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La liberté d’expression à l’ère de Trump 2.0

Trois tables rondes organisées par l’Observatoire sur les États-Unis et la Chaire COLIBEX dresseront un état des lieux.

Par Claude Gauvreau

7 octobre 2025 à 11 h 35

L’État de droit et ses institutions sont-ils menacés aux États-Unis? Que penser des rapports de la Maison-Blanche avec les universités et les médias? Jusqu’où l’administration Trump peut-elle imposer des formes de censure ou de contrôle de l’opposition? Ces questions seront au centre des discussions lors de trois tables rondes organisées par l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand et la Chaire France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression (COLIBEX).

La première table ronde (14 octobre) portera sur «La liberté d’expression aux États-Unis et ses impacts sur les démocraties», la seconde (21 novembre) sera consacrée aux universités américaines face à l’administration Trump et la troisième (2 décembre) aura pour thème «La liberté d’expression et les médias à l’heure de Trump 2.0». Se déroulant à compter de 12 h 30, la table ronde du 14 octobre aura lieu au Salon orange du Centre Pierre-Péladeau et en ligne, alors que les deux autres seront entièrement virtuelles.

Deux chercheurs américains participeront aux causeries: le professeur de l’Université Columbia Emmanuel Kattan parlera des atteintes à la liberté académique et à l’autonomie des universités américaines et le professeur de l’Université du Colorado Josh Shepperd abordera l’effet des politiques de Trump sur l’érosion du soutien aux médias publics, comme la chaîne de télévision PBS et la station de radio NPR. La professeure du Département d’éducation et formation spécialisées Maryse Potvin, cotitulaire de la Chaire COLIBEX, participera à la première table ronde.


Une offensive contre la liberté d’expression

Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, en janvier 2025, plusieurs chroniqueurs n’hésitent pas à parler d’une offensive en règle contre la liberté d’expression aux États-Unis, dont l’ampleur n’aurait pas d’équivalent depuis la chasse aux sorcières du maccarthysme au tournant des années 1950.

Les tables rondes permettront d’apporter une perspective scientifique, d’établir des parallèles historiques et de dégager ce qu’il y a de nouveau ou pas avec Donald Trump, indique le professeur du Département de science politique Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand et directeur de l’Observatoire sur les États-Unis.

«Plusieurs indicateurs montrent que la démocratie américaine est devenue fragile durant le premier mandat de Trump et qu’elle connaît aujourd’hui une érosion générale, souligne Frédérick Gagnon. Nous allons nous interroger sur ce que cela signifie plus spécifiquement pour la liberté d’expression, sachant que le premier amendement de la Constitution américaine garantit la liberté de parole, la liberté de presse, la liberté de s’assembler et la liberté de religion.»

Bien qu’il faille se garder des déclarations à l’emporte-pièce, il y a certainement matière à inquiétude, observe le professeur de la Faculté de droit de l’Université Laval Pierre Rainville, également cotitulaire de la Chaire COLIBEX. «Les répercussions des tensions qui s’exacerbent depuis plusieurs mois aux États-Unis se font sentir même au Canada, dit-il. Pensons, par exemple, aux chercheurs universitaires qui n’ont pas pu prendre la parole en public sur des campus américains. C’est le cas de la professeure de l’Université McGill Joanne Liu, dont la conférence sur les défis de l’action humanitaire en temps de crise a été annulée en mars dernier par la direction de l’Université de New York, son alma mater.» Selon la professeure, c’est une diapositive mentionnant le nombre important de morts au sein des travailleuses et travailleurs humanitaires à Gaza qui posait problème en raison de son caractère prétendument antisémite.

Les tables rondes seront l’occasion de se pencher sur les impacts des politiques de Trump sur la collaboration entre les chercheurs américains et canadiens. «Il y a quelques mois, le président Trump a signé un décret exigeant la fermeture d’un des plus importants think tanks aux États-Unis, le Wilson Center, qui abrite plusieurs programmes et équipes de recherche, dont le Canada Institute, avec lequel la Chaire Raoul-Dandurand a des liens étroits, relate Frédérick Gagnon. D’autres centres de recherche ont reçu des lettres du Département fédéral de l’éducation leur disant que leurs programmes de recherche étaient incompatibles avec les priorités du gouvernement et ne servaient pas les valeurs et intérêts américains.»


