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Le retour du téléphone à clapet?

Amélie Guèvremont étudie les jeunes de la génération Z qui délaissent leur téléphone intelligent.

Par Pierre-Etienne Caza

26 juin 2025 à 8 h 40

Plus tôt cette année, la professeure du Département de marketing de l’ESG UQAM Amélie Guèvremont s’est procuré un téléphone à clapet (à rabat ou pliable), communément appelé flip phone. «Quelques journalistes américains et canadiens ont publié des articles à l’effet que certains jeunes de la génération Z, qui ont aujourd’hui entre 14 et 27 ans, décident de laisser tomber leur téléphone intelligent pour un flip phone. Le phénomène, bien que marginal, a piqué ma curiosité», raconte-t-elle.

L’omniprésence des écrans, et leurs effets dévastateurs sur la santé physique et mentale, est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre. «L’utilisateur moyen passe près de quatre heures par jour à regarder son téléphone et chez les jeunes de la génération Z, cette moyenne s’élève à neuf heures, indique la professeure. Que des jeunes décident par eux-mêmes de réduire leur consommation d’écran en abandonnant le téléphone intelligent est en soi intéressant.»

Dans le cadre d’une subvention CRSH Développement Savoir, Amélie Guèvremont a élaboré un projet de recherche pour mieux comprendre les raisons qui motivent ces jeunes à tendre vers la sobriété numérique.

Un échantillon YouTube et TikTok

En collaboration avec Cédric Degallaix (M.Sc. sciences de la gestion, 2024), maintenant chargé de cours au Département de marketing, Amélie Guèvremont a d’abord mené une recherche exploratoire sur YouTube et TikTok, analysant les vidéos et les commentaires dans lesquels des jeunes expliquent leur choix de délaisser leur téléphone intelligent. «Plusieurs indiquent un besoin de retrouver leurs amis dans la vie réelle et de prendre une pause des écrans, qui augmentent leur anxiété et nuisent à leur sommeil», souligne-t-elle.

Si les répercussions semblent positives, le geste n’en demeure pas moins radical, fait remarquer Amélie Guèvremont. «Certains jeunes soulignent que cela risque de les exclure de leur cercle social puisque les conversations se déroulent en temps réel, toute la journée, sur les réseaux sociaux.»

Les téléphones à clapet permettent d’envoyer des textos, mais, pour cela, il faut appuyer sur la touche 2 pour obtenir les lettres A, B ou C, sur la touche 3 pour les lettres D, E ou F et ainsi de suite. Un véritable retour aux années 1990!

Abandonner leur téléphone intelligent ne signifie pas que ces jeunes désertent complètement les réseaux sociaux, observe toutefois la professeure. «Les jeunes demeurent actifs sur les réseaux sociaux, mais autrement et moins souvent: ils consultent leurs réseaux à la maison sur une tablette ou un ordinateur.»

La déconnexion complète, note Amélie Guèvremont, a fait l’objet d’un certain nombre d’études au cours des dernières années. «Nous abordons plutôt le sujet sous l’angle de la modération et de la sobriété numérique, car on estime que c’est ce qui fait que la tendance pourrait perdurer.»

Des milliers de commentaires sur Reddit

Afin de poursuivre son exploration du phénomène, Amélie Guèvremont s’est adjoint la collaboration de Romain Sohier, professeur associé à l’École de commerce de Normandie, et de Gaëlle Pantin-Sohier, professeure à l’Université d’Angers. «En plus des vidéos et des commentaires sur YouTube et TikTok, nous avons ajouté l’analyse d’échanges sur la plateforme Reddit, ce qui augmente notre échantillon total à plus de 18 000 commentaires distincts», précise-t-elle.

Le trio présentait les résultats préliminaires de son étude à la Conférence annuelle de l’Association française du marketing, qui avait lieu à Lille, du 14 au 16 mai derniers. Les commentaires analysés sur Reddit font état de l’admiration de certains jeunes envers leurs semblables qui délaissent leur téléphone intelligent. Ils posent également plusieurs questions techniques: Quels sont les meilleurs modèles de téléphones à rabat? Où peut-on se les procurer? Peut-on conserver l’accès à certaines applications? «Plusieurs jeunes songent à passer à un téléphone à clapet, mais ils veulent s’assurer de pouvoir écouter de la musique et consulter un GPS, illustre la professeure. Et oui, c’est possible avec la nouvelle génération de téléphones pliables!»

Des entrevues et une expérience à venir

Jusqu’ici, Amélie Guèvremont et ses collègues ont adopté une approche descriptive, mais l’objectif du projet est d’utiliser un modèle d’analyse du changement comportemental souvent utilisé en santé et en marketing. «Nous souhaitons vérifier si le choix du téléphone à clapet peut être compris sous cette lentille théorique, ces étapes à travers lesquelles chemine une personne lorsque survient un grand changement dans sa vie», explique-t-elle. Le trio espère comprendre les motivations – symboliques, psychologiques, sociales et culturelles – ainsi que les freins et les conséquences se rattachant à ce choix de consommation.

«Nous poursuivons l’analyse des contenus en ligne de manière plus poussée, indique Amélie Guèvremont. La prochaine étape sera de réaliser des entrevues avec des jeunes qui ont décidé de faire ce choix et, en parallèle, nous souhaitons recruter des jeunes âgés entre 18 et 22 ans qui auraient le goût d’utiliser un téléphone pliable pendant une dizaine de jours et de documenter leur expérience dans un journal de bord.»

En attendant, Amélie Guèvremont observe son propre téléphone à clapet d’un air dubitatif. «Je sais qu’il fonctionne, mais je ne suis pas encore prête à franchir le pas et à l’utiliser», conclut-elle en riant. À suivre!