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Un triplé aux Prix du Québec

Robert J. Vallerand, Raymond Montpetit et Élise Turcotte reçoivent la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec en culture et en science.

15 octobre 2024 à 16 h 07

Le professeur du Département de psychologie Robert J. Vallerand (prix Léon-Gérin), le professeur émérite du Département d’histoire de l’art Raymond Montpetit (prix Gérard-Morisset) et la diplômée Élise Turcotte (prix Athanase-David) figurent parmi les lauréats et lauréates de l’édition 2024 des Prix du Québec, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec en culture et en science.

Le prix Léon-Gérin est décerné depuis 1977 à une personne qui a mené une carrière remarquable en recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Le prix Gérard-Morisset est la plus haute distinction attribuée à une personne pour sa contribution remarquable à la sauvegarde et au rayonnement du patrimoine québécois.

Le prix Athanase-David est la plus haute distinction attribuée à une personne pour sa contribution remarquable à la littérature québécoise.

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Photo: Joanie Fortin
Robert J. Vallerand

Reconnu pour ses contributions qui ont transformé la compréhension de la motivation humaine et du bien-être, Robert J. Vallerand est une figure emblématique de la psychologie. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les processus motivationnels et le fonctionnement optimal, il a repoussé les frontières du savoir grâce à des théories novatrices. Ses recherches sur la passion et la motivation ont eu des effets considérables, faisant avancer la psychologie moderne et influençant de nombreux domaines pratiques, tels que l’éducation, le sport, le travail et la santé mentale.

Pour lui, recevoir un Prix du Québec représente non seulement une reconnaissance personnelle, mais aussi un hommage à ses collaborateurs. «Ce prix représente une appréciation positive pour le travail accompli et un encouragement à poursuivre le travail entamé, dit-il. Je ressens de la fierté pour moi-même, mais aussi pour mon université, mes collègues et étudiants actuels et anciens, ainsi que pour ma discipline, la psychologie. Je suis très reconnaissant envers ceux qui m’ont soutenu et ceux qui ont ouvert le chemin avant moi.»

Robert J. Vallerand a commencé sa carrière universitaire par une formation en psychologie sociale du sport et de la santé, comprenant un doctorat à l’Université de Montréal et des études postdoctorales en psychologie sociale expérimentale à l’Université de Waterloo. Ses recherches initiales sur la motivation intrinsèque et extrinsèque ont culminé dans le Modèle hiérarchique de la motivation. Cette théorie, qui évalue différents niveaux hiérarchiques de motivation, a révélé l’importance de la qualité de la motivation, et non uniquement son intensité, pour le bien-être psychologique, entre autres. Cette perspective a été validée par de nombreuses études et a trouvé des applications pratiques dans divers domaines, y compris la prévention des comportements à risque et la promotion de la santé mentale.

Son Modèle dualiste de la passion, présenté en 2003, a marqué une avancée majeure en ouvrant un nouveau champ d’étude scientifique sur la passion, qui distingue la passion harmonieuse de la passion obsessive. Cette théorie, qui explore les effets positifs et négatifs des deux types de passion, a été un tournant pour la compréhension de la motivation humaine. Son livre The Psychology of Passion: A Dualistic Model a reçu le prestigieux prix William James de l’American Psychological Association, qui souligne l’impact considérable de ses recherches.

«L’accomplissement dont je suis le plus fier est d’avoir eu un impact global sur ma discipline.»

Robert J. Vallerand

Professeur au Département de psychologie

Les contributions de Robert J. Vallerand vont au-delà de ses théories. En tant que président de l’International Positive Psychology Association, il a joué un rôle clé dans la promotion de la psychologie positive à l’échelle mondiale. Ses efforts ont contribué à une meilleure compréhension du bien-être et du bonheur dans divers contextes, influençant des communautés et organisations à travers le monde. Avec 12 ouvrages et plus de 450 articles et chapitres scientifiques, il est le psychologue social le plus cité au Canada et l’un des plus cités au monde (plus de 110 000 citations).

«L’accomplissement dont je suis le plus fier est d’avoir eu un impact global sur ma discipline, observe-t-il. Ceci a été atteint à travers ma contribution en tant que directeur de département et président de diverses associations scientifiques, celle de formateur de futures générations de professeurs universitaires et l’impact scientifique et appliqué de mes théories sur les processus motivationnels. J’ose espérer que cette contribution globale aura permis de faire progresser la psychologie de manière durable.»

Robert J. Vallerand a réalisé des avancées essentielles dans le domaine de la psychologie, mais il lui reste des objectifs à atteindre. «J’avais un idéal initial de contribuer à faire progresser mon champ de recherche et de le laisser un peu plus complet qu’à mon arrivée. Bien que j’aie accompli une partie de cet idéal, il reste encore beaucoup à faire. C’est notamment le cas en ce qui concerne le raffinement de nos modèles théoriques, menant ainsi à une meilleure compréhension du fonctionnement optimal humain, ainsi que la poursuite de la formation de futurs professeurs universitaires.» Il continue donc à œuvrer avec passion et détermination pour enrichir le champ de la psychologie et préparer les futures générations de chercheuses et chercheurs.