Polarisation idéologique et politique

Frédérick Gagnon rappelle que la polarisation idéologique et politique aux États-Unis existait avant Trump, tout comme la volonté des formations politiques de faire taire leurs adversaires et les attaques contre les médias. «L’ancien président républicain Richard Nixon interdisait à certains médias d’assister à ses conférences de presse et, avant lui, Lyndon Johnson, un démocrate, pratiquait l’intimidation auprès des membres de son propre parti. La nouveauté avec Trump, c’est qu’il autorise à aller encore plus loin.»

Cela dit, Donald Trump n’est pas tout-puissant, insiste le titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand. Au moment de l’affaire Jimmy Kimmel, ce populaire animateur dont le talk show de fin de soirée a été momentanément retiré des ondes sous les pressions du président et de ses partisans, des voix discordantes se sont fait entendre au sein du Parti républicain. «Ted Cruz, l’influent sénateur du Texas, a exprimé son mécontentement, craignant que cela donne l’occasion aux démocrates, lorsqu’ils seront de retour au pouvoir, de réserver le même sort à des personnalités conservatrices.»

En mai dernier, Reporters sans frontières a publié son classement mondial de la liberté de la presse, dans lequel les États-Unis se situaient au 57e rang, deux rangs plus bas qu’en 2024, rappelle Pierre Rainville. «Reporters sans frontières parlait d’une dégradation inquiétante de la liberté de presse aux États-Unis, évoquant la polarisation croissante des institutions, la réduction du soutien aux médias indépendants et la mise au pas de journalistes. Des phénomènes qui, aujourd’hui, s’intensifient avec une vitesse nouvelle.»

Dominé par les entreprises privées, le paysage médiatique américain, sauf exceptions, est devenu hyper polarisé, à l’image des élites politiques, poursuit Frédérick Gagnon. «Cela a des répercussions sur le débat public, en incitant les gens à répéter les arguments qu’ils entendent le soir à la télé.»


Vers une riposte politique?

Face aux politiques de l’administration Trump, existe-t-il une dynamique de résistance, voire d’opposition, au sein de la société américaine?

«Si on pense à la riposte proprement politique aux mesures de l’administration Trump, les démocrates ont été tellement abasourdis par leur dernière défaite que peu de voix se sont élevées de façon concertée pendant les six premiers mois ayant suivi le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche», remarque Pierre Rainville.

Il faudra surveiller les élections de mi-mandat de novembre 2026, qui jouent le rôle d’élections référendaires sur la performance du président américain, dit Frédérick Gagnon. «Pour l’instant, la cote de popularité de Donald Trump est en baisse et les démocrates ont des chances de reprendre la Chambre des représentants, ce qui entraînera des conséquences pour le président. S’ils redeviennent majoritaires à la Chambre, les démocrates jouiront d’un pouvoir d’enquête et pourront exiger que des membres du gouvernement viennent témoigner devant des commissions du Congrès, et peut-être même lancer une autre procédure de destitution contre Trump.»

À moins de jouer aux oracles, les deux professeurs s’entendent sur le fait qu’il est difficile de dire jusqu’où l’administration Trump peut aller pour imposer des formes de censure et de contrôle de l’opposition, ou de prédire les impacts des atteintes à la liberté d’expression aux États-Unis sur les démocraties, dont le Canada.

Comme l’enseigne l’histoire, tous les présidents américains ont tenté de concentrer les pouvoirs entre leurs mains, ce qui est contraire à la vision des pères fondateurs de la nation, rappelle Frédérick Gagnon. «Maintenant, il y a lieu de s’inquiéter des tentatives de Donald Trump d’habituer le peuple américain à l’idée qu’il n’est pas obligé, en tant que président, de respecter les décisions des cours de justice, notamment en matière d’immigration.»

Chose certaine, on assiste, selon lui, à une évolution des normes juridiques concernant les pouvoirs présidentiels et leurs rapports avec les autres pouvoirs. «Des gens au sein du Parti républicain ont pour projet d’aller le plus loin possible pour renforcer les pouvoirs du président», ajoute le professeur.

«Les institutions démocratiques sont plus fragiles qu’on ne le croit, indique Pierre Rainville. Avec les tables rondes, nous convions le public à une prise de conscience. Nous serons là pour documenter les attaques contre la liberté d’expression et pour sensibiliser les esprits.»

«Nous vivons aux côtés d’une société qui vit une période charnière de son histoire. Je souhaite que les tables rondes permettent aux personnes qui y assisteront de se demander quel genre de médias, quel genre d’universités et quel genre de politiciennes et politiciens nous voulons au Québec», conclut Frédérick Gagnon.