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Debout pour la science!

Les attaques contre la liberté académique, notamment aux États-Unis, ont fait l’objet d’un colloque international à l’UQAM.

Par Claude Gauvreau

22 avril 2025 à 12 h 52

Menaces d’expulsion d’étudiants et de professeurs, établissement d’une liste de mots prohibés dans les projets de recherche, licenciements de personnes dans les organismes de financement, coupes draconiennes dans les budgets consacrés à la recherche, notamment en santé et en environnement …Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les attaques contre les universités américaines et la science se multiplient. Même l’Université Harvard, l’une des plus prestigieuses au monde, n’est pas épargnée. Elle poursuit en justice l’administration Trump pour avoir bloqué 2,2 milliards $ en subventions qui lui étaient destinées. Le recteur, Stéphane Pallage, a écrit au président de Harvard la semaine dernière pour le féliciter de son courage.

«Le gouvernement Trump s’en prend aussi aux politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) dans les universités, souligne la professeure du Département d’éducation et formation spécialisées Maryse Potvin. Même au secondaire et au collégial, dans les cours sur l’histoire des États-Unis, les enseignants ne peuvent plus faire référence à l’esclavagisme et à la ségrégation raciale. On peut comparer la situation actuelle avec la période du maccarthysme, cette chasse aux sorcières ayant sévi aux États-Unis à la fin des années 1940 et au début des années 1950.»

Maryse Potvin est cotitulaire de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression (COLIBEX), qui a organisé le colloque international «Politique de la liberté académique: état des lieux comparés», tenu à l’UQAM les 16 et 17 avril derniers. L’événement, qui a réuni des chercheuses et chercheurs du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, d’Allemagne, de Hongrie et de la Turquie, s’inscrivait dans le troisième axe de recherche de la Chaire concernant les enjeux liés à la science, au savoir et à la liberté académique.

L’objectif du colloque était de décrire l’évolution contemporaine de la liberté académique ainsi que les attaques dont elle fait l’objet et de contribuer à l’analyse des transformations de l’espace universitaire. La défense de la liberté académique à l’échelle nationale et internationale était à l’ordre du jour.

«Depuis quelques années, dans un contexte marqué par la montée des mouvements politiques de droite et d’extrême-droite aux États-Unis et en Europe, on s’inquiète des menaces qui pèsent sur la liberté académique et l’autonomie des universités. Ces menaces sont alimentées, notamment, par la désinformation et la circulation des théories du complot sur les réseaux sociaux, lesquelles entretiennent la méfiance envers la science.»

Maryse Potvin,

Professeure au Département d’éducation et de formation spécialisées

Entraves internationales

Les entraves à la liberté académique ne se manifestent pas seulement aux États-Unis. Une équipe de recherche germano-suédoise a publié, le 13 mars dernier, le rapport 2025 sur «L’indice de liberté académique». En 2024, 34 pays sur 179 couverts par le rapport ont vu leur indice baisser substantiellement, dont les Etats-Unis, l’Argentine, la Géorgie, la Finlande et Israël, alors qu’il s’est amélioré dans seulement huit pays. Pour arriver à ces résultats, l’équipe a tenu compte de cinq paramètres: liberté de recherche et d’enseignement, liberté d’échange et de diffusion universitaires, liberté d’expression académique et culturelle, autonomie institutionnelle des universités et intégrité des campus.

Au Canada, une déclaration du chef du Parti conservateur Pierre Poilièvre faite le 26 mars dernier a suscité l’inquiétude. Celui-ci promettait de «mettre fin à l’imposition de l’idéologie woke» dans le financement fédéral de la recherche universitaire. Selon la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), cet engagement était un signal clair que la liberté académique pourrait être menacée si les conservateurs formaient le prochain gouvernement.

«Cette promesse de réduire le financement fédéral doit être considérée comme une attaque contre la science, soutient Maryse Potvin. Le mot woke, un terme fourre-tout, est largement utilisé de manière péjorative par des politiciens et des chroniqueurs populistes de droite, ici comme ailleurs, qui cherchent à décrédibiliser la science, en particulier les sciences humaines et sociales, et tous ceux et celles qui sur les campus défendent des causes sociales.»


Comment protéger la liberté académique?

En Europe, des pays comme l’Allemagne et la France ont intégré des clauses dans leur constitution pour reconnaître la notion de liberté académique. «Au Canada, la liberté académique fait l’objet d’une certaine protection par le biais de la reconnaissance de la liberté d’expression dans l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, note la professeure. Le Québec, toutefois, est la seule province au pays à avoir légiféré pour préserver la liberté académique.»

En 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la «Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire» (loi 32), qui s’applique à l’ensemble des universités et oblige celles-ci à se doter d’une politique en la matière. La loi 32 rappelle que la liberté académique est au fondement même de la mission des universités, qui «comprend la production et la transmission de connaissances par des activités de recherche, de création et d’enseignement, et par des services à la collectivité». Elle affirme aussi que la liberté académique et l’autonomie des établissements universitaires représentent les deux conditions essentielles à l’accomplissement de cette mission.

S’inspirant de la formulation adoptée par l’UNESCO en 1997, la loi 32 définit la liberté académique universitaire comme le droit de toute personne d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale une activité par laquelle elle contribue à l’accomplissement de la mission d’un établissement d’enseignement. Ce droit comprend la liberté d’enseignement et de discussion, de recherche, de création et de publication, celle d’exprimer son opinion sur la société et sur une institution ainsi que sur toute doctrine, tout dogme ou toute opinion, et la participation libre aux activités d’organisations professionnelles ou académiques.

«L’intérêt de la loi 32 réside également dans la reconnaissance que la liberté académique doit s’exercer en conformité avec les normes d’éthique et de rigueur scientifique reconnues par le milieu universitaire et en tenant compte des droits des autres membres de la communauté universitaire», observe Maryse Potvin.

Dans une lettre d’opinion parue dans Le Devoir le 13 mars dernier, intitulée «Le Québec doit être un rempart contre les dérives autoritaires à l’endroit des universités américaines», les dirigeantes et dirigeants d’établissements du réseau de l’Université du Québec soulignaient que, dans ce contexte, «le Québec a l’occasion de réaffirmer qu’il est un lieu unique où la libre pensée est soutenue par la loi sur la liberté et l’autonomie universitaire et de miser sur ce trait distinctif».

«Il est important de se doter de garde-fous, comme la loi 32, pour protéger la liberté académique, mais encore faut-t-il demeurer vigilant pour s’assurer que le système juridique fonctionne dans le respect des normes démocratiques, remarque Maryse Potvin. Aucune société n’est immunisée contre l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement autoritaire qui, comme le fait actuellement l’administration Trump, outrepasse les règles de l’État de droit.»


Un mouvement de résistance

Depuis un mois environ, dans le cadre du mouvement Stand Up for Science (Debout pour la science), près de 200 rassemblements pour défendre la recherche se sont tenus aux États-Unis et dans d’autres pays, dont le Canada et la France. Lancé par des chercheurs américains, ce mouvement est inspiré de la marche pour la science de 2017, survenue lors du premier mandat de Donald Trump.

Soutenant la science libre et la liberté académique, Stand Up for Science dénonce les attaques contre les universités, qui ne sont pas uniquement financières, mais aussi idéologiques. Aux États-Unis, par exemple, l’administration Trump a instauré une censure dans les milieux scientifiques. Ainsi, des termes comme «femmes», «genre», «avortement», «diversité» ou «crise climatique» ne sont plus les bienvenus dans les projets soumis à la National Science Foundation, l’un des principaux organismes de financement public de la recherche aux États-Unis.

«La formation de Stand Up for Science, qui cherche à mobiliser des chercheuses et chercheurs de différents pays, représente une avenue prometteuse pour la défense de la science et des institutions démocratiques en général», indique Maryse Potvin. Il en a d’ailleurs été question lors du colloque.

Le 22 avril, des médias tels que Le Monde, Le Devoir et La Presse rapportaient que plus de 100 présidents de collèges et universités aux États-Unis, dont ceux de Harvard, Yale et Princeton, ont signé une déclaration dénonçant «l’ingérence gouvernementale et l’interférence politique» de l’administration Trump qui menacent l’enseignement supérieur. La déclaration commune a été publiée par l’Association américaine des collèges et universités (AAC & U).

Panel de discussion sur la liberté académique

 

Le 28 mai prochain, le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) organise un panel de discussion sur le thème «Pourquoi la liberté académique est-elle fondamentale?» L’événement réunira le recteur de l’UQAM, Stéphane Pallage, le principal et vice-chancelier de l’Université McGill, Deep Saini, le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, et le principal et vice-chancelier de l’Université Concordia, Graham Carr.

Le panel se déroulera se déroulera de 11 h 30 à 13h 45. Date limite d’inscription: en personne, le 26 mai à midi et en visioconférence, le 27 mai, à midi. La discussion sera animée par Martine St-Victor, directrice générale d’Edelman Montréal.