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Construire plus de logements par le privé ne réglera pas la crise

Hélène Bélanger cosigne une étude sur les lacunes de l’approche gouvernementale en matière d’accès à l’habitation.

Par Pierre-Etienne Caza

23 juin 2025 à 8 h 36

Il faut construire, construire, construire, martèlent les décideurs politiques lorsqu’il est question de la crise du logement. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), il faudrait en effet 620 000 nouveaux logements au Québec d’ici 2030 afin de rétablir l’accessibilité et l’abordabilité dans le secteur. «C’est ce que prône la théorie économique du filtrage, qui sous-tend ce discours officiel, et c’est ce mythe que nous déboulonnons»,  affirme sans détour la professeure du Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM Hélène Bélanger au sujet de l’étude dévoilée ces jours-ci par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

La théorie du filtrage stipule que si l’on construit suffisamment de logements, peu importe le type, les ménages des classes moyenne et supérieure vont les acheter et ainsi libérer des unités de logement accessibles pour d’autres ménages, entraînant une chaîne d’inoccupation permettant de résorber la crise du logement. «Ce n’est pas si simple, objecte Hélène Bélanger, qui cosigne l’étude avec Yaya Baumann, chercheur associé à l’IRIS. Au bout de cette chaîne d’inoccupation, il est possible, à long terme, que l’abordabilité soit au rendez-vous pour plusieurs ménages, mais la qualité des logements n’y sera plus. Les ménages à revenu faible ou modeste se retrouveront alors avec des logements délabrés qui ne répondront pas à leurs besoins.»

Hélène Bélanger et Yaya Baumann ne sont pas économistes, précise la professeure, et leur étude ne visait pas à revisiter les calculs économiques sur lesquels s’appuient la théorie du filtrage, mais plutôt à faire ressortir les autres dynamiques à l’œuvre dans la crise du logement. Par exemple, «selon une étude de la SCHL, 28 % des jeunes ménages qui achètent un condo ou une maison habitaient chez leurs parents. Ils ne libèrent donc pas de logements», illustre-t-elle.

Multipropriété et gentrification

L’autre problème identifié par Hélène Bélanger et son collègue: la multipropriété, soit le retrait de logements du marché à des fins d’investissement ou de villégiature. «Plusieurs ménages ont des résidences secondaires qui pourraient être occupées à titre de logement principal, mais qui sont soustraites du marché. On en retrouve beaucoup en Estrie, par exemple, ou aux Îles-de-la-Madeleine, où 20 % des propriétaires de maisons ne sont pas des insulaires. Parmi ces maisons, une sur 10 a été acquise pour des locations à court terme. Résultat: on assiste, là comme ailleurs au Québec, à une crise du logement.» Construire de nouvelles habitations, dans ces régions prisées, ne fait qu’attirer davantage les ménages fortunés…

Dans certains secteurs de l’agglomération montréalaise, on assiste au phénomène du filtrage inversé, souligne l’étude de l’IRIS. Selon la théorie du filtrage, on présume que les logements vont se déprécier avec le temps, devenant moins au goût du jour et/ou se retrouvant dans des secteurs moins désirables. «Or, ce qu’on observe dans les quartiers centraux, c’est plutôt l’inverse: les vieux logements gagnent en valeur, sans nécessairement que leurs propriétaires aient investi des sommes pour les maintenir au goût du jour, explique la professeure. Ce phénomène de gentrification, on le voit autant dans les grands centres urbains que dans les villes de banlieue.»

Cette gentrification repousse les ménages à revenu faible ou modeste hors des quartier centraux, toujours plus en périphérie. «C’est un problème important, car ces ménages ne sont pas nécessairement motorisés et se retrouvent loin des centres d’emplois et des services, avec peu ou pas de transport collectif. Cela les isole davantage, au détriment de leur intégration économique et sociale.»

L’étude de l’IRIS note que la dépréciation des logements locatifs n’est possible que lorsque le ou la propriétaire laisse sa propriété se dégrader. Or, les bas loyers accentuent le déficit d’entretien. «L’abordabilité pour les ménages à revenu faible ou modeste repose donc, en partie du moins, sur des logements de qualité inadéquate», observe Hélène Bélanger.

Plus de logements à but non lucratif

«Plutôt que de construire tous azimuts, il faut surtout construire des logements à but non lucratif – coopératives et logements sociaux gérés par l’État – qui visent directement les ménages à revenu faible ou modeste», préconise Hélène Bélanger. En ne visant pas la profitabilité, on facilite l’abordabilité à l’entrée et à long terme pour les ménages moins nantis.

Au cours des derniers jours, Hélène Bélanger et son collègue ont multiplié les entrevues dans les médias. «L’objectif de l’IRIS est d’attirer l’attention sur ce débat pour amener une modification des politiques publiques», précise-t-elle.

Depuis sa création, la SCHL a investi des sommes colossales pour favoriser l’accès à la propriété, rappelle la chercheuse. «Nous sommes conscients que notre étude recommande un changement de cap majeur, qui doit provenir du gouvernement fédéral, à travers ses politiques et les fonds qu’il distribue.»

Le logement est un bien marchand, certes, mais c’est d’abord et avant tout un besoin fondamental, surtout dans un pays nordique comme le nôtre, insiste Hélène Bélanger. «Il ne faut jamais l’oublier, car le mal-logement entraîne un paquet de problèmes de santé psychologiques et physiques. Investir massivement dans le logement à but non lucratif est un choix politique qui doit être fait pour parvenir à répondre aux besoins de la population», conclut-elle.