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Photo: Joanie Fortin
Raymond Montpetit

Entre les années 1970 et 2000, la muséologie québécoise connait un essor exceptionnel, un «renouveau» qui doit beaucoup au dynamisme, à la conviction et à la passion de Raymond Montpetit. Chercheur, muséologue, directeur fondateur, auteur, professeur: la richesse de son parcours est à l’image de tout ce qu’il contribue à apporter à la culture québécoise.

L’élément déclencheur de sa vocation est l’exposition Terre des Hommes, en 1967. «Ça a été un choc pour moi, se souvient-il. Cela m’a montré combien les musées étaient en retard comparés au genre d’expositions présentées dans les expositions universelles: celles-ci étaient thématiques et dynamiques, misant sur les technologies de communication.»

Dès 1974, par la conception et la réalisation d’expositions temporaires ou permanentes, Raymond Montpetit s’engage dans la diffusion du patrimoine auprès d’un large public. Qu’il expose la culture urbaine de Montréal avec Sports et divertissements populaires à Montréal au XIXe siècle (Bibliothèque nationale du Québec, 1976); un legs artistique méconnu avec Paul-Émile Borduas photographe: un regard sur Percé été 1938 (musée Le Chafaud, Percé, 1998); l’histoire du Québec avec Mémoires (Musée de la civilisation, 1988) ou la relation entre art et mémoire collective avec Je me souviens. Quand l’art imagine l’histoire (Musée national des beaux-arts du Québec, 2002), il exprime une vision novatrice qui inscrit la muséologie québécoise dans un courant moderne et accessible.

Afin d’améliorer le fonctionnement professionnel des musées québécois, il joue un rôle majeur dans la mise en place du premier programme de maîtrise en muséologie au Québec, dont il est le directeur-fondateur, en 1987, et qu’il dirigera de nouveau de 1993 à 1999. Cette maîtrise vient combler les besoins en formation muséale et favoriser l’émergence de générations de muséologues sensibilisés aux défis du domaine. Démocratisation, approches participatives, nouvelles technologies: Raymond Montpetit a pleinement conscience des vecteurs à privilégier pour renouveler, diffuser et optimiser l’accès aux différentes collections.

La notion de création se décline sous bien des aspects dans sa carrière. Sous forme d’expositions, bien sûr, mais, rapidement, dans de nombreux projets de musées nouveaux dans lesquels il s’engage. Entre 1981 et 1983, il contribue à la conception du Centre d’histoire de Montréal, premier musée municipal inspiré des centres d’interprétation américains et, dès 1987, il définit les grandes lignes de ce qui deviendra Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal. En 2001, il dirige la création du nouveau musée régional La Pulperie de Chicoutimi, sur l’histoire et l’identité du Saguenay. Plus récemment, il rédige l’étude qui conduit à la création du Centre des mémoires montréalaises (MEM), inauguré en 2023.

Sa volonté de valoriser et d’interpréter le patrimoine le conduit à s’intéresser aux politiques du patrimoine, l’autre rôle décisif qu’il endosse au début des années 2000, dans la suite logique de sa démarche. En effet, comme membre du Groupe-conseil sur la Politique du patrimoine culturel du Québec qui conduit à la publication du rapport Notre patrimoine, un présent du passé, destiné au ministère de la Culture et des Communications, il défend deux principes. Tout d’abord, l’intégration des concepts de paysages culturels patrimoniaux et de patrimoine immatériel à la loi sur le patrimoine, ce qui ouvre la voie à la célébration de la culture populaire ainsi qu’aux porteurs et porteuses de traditions et de savoir-faire. Il soutient aussi la reconnaissance et l’appropriation collectives du patrimoine par les communautés. Ces deux grandes orientations seront finalement incluses dans la Loi sur le patrimoine culturel, qui sera adoptée en 2012.

«Je vois ce prix comme une reconnaissance des immenses progrès qu’ont faits les musées québécois et des degrés de qualité qu’ils ont atteints aujourd’hui.»

Raymond Montpetit

Professeur émérite du Département d’histoire de l’art

En 2005, il poursuit le chantier de formation entamé presque 20 ans auparavant en participant à la création du premier doctorat en muséologie, médiation, patrimoine, fondé en collaboration avec l’Université d’Avignon. Cette perspective internationale positionne le Québec comme chef de file de la recherche muséale au pays et accroît encore la notoriété de Raymond Montpetit au-delà de nos frontières.

Grâce au caractère novateur de ses réalisations et à sa volonté de partager ses connaissances, Raymond Montpetit est l’un des muséologues québécois les plus lus et reconnus dans le monde. Il compte plus de 100 conférences prononcées ici et à l’étranger. Ses textes sont largement diffusés dans la francophonie muséale et au-delà, certains ayant d’ailleurs été traduits en plusieurs langues. Beaucoup ont atteint le statut de références, comme Une logique d’exposition populaire: les images de la muséographie analogique, publié en 1996 dans la revue Publics et Musées.

Nommé professeur émérite par l’UQAM en 2014, Raymond Montpetit demeure impliqué dans des projets de recherche et de publication. Son principal objectif demeure de rendre accessible notre patrimoine par les musées et de placer le public au centre de l’exposition.

«Je vois ce prix comme une reconnaissance des immenses progrès qu’ont faits les musées québécois et des degrés de qualité qu’ils ont atteints aujourd’hui», résume-t-il.

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Photo: Joanie Fortin
Élise Turcotte

Poète, romancière, essayiste: la diversité de plumes d’Élise Turcotte n’a d’égale que la richesse des thèmes qu’elle aborde dans ses œuvres depuis ses débuts.

Avant d’obtenir une maîtrise en études littéraires à l’UQAM et un doctorat à l’Université de Sherbrooke, elle publie, à l’âge de 21 ans, ses premiers poèmes dans la revue La Nouvelle Barre du jour. En 1982, son premier recueil de poésie, Dans le delta de la nuit, est publié et, déjà, son style s’affirme à travers une langue inventive, à la fois dense et vibrante, qui vise à «déchirer le réel». On y décèle une détermination à explorer, avec lucidité, le chaos et l’incertitude de l’existence. Cette écoute inquiète du monde s’affirmera de plus en plus au cours des années.

«J’ai une tête chercheuse et je me suis beaucoup fiée à ma curiosité pour expérimenter et mêler les formes. J’ai aussi la volonté de faire se côtoyer le poétique et le politique», analyse-t-elle.

Elle se démarque rapidement par sa capacité à créer dans divers genres littéraires, pour un public varié, adulte comme jeune, et par sa facilité à passer de la nouvelle au roman ou de l’essai au recueil. Ses ouvrages, riches en couches de signification, restent ancrés dans des expériences humaines universelles, d’où leur accessibilité, malgré des formes hybrides et peu conventionnelles.

La reconnaissance arrive avec La Voix de Carla (1987) et La Terre est ici (1989), deux recueils de poésie. Parallèlement, elle continue d’explorer son propre rapport à la création avec Le Bruit des choses vivantes (1991), son premier roman, qui met en exergue une réflexion sur le temps qui passe, le corps et la mort, d’autres thématiques régulièrement présentes dans son œuvre.

La critique lui fait une place de choix. À titre d’exemples, ses romans Guyana, La Maison étrangère, L’apparition du chevreuil et Rose derrière le rideau de la folie, livre jeunesse publié en 2010, ont tous été salués et récompensés par des prix. Plusieurs fois traduite, elle voit ses réalisations s’exporter bien au-delà de nos frontières.

Les personnages de son impressionnante production sont surtout des femmes. Dès la publication de son premier roman, elle apparaît comme une figure clé dans la naissance d’un nouveau féminisme.

«Ce prix, étrangement, me libère de quelque chose. Pas du doute, car le doute a toujours fait partie de ma manière de créer, mais m’offre une sorte de réconfort et une porte ouverte vers l’avenir.»

Élise Turcotte

Diplômée de la maîtrise en études littéraires (1985)

Son essai Autobiographie de l’esprit (2013) et le livre Autoportrait d’une autre (2023) sont décrits comme étant intrinsèquement liés, que ce soit par le regard porté sur une époque ou par la nécessité de contrer les oublis de l’Histoire, en particulier en ce qui a trait à la parole des femmes. Ce dernier ouvrage, qui s’intéresse à la vie de sa tante Denise Brosseau est d’ailleurs né d’une volonté de raconter une existence étonnante, qui méritait d’être exposée au grand jour.

Considéré par ses pairs comme son texte le plus achevé jusqu’ici, Autoportrait d’une autre fait intervenir plusieurs voix féminines et reflète sa vision de la littérature en tant qu’espace de dialogue et de sororité.

«Je n’ai pas l’habitude d’être fière de moi! Mais, je dirais que je suis contente d’être restée auprès de mon cœur sauvage, d’avoir toujours été dans un état de résistance, de délinquance dans mon écriture, de n’avoir jamais fait de concessions», dit-elle.

Dans cette vie consacrée à l’écriture, l’enseignement et le partage cohabitent en harmonie avec la création. Professeure de littérature et de création au cégep pendant de longues années, elle collabore régulièrement à différentes revues et offre des classes de maître, des conférences, des ateliers ainsi que du mentorat. Elle exerce une forte influence sur le travail d’autres autrices et auteurs du Québec et est l’une des plus étudiées par les universitaires. Elle a obtenu le prix Reconnaissance de l’UQAM en 2013.

Parce qu’Élise Turcotte a toujours su se renouveler sans jamais déroger de sa cohésion thématique, parce qu’elle est capable de nous mettre en présence d’émotions profondes, parce qu’elle s’attelle à redonner une juste place aux récits souvent négligés des femmes, chacun de ses livres est attendu et espéré, et ce, depuis plus de 40 ans.

«Ce prix, étrangement, me libère de quelque chose. Pas du doute, car le doute a toujours fait partie de ma manière de créer, mais m’offre une sorte de réconfort et une porte ouverte vers l’avenir», exprime-t-elle.

La remise des Prix du Québec aura lieu le 29 octobre prochain au Musée national des beaux-arts du Québec.