
L’eau souterraine doit être prise en considération dans la planification des infrastructures urbaines, par exemple lors des travaux d’excavation du métro de Montréal ou en prévision d’inondations pouvant affecter son niveau.
«L’empreinte humaine sur cette ressource est plus importante dans la grande région de Montréal que dans le centre du Québec et l’eau souterraine contaminée peut transporter des polluants vers le fleuve.»
En zone urbaine ou à proximité, l’eau souterraine présente des caractéristiques différentes de celle située en zone rurale, observe Marie Larocque. «L’empreinte humaine sur cette ressource est plus importante dans la grande région de Montréal que dans le centre du Québec et l’eau souterraine contaminée peut transporter des polluants vers le fleuve.»
La manière dont on occupe le territoire a aussi un impact sur l’eau souterraine. Sur l’île de Montréal et à Laval, par exemple, où de grandes zones sont imperméabilisées, peu de précipitations s’infiltrent dans le sol, limitant le renouvellement de l’eau souterraine.
Cinq principaux objectifs
Le projet de recherche poursuit plusieurs objectifs: identifier l’origine et la direction d’écoulement des eaux souterraines, connaître la nature des aquifères, soit les formations de roches, de sable, d’argile et de gravier qui contiennent l’eau souterraine, et quantifier leur bilan hydrique, décrire la qualité des eaux et déterminer leur vulnérabilité.
«Nous voulons savoir où se trouve précisément l’eau souterraine et comment elle se renouvelle, dit la professeure. Il s’agit de quantifier les volumes d’eau qui, chaque année, s’ajoutent, s’écoulent et sont prélevés dans les réservoirs aquifères. De cette façon, on pourra évaluer l’état d’équilibre des eaux souterraines et déterminer si elles sont exploitées de manière excessive. Ces connaissances sont importantes quand on utilise l’eau souterraine pour l’alimentation en eau potable et pour l’irrigation en région agricole, mais aussi parce que l’eau souterraine alimente les milieux naturels, comme les eaux de surface.»
Enfin, la cartographie permettra de mesurer la vulnérabilité de l’eau souterraine, dont la qualité sur un territoire comme la grande région de Montréal peut être affectée par la présence de polluants, industriels notamment.
Les phases de la recherche
La recherche se déroulera en trois phases: la collecte des données existantes, la caractérisation du milieu sur le terrain et l’analyse des résultats. Pour accomplir ces tâches, Mare Larocque pourra compter sur une équipe composée de professeurs de l’UQAM et d’autres universités, de professionnels de recherche et d’étudiantes et d’étudiants des trois cycles. La CMM, qui chapeaute les municipalités régionales de comté, les municipalités locales et les organismes de bassins versants présents sur les territoires concernés, ainsi que des Conseils régionaux de l’environnement agiront à titre de partenaires du projet.
Tout au long de la recherche, le Réseau québécois sur les eaux souterraines, présidé par Marie Larocque, tiendra une série d’ateliers pour assurer le transfert des connaissances vers les partenaires.
«Chaque fois que l’on prend une décision liée à l’eau, on doit se demander quel sera l’impact sur les eaux de surface, mais aussi sur la nappe phréatique et les milieux humides en général.»
Une base de données sera élaborée, des cartes numériques seront créées et des rapports seront rédigés. À la fin du projet, tous les résultats seront accessibles sur la plateforme Données Québec, créée par le ministère de l’Environnement.
Les connaissances produites dans le cadre du nouveau PACES serviront à une saine gestion des eaux souterraines dans la grande région de Montréal, souligne la professeure. «Cela passe par la gestion intégrée de l’eau. Chaque fois que l’on prend une décision liée à l’eau, on doit se demander quel sera l’impact sur les eaux de surface, mais aussi sur la nappe phréatique et les milieux humides en général. L’importance de protéger les eaux souterraines de manière intégrée doit être comprise et partagée par tous, tant par les décideurs que par les utilisateurs, d’où le rôle crucial du transfert des connaissances.»
Selon Marie Larocque, le bilan des PACES depuis 2009 est globalement très positif. «On a produit et diffusé de nouvelles connaissances pour éclairer la prise de décision, et on a formé une relève en recherche, dit-elle. Une envie de travailler collectivement s’est développée afin d’assurer la pérennisation des ressources en eau dans une période de bouleversements climatiques.»