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L’aide humanitaire en crise

Face au désengagement financier occidental, un colloque analysera les capacités de résilience et d’adaptation des ONG.

Par Claude Gauvreau

20 octobre 2025 à 11 h 49

Dans un monde marqué par le prolongement de conflits armés, les déplacements forcés de populations vulnérables et l’intensification de catastrophes naturelles dues aux dérèglements climatiques, comment assurer l’efficacité de l’aide humanitaire internationale? Cette question sera au centre des discussions lors d’un colloque organisé par l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire (OCCAH), intitulé «L’aide en crise: des conséquences locales aux opportunités imposées», qui aura lieu à l’UQAM le 24 octobre prochain.

L’aide humanitaire internationale traverse en ce moment une période charnière, souligne le professeur du Département de management de l’ESG UQAM François Audet, directeur de l’OCCAH et de l’Institut d’études internationales de Montréal. «On assiste actuellement à un phénomène de désengagement sans précédent en Occident, qui se traduit soit par le gel, soit par la réduction massive de l’aide publique au développement et à l’action humanitaire, avec pour résultats que des ONG sont forcées de mettre à pied du personnel ou de fermer leurs portes.»

Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les États-Unis ont opéré des coupes de 40 milliards de dollars dans leurs programmes d’aide et ont démantelé, en juillet dernier, l’agence fédérale chargée de l’aide au développement (United States Agency for International Development, USAID), rappelle François Audet. Des pays européens, pour leur part, ont réduit de 15 % à 25 % leur aide financière. Quant à celle du Canada, qui s’est maintenue tant bien que mal ces dernières années, il faudra surveiller le dépôt du prochain budget fédéral, prévu en novembre prochain.

«Le fait que les États-Unis se soient désengagés en matière d’aide à l’échelle internationale a pour conséquence que d’autres États se sentent moins obligés de maintenir ou de renforcer leurs propres programmes d’aide», observe le professeur.


Attaques contre le droit humanitaire international

Malgré les ententes et conventions mises en place par les pays occidentaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le droit humanitaire international fait aussi l’objet d’attaques en règle depuis quelques années. «Il n’est pas rare que des membres d’ONG humanitaires, tant internationales que locales, perdent la vie dans l’exercice de leurs fonctions, note François Audet. À Gaza seulement, plus de 300 d’entre eux ont été tués depuis le début de la guerre. Dans plusieurs régions du monde, la légitimité des organisations humanitaires est remise en cause et certaines sont même criminalisées parce qu’elles sont des témoins gênants de violations des droits humains et porteuses de revendications.»

La situation actuelle est paradoxale, poursuit le professeur. Alors que les principes du droit humanitaire international sont de plus en plus bafoués et que les Nations Unies semblent souvent impuissantes à les faire respecter, les besoins des populations dans le monde n’ont peut-être jamais été aussi importants. «Plus de 125 millions de personnes se trouvent aujourd’hui en situation de migration forcée, principalement pour des raisons de sécurité», souligne François Audet.

On se demande si l’aide internationale peut encore constituer un rempart face aux inégalités socio-économiques et aux conflits, comme c’était le cas à une époque pas si lointaine. «Sur le continent africain, les indicateurs de mortalité ont augmenté, notamment parce qu’on a sabré dans les programmes de soutien à la lutte contre la malaria, la tuberculose et le VIH-Sida, remarque le professeur. En Occident, nous vivons dans un contexte de déresponsabilisation collective. C’est très inquiétant.»


Repenser l’architecture de l’aide internationale

Le colloque sera l’occasion d’échanger sur les capacités de résilience et d’adaptation, tant financière qu’organisationnelle, des ONG humanitaires. L’événement réunira des chercheuses et chercheurs du Québec, du Canada anglais et d’autres pays ainsi que des actrices et acteurs de l’aide humanitaire.

«En dépit de la crise du financement, la solidarité internationale continue d’exister, affirme François Audet. J’ai confiance que les populations locales trouveront des solutions et que les organisations humanitaires parviendront à s’ajuster.»

Le colloque vise à ouvrir le débat sur la nécessité de repenser l’architecture de la coopération et de l’aide internationales. «Il s’agit, en particulier, de réfléchir sur de nouveaux mécanismes et sources de financement, à l’échelle internationale et nationale. Pensons, par exemple, au rôle souvent sous-estimé que pourraient jouer les diasporas. On peut aussi espérer un retour en force des fondations philanthropiques.»

Par ailleurs, on voit émerger sur le terrain de nouvelles alliances entre les actrices et acteurs de l’humanitaire. «On assiste à des jumelages d’organisations ayant des vocations complémentaires, ce qui leur permet de réaliser des économies et d’être plus efficaces», dit le chercheur. Un autre phénomène d’adaptation, apparu durant la pandémie de COVID-19, est celui de la «localisation forcée». «Cela consiste à financer directement des ONG humanitaires locales au lieu de passer par des intermédiaires, comme les organisations internationales.»

Une partie du colloque sera consacrée à des études de cas, comme les impacts de la réduction des aides financières au Sri Lanka, au Niger et au Cameroun. «L’Afrique demeure la région du monde où l’on trouve le plus grand nombre de crises humanitaires et de personnes déplacées, relève François Audet. De plus, le retrait des puissances occidentales dans le financement de l’aide a favorisé l’essor de groupes extrémistes et de milices armées, qui contribuent à alimenter le sentiment d’insécurité au sein des populations locales.»


Crise humanitaire à Gaza

Au moment où l‘attention médiatique internationale est centrée sur l’accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, le risque est grand que la crise humanitaire à Gaza soit reléguée au second plan, estime le professeur.

«Malgré l’entente conclue entre les belligérants, l’accès à l’aide humanitaire, en particulier à l’aide alimentaire, reste très limité. Selon les Nations Unies, la famine à Gaza a atteint le niveau 5, soit le niveau le plus sévère, sans parler des milliers de personnes qui n’ont pas accès à des médicaments et à des abris, alors que le froid approche.»

François Audet croit que le Canada peut jouer un rôle, même si son influence est limitée. Il a d’ailleurs recommencé à donner un soutien financier (400 millions de dollars) à l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). «Le Canada fait partie d’un groupe d’une vingtaine de pays, dont la France et le Royaume-Uni, qui peuvent faire contrepoids à l’influence américaine dans la région.»

L’aide internationale au développement n’est pas un acte de charité, insiste le professeur. Servant à stabiliser des situations qui mettent des populations en péril, elle est un levier fondamental d’équilibre géopolitique, économique et social, une réponse rationnelle et stratégique aux désordres du monde. Lors d’une conférence donnée devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), en mai dernier, François Audet avait déclaré: «Nous avons besoin de nouveaux récits pour expliquer l’aide, pour la légitimer non seulement comme une dépense morale, mais comme un investissement dans la paix et la sécurité.»