Peu d’études ont été menées jusqu’à maintenant sur la place et le rôle des ruelles vertes en Amérique du Nord. La professeure du Département d’études urbaines et touristiques de l’ESG UQAM Hiên Pham s’intéresse à ce phénomène depuis 2020, notamment à Montréal, mais aussi à Québec et à Trois-Rivières où les ruelles vertes sont toutefois moins nombreuses. À l’occasion d’un événement organisé récemment par le Pôle sur la ville résiliente de l’UQAM, celle qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les petites et moyennes villes en transformation a présenté les résultats d’une recherche sur les ruelles vertes et leur disparité spatiale et socio-économique.
Plus précisément, son équipe de recherche a étudié la distribution territoriale des ruelles vertes à Montréal ainsi que la façon dont celle-ci varie selon les quartiers et leurs caractéristiques sociodémographiques. Le cas de Montréal est particulièrement intéressant en raison de la quantité et de la diversité de ruelles vertes qui s’y trouvent, mais aussi parce que la métropole a joué un rôle précurseur dans ce domaine.
Au Québec, on trouve des programmes d’aménagement de ruelles vertes à Montréal, Québec et Trois-Rivières, mais celui de la métropole, mis en place en 1988, est le plus ancien. «La première ruelle verte reconnue officiellement remonte à 1995, rappelle Hiên Pham. Aujourd’hui, Montréal en compte un peu plus de 500. Les ruelles vertes sont financées par la Ville, alors que leur administration est assurée par les éco-quartiers dans les arrondissements.» Des organismes communautaires apportent aussi une aide technique importante, en collaboration avec des citoyennes et citoyens.
À Montréal, les ruelles vertes se concentrent dans les arrondissements centraux, comme ceux de Rosemont–La-Petite-Patrie et du Plateau-Mont-Royal. «Cela s’explique, entre autres, par le fait que les ruelles sont apparues dans certaines formes urbaines développées entre 1840 et 1950, observe Hiên Pham. Ainsi, les quartiers du centre et du sud de Montréal, majoritairement construits avant la Seconde Guerre mondiale, comptent davantage de ruelles que les quartiers plus récents. D’autres facteurs interviennent, comme la volonté politique des arrondissements et la mobilisation citoyenne.»
«Les projets de ruelles vertes sont lancés généralement par des citoyennes et citoyens possédant un fort capital économique, culturel et social. Ces personnes ont plus de facilité à s’organiser et à se mobiliser autour d’enjeux environnementaux.»
Hiên Pham,
Professeure au Département d’études urbaines et touristiques
Le processus menant à l’aménagement d’une ruelle, qui se veut participatif, est assez complexe et peut durer plusieurs mois, «Pour parvenir à un consensus, toutes les personnes résidentes de la ruelle doivent être consultées pour décider du type d’aménagement, avant de monter un dossier et de soumettre une demande», note la professeure.
Des services écosystémiques
L’un des principaux constats de la recherche concerne les services écosystémiques fournis par les ruelles vertes. Véritables îlots de fraîcheur, celles-ci représentent des moyens d’adaptation aux changements climatiques et d’amélioration de la santé publique en réduisant les îlots de chaleur et la pollution de l’air, en contribuant à la gestion des eaux pluviales avec des surfaces perméables et en renforçant la biodiversité grâce à la végétalisation (buissons, jardins, plantes).
«Bien que le programme montréalais ne préconise pas la plantation d’arbres, on observe tout de même que ces ruelles comprennent une plus grande diversité d’espèces d’arbres, et davantage de végétation, que les ruelles traditionnelles et les segments de rue, contribuant à régulariser les températures, voire à la refroidir durant la période estivale, souligne Hiên Pham. Cela dit, une bonne partie des arbres se trouvent dans les cours arrière de résidences privées et certaines ruelles vertes ont des tronçons dépourvus d’arbres.»
Les ruelles vertes se caractérisent aussi par leur hétérogénéité, poursuit la chercheuse. «On constate une grande variabilité, non seulement sur le plan de la biodiversité, mais aussi sur celui de l’aménagement et de l’entretien. Alors que certaines sont