L’absentéisme coûte cher en productivité aux organisations et aux entreprises. Mais le présentéisme aussi. Une étude publiée dans le Journal of Occupational and Environmental Medicine, cosignée par la professeure du Département d’organisation et ressources humaines de l’ESG UQAM Hélène Sultan-Taïeb, analyse les liens entre l’absentéisme, le présentéisme et la détresse psychologique chez les travailleuses et travailleurs de plus de 50 ans ainsi que le coût de ces comportements pour les employeurs.
L’étude est basée sur un échantillon de 1292 cols blancs de la région de Québec suivis depuis 1991 dans le cadre d’un projet de recherche sur le travail et la santé piloté par l’Université Laval et financé par les IRSC. «Nous avons collecté des données sur le présentéisme au sein de la cohorte seulement lors de la troisième vague de collecte en 2015-2018», précise Hélène Sultan-Taïeb.
On parle de présentéisme, rappelle-t-elle, lorsqu’une personne se présente au travail alors que son état de santé physique ou mentale ne lui permet pas d’être à son niveau de productivité habituelle.
L’équipe de recherche a mesuré la détresse psychologique des répondantes et répondants, identifiant deux sous-groupes à la lumière des résultats: les personnes présentant un haut et un bas niveau de détresse psychologique.
Des différences hommes-femmes significatives
Les résultats indiquent qu’il y a plus de détresse psychologique chez les femmes que chez les hommes, et que celles-ci s’absentent davantage du travail, toutes causes confondues, que les hommes. Elles présentent également un taux de présentéisme plus élevé. «Ces résultats ne sont pas étonnants et concordent avec la littérature scientifique sur le sujet», observe Hélène Sultan-Taïeb.
«Parmi les personnes qui font du présentéisme, le nombre d’heures perdues est nettement plus important chez les hommes qui sont en détresse psychologique élevée que chez ceux qui sont en détresse psychologique basse, et cette différence est plus grande chez les hommes que chez les femmes.»
Hélène Sultan-Taïeb
Professeure au Département d’organisation et ressources humaines
La contribution originale de l’étude est d’avoir mis en lumière, pour la première fois, une association entre un niveau élevé de détresse psychologique et des taux élevés de présentéisme et d’absentéisme… chez les hommes! «Parmi les personnes qui font du présentéisme, le nombre d’heures perdues est nettement plus important chez les hommes qui sont en détresse psychologique élevée que chez ceux qui sont en détresse psychologique basse, et cette différence est plus grande chez les hommes que chez les femmes», révèle la chercheuse.
Comment expliquer cela? L’une des hypothèses de l’équipe de recherche est que les femmes de ce groupe d’âge (93 % de l’échantillon avait plus de 50 ans et l’âge moyen était de 56 ans) prennent souvent leurs jours maladie pour s’occuper de parents ou de proches et non pour s’occuper de leur santé, et ce, plus fréquemment que les hommes. «Cela expliquerait qu’elles ont un taux d’absentéisme plus élevé que les hommes, sans présenter un niveau aussi élevé de détresse psychologique.»
Les cols blancs de l’étude étaient répartis entre deux sous-groupes selon leur emploi: d’un côté, les gestionnaires et les professionnels, de l’autre, les techniciens et les employés de bureau. «Dans le sous-groupe des gestionnaires et professionnels, les hommes perdent deux à trois fois plus d’heures en présentéisme et absentéisme associé à un haut niveau de détresse psychologique que les femmes», souligne Hélène Sultan-Taïeb.
L’équipe de recherche a constaté qu’un haut niveau de détresse psychologique est surtout associé à une perte de productivité liée au présentéisme plutôt qu’à l’absentéisme. «La détresse psychologique ne correspond pas à un diagnostic de santé mentale, rappelle Hélène Sultan-Taïeb. On parle de symptômes qui peuvent être précurseurs de la dépression. Notre hypothèse est que les seniors, hommes et femmes, qui peuvent être victimes de stéréotypes liés à l’âge et d’une insécurité en emploi, ne s’absentent pas du travail, mais choisissent de vivre cette détresse psychologique au boulot, en faisant du présentéisme.»
Il importe, selon la chercheuse, que les organisations soient alertes aux enjeux de santé mentale, qui génèrent un taux de présentéisme plus élevé que les autres problèmes de santé. «Et cela inclut la détresse psychologique, même si elle passe souvent sous silence», conclut-elle.