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Un duo uqamien en Ukraine

Le doctorant Michel Poulin et la chargée de cours Caroline Proulx sont allés à la rencontre d’artistes ukrainiens dans le cadre d’un projet documentaire.

Par Pierre-Etienne Caza

26 septembre 2024 à 8 h 42

Mis à jour le 1 octobre 2024 à 13 h 55

Le doctorant en études et pratiques des arts Michel Poulin (M.A. communication, 2008) et la chargée de cours en études littéraires Caroline Proulx (Ph.D. études littéraires, 2013) ont vécu un été rempli d’aventures et d’émotions loin, très loin de Montréal. «Nous sommes allés à la rencontre d’artistes ukrainiens afin de documenter leur mobilisation face à la guerre», explique Michel Poulin.

Les documentaristes se sont rencontrés il y a moins d’un an et se sont découvert un intérêt commun pour le sort du peuple ukrainien. «Ma thèse portait sur la violence du réel chez Hubert Aquin et Marguerite Duras, souligne Caroline Proulx, qui enseigne la littérature au collège Ahuntsic depuis plus de 15 ans. Le conflit ukrainien me semblait propice pour documenter comment on arrive à symboliser la violence de la guerre par l’expression artistique.»

Michel Poulin possède son entreprise de production audiovisuelle et il a réalisé des documentaires après des séjours en Colombie et en Bosnie. «J’ai appris de ces expériences qu’on ne contrôle pas tout le processus quand on débarque dans un pays pour ce type de projet. Il faut se laisser guider par les rencontres que l’on y fait», observe-t-il.

Son projet de thèse, sous la direction de Martin Lalonde, porte sur la mobilisation des jeunes du Québec face à la violence et à la guerre. Il a travaillé, notamment, au sein de plusieurs communautés autochtones. «Le projet de recherche documentaire que Caroline et moi avons développé allait forcément nourrir ma démarche doctorale», souligne-t-il.

Un bon réseau de contacts

Le projet a pris naissance lors d’une marche en appui à l’Ukraine, en février dernier, dans les rues de Montréal, raconte le couple, qui a créé des liens avec des Ukrainiens établis au Canada et d’autres en exil. «Aller dans un pays en guerre nécessite un bon réseau de contacts et l’embauche d’interprètes afin de pouvoir élargir ce réseau une fois sur place», note Michel Poulin.

«On ne contrôle pas tout le processus quand on débarque dans un pays pour ce type de projet. Il faut se laisser guider par les rencontres que l’on y fait.»

Michel Poulin

Doctorant en études et pratiques des arts

À la mi-juin, le duo a atterri à Paris, où il a rencontré une Ukrainienne en exil. «Cette femme habitait à Boutcha avec ses parents lorsque les Russes sont entrés dans la ville. Elle en a été traumatisée. À Paris, où elle pratique le métier de maquilleuse professionnelle, elle a choisi d’écrire pour exprimer ce qu’elle a vécu», raconte Caroline Proulx.

Un train les a ensuite menés à Berlin, puis en Pologne, d’où ils ont pris un autre train pour entrer en Ukraine. «La première chose qui nous a frappés en montant dans ce train est que nous étions les deux seules personnes qui ne venaient pas d’Europe de l’Est, relate Michel Poulin. Il n’y avait que des femmes et des enfants, car tous les hommes de plus de 24 ans sont conscrits.»

Arrivée en Ukraine

À leur arrivée à Lviv, ville située à environ 70 kilomètres de la frontière polonaise, leur hôte les a enjoints à télécharger l’application qui permet d’être averti lors des raids aériens russes. Dès leur première nuit, les alarmes ont retenti et ils ont dû se réfugier au sous-sol de leur immeuble dans un abri qui, comme plusieurs autres dans la ville, existe depuis la Deuxième Guerre mondiale.

«On ne dirait pas que le pays est en guerre à première vue, car les gens manifestent le désir de vivre normalement, mais quand on porte attention, une foule de détails rappellent le conflit.»

Caroline Proulx

Chargée de cours au Département d’études littéraires

Après avoir réalisé quelques entrevues avec des artistes à Lviv, le couple a repris le train en direction de Kyiv, la capitale du pays. «On ne dirait pas que le pays est en guerre à première vue, car les gens manifestent le désir de vivre normalement, mais quand on porte attention, une foule de détails rappellent le conflit, observe Caroline Proulx. Nous avons croisé plusieurs hommes amputés à la suite de blessures de guerre. On voyait également des affiches de propagande et d’enrôlement militaire un peu partout en ville et, surtout, on entendait l’épouvantable bruit des génératrices, car le courant manque souvent.»

Au centre de Kyiv, des chars et des voitures russes rappellent que l’envahisseur s’est buté à la résistance ukrainienne il y a quelques années. «Malgré la perte d’être chers, les Ukrainiens et les Ukrainiennes sont résilients et les artistes font acte de résistance culturelle, comme en témoignent de nombreux graffitis et de nombreuses œuvres d’art de rue sur les murs de la ville, tant à Lviv qu’à Kyiv», souligne Michel Poulin.

Art de rue sur les murs à Lviv. Photo: Alkaest Productions

Les artistes rencontrés sont écrivains, poètes, peintres, musiciens, photographes ou artistes visuels. «Nous avons réalisé une vingtaine d’entrevues, échangeant autant avec des membres du cercle des femmes ukrainiennes, très catholiques, qu’avec des artistes très marginaux, raconte Caroline Proulx. Plusieurs se sont engagés volontairement pour défendre leur pays. Nous avons même discuté avec un colonel de l’armée qui était aussi poète, et qui a édité une anthologie bilingue français-ukrainien intitulé Ukraine: la poésie en guerre. Le désir de tous ces artistes à symboliser cette violence m’a interpellée.»

D’autres artistes, toutefois, sont désabusés. «Un musicien nous a confié qu’il ne croyait plus à l’art face à la guerre, se rappelle Caroline Proulx. C’est un triste constat, mais qui peut le blâmer?»

Les suites au Québec

De retour au Québec, le duo compte développer un projet de création pédagogique, qui prendra la forme d’une Nuit de la création, le 18 octobre prochain, au collège Ahuntsic. «En lien avec ma thèse, il s’agira de relater notre expérience dans le cadre d’ateliers avec des élèves afin que ceux-ci puissent se confronter à la réalité de la guerre et de la violence, pour ensuite proposer des créations artistiques sur le sujet», explique Michel Poulin.

Caroline Proulx et lui comptent également raconter leur projet dans le cadre d’une conférence au congrès de l’Association québécoise des enseignants spécialistes en arts plastiques. «C’est par l’éducation qu’on comprend ce qui se passe dans le monde et qu’on développe ses habiletés à y faire face», conclut Michel Poulin.

Leur projet bénéficie de l’appui du Laboratoire 1p1 de l’UQAM, de la Faculté des arts et du Collège Ahuntsic. On peut consulter la page Facebook de leur périple outre-mer.