On sait que les groupes sociaux vulnérables, comme les personnes itinérantes, sont affectés de manière disproportionnée par les changements climatiques – températures extrêmes, pollution de l’air, désastres naturels – et que l’accès aux ressources communautaires constitue un facteur de protection. Dans un contexte aggravé par la crise du logement et la hausse de l’itinérance, la professeure de l’École de travail social Mélissa Roy mène, à la demande du Réseau Solidarité itinérance du Québec (RSIQ), un projet de recherche exploratoire concernant les effets des changements climatiques sur les pratiques des organismes communautaires offrant des services aux personnes en situation d’itinérance.
Financé par le CRSH dans le cadre du programme Engagement partenarial, le projet est mené en collaboration avec le RSIQ, qui chapeaute plus de 200 organismes communautaires œuvrant en itinérance dans différentes régions du Québec.
«Depuis trois ans environ, plusieurs témoignages de responsables d’organismes communautaires, dont les ressources sont déjà limitées, rendent compte d’une hausse de demandes de services de la part des personnes itinérantes, entraînant ainsi une pression et une surcharge de travail.»
Mélissa Roy,
Professeure à l’École de travail social
Transformation des demandes de services
Le premier objectif de la recherche consistait à documenter la transformation des demandes de services des populations en situation d’itinérance, dont la vulnérabilité et les besoins se sont accrus en raison, notamment, des bouleversements climatiques.
«Les personnes itinérantes sont durement touchées par tous les phénomènes météorologiques extrêmes, mais la chaleur constitue la source de préoccupation principale», indique la chercheuse. Les impacts de la chaleur sont amplifiés chez les personnes itinérantes qui souffrent de problèmes de santé physique et mentale, qui consomment des psychotropes et des médicaments, et qui font l’objet de stigmatisation sociale, ce qui entrave leur accès à des lieux publics climatisés.
«Même les régions situées dans le nord du Québec connaissent des vagues de températures de 40 degrés et plus qui durent plusieurs jours, relève Mélissa Roy. Personne, y compris les organismes communautaires en itinérance, n’est préparé à faire face à cette nouvelle réalité.» Les pluies diluviennes et les inondations constituent un autre enjeu important dans les régions éloignées, en particulier pour les personnes itinérantes qui vivent dans des campements et qui doivent se déplacer.
Des services insuffisants
Les organismes communautaires en itinérance offrent un continuum de services qui comprend, entre autres, le travail de rue, la mise en place de refuges d’urgence temporaires, comme des haltes-chaleur pour être à l’abri du froid ou des haltes-fraîcheur pour se protéger des canicules, des logements de transition et des logements sociaux.
Malheureusement, les ressources humaines, matérielles et financières des organismes ne suffisent pas pour répondre aux besoins de plus en plus nombreux et diversifiés des personnes itinérantes dans un contexte de changements climatiques.
«Les refuges contre le froid et la chaleur, par exemple, permettent des moments de répit, mais ils sont basés sur l’anticipation des températures et déployés pour certaines périodes prédéterminées», observe la professeure. Ainsi une halte-chaleur peut être ouverte de novembre à mars et une halte-fraîcheur de juin à août. Cependant, les cycles météorologiques sont de plus en plus imprévisibles et entraînent d’importantes fluctuations de températures. De plus, les haltes-fraîcheur ne se trouvent pas toutes dans des locaux climatisés.
«Plusieurs organismes communautaires ne disposent pas de budgets suffisants pour louer des immeubles aérés et climatisés, où des services adaptés aux personnes itinérantes pourraient être aménagés. C’est pourquoi les organismes réclament un financement stable lié à leur mission, plutôt qu’un financement par projet.»
Des pistes de solution
Afin d’identifier des pistes de solution et de mettre en place des pratiques et des services mieux adaptés, l’équipe de recherche dirigée par Mélissa Roy a organisé trois groupes de discussion formés d’intervenantes et d’intervenants de première ligne, de gestionnaires d’organismes communautaires et de personnes représentant les directions de concertations régionales dans le domaine de l’itinérance.
Les personnes participantes ont avancé l’idée de financer une structure pérenne, soit des haltes climatiques qui seraient accessibles toute l’année, quelles que soient les conditions météorologiques. Il a été aussi question de créer une instance intersectorielle permettant de mobiliser d’autres acteurs, en particulier les municipalités. «C’est un aspect important quand on sait que l’accès à des locaux pouvant servir de refuges et les initiatives de verdissement relèvent de la juridiction municipale», note la chercheuse.
Les membres des organismes communautaires ont enfin fait part de leur épuisement et de leur sentiment d’impuissance devant la lourdeur de leurs tâches. «Il s’agit, notamment de tâches à accomplir dans des situations d’urgence, quand la température est très froide ou très chaude, comme la distribution de bouteilles d’eau ou la mise en place d’un service, ce qui oblige à faire des heures supplémentaires, remarque Mélissa Roy. Il faut que les services soient davantage conçus dans une optique de prévention, de préparation et d’adaptation.»
La recherche permettra de produire des données sur lesquelles les organismes communautaires en itinérance pourront s’appuyer afin de formuler des recommandations sur des enjeux qui se situent au croisement de la précarité socio-économique et de la crise socio-écologique. Ces recommandations seront acheminées aux élus et décideurs politiques, au ministère de la Santé et des Services sociaux, par exemple, afin d’influencer les politiques municipales et provinciales.
«Nous entrons dans la dernière phase de la recherche, observe la professeure, et sommes en train de rédiger un rapport qui pourra alimenter la réflexion lors des prochaines consultations portant sur la révision du Plan d’action interministériel en itinérance.».
L’étude devrait avoir des retombées positives à la fois pour les personnes itinérantes et les organismes communautaires, mais aussi pour la recherche et la formation, conclut Mélissa Roy. «Les travailleuses et travailleurs sociaux sont de plus en plus confrontés aux effets des changements climatiques sur les populations vulnérables. Ces enjeux, qui s’inscrivent dans une perspective de justice environnementale, doivent faire partie de la formation en travail social.»