Née en Argentine et arrivée au Québec il y a plus de 25 ans, la chargée de cours du Département de linguistique Jimena Terraza (Ph.D. linguistique, 2009) s’intéresse autant aux langues autochtones de son pays natal – comme le wichi, une langue parlée dans la province de Chaco, au nord du pays – qu’à celle de sa terre d’adoption, notamment le cri, l’innu, l’objibwe et l’atikamekw. «Les langues autochtones sont comme une fenêtre pour entrer dans la culture des peuples, raconte la linguiste. Elles nous parlent du territoire, du mode de vie. Elles sont aussi extrêmement riches en nuances et en possibilités, avec des mots qui désignent, par exemple, la rivière qui dévie ou une pente rocheuse.»
Après avoir fait des études en traduction du français vers l’espagnol à l’Université nationale de Córdoba, Jimena Terraza a réalisé un échange universitaire à la maîtrise en linguistique à l’Université Laval. «J’y ai suivi un cours qui parlait des langues minoritaires, et j’ai réalisé que je connaissais très peu les langues autochtones de mon propre pays, raconte-t-elle. Ce fut le déclencheur pour m’intéresser au wichi.»
Durant sa maîtrise, elle rencontre deux professeurs du Département de linguistique spécialisés en langues autochtones du Québec, Lynn Drapeau et Robert A. Papen, aujourd’hui retraités. Elle travaillera au sein de l’équipe de recherche sur la langue innue, dirigée par Lynn Drapeau, et fera son doctorat à l’UQAM sous la direction de Robert A. Papen. «J’ai eu beaucoup de soutien de la Faculté des sciences humaines, qui m’a donné des bourses à la mobilité pour faire mes recherches sur le terrain en Argentine, se souvient-elle. Mon directeur était génial et a été très présent dans mon parcours.»
Des langues riches en morphèmes
Bien qu’elles proviennent de familles complètement différentes, les langues autochtones du Québec et de l’Argentine possèdent des caractéristiques communes. «Ce sont des langues polysynthétiques très riches en morphèmes, explique la linguiste. Un seul mot peut donner autant d’information qu’une phrase de quatre ou cinq mots en français ou en espagnol.»
Par exemple, en wichi, ihit’ep’anteqatsi signifie «il ou elle n’était pas ici». En innu, Nashipeshtau veut dire «il descend au bord de l’eau ou à la côte en portageant». «La langue est d’une précision chirurgicale, dit-elle. Pour dire “je traverse la rivière” en innu, il est essentiel de connaître le mode de transport. La façon de le dire variera si on la traverse en canot, à la nage ou en bateau!»
Au-delà des langues, Jimena Terraza apprécie les humains. «Je me sens bien en présence des personnes autochtones, mentionne-t-elle. Leur humour, leur façon de voir la vie sans dramatiser, leur respect des animaux et des plantes, l’importance de la famille, tout cela résonne avec moi.»
Cours sur les réalités autochtones
En 2018, la linguiste a publié, à la demande du Moose Cree First Nation, une grammaire pédagogique pour les apprenants du cri comme langue seconde. À sa grande surprise, la première mouture de son projet de grammaire a été refusé. «J’avais compartimenté la langue comme on le fait en linguistique, explique-t-elle. Les partenaires du projet m’ont dit que les Cris ne réfléchissaient pas en termes de suffixes et de préfixes.» Loin de se décourager, Jimena Terraza a refait sa grammaire à zéro avec une nouvelle approche: les histoires traditionnelles autochtones. «Je suis allée voir des personnes aînées de la communauté, qui m’ont raconté des histoires que j’ai enregistrées et que j’ai utilisées pour montrer la grammaire. Le produit final est bien meilleur que ma première version. Je reçois encore aujourd’hui des commentaires positifs d’utilisatrices et d’utilisateurs de ma grammaire.»
Depuis 2018, Jimena Terraza est professeure et coordonnatrice du programme Arts, lettres et communications, option langue autochtone, au collège Kiuna, le seul centre d’études collégiales consacré à l’éducation des autochtones du Québec. «Dans le cours que j’enseigne, les jeunes découvrent les penseurs et écrivains autochtones et en apprennent plus sur leur langue. C’est très gratifiant de voir leurs yeux briller et de voir comment ils se développent et gagnent en confiance.»
À l’UQAM, la linguiste coenseigne le cours Réalités autochtones. Langue, culture et tradition orale innues avec Joséphine Bacon, poète, traductrice, conteuse et Aînée en résidence pour les Premiers Peuples à l’UQAM. Cet automne, le cours sera offert les lundis, de 14 h à 17 h, en présentiel. «Plonger dans l’univers innu est une expérience extraordinaire. Nous avons beaucoup à apprendre de cette culture, qui a de belles valeurs. Nous vivons aussi des moments magiques avec Joséphine, une oratrice qui nous amène dans des mondes merveilleux en nous berçant de sa poésie.» Il est possible de s’inscrire au cours dès maintenant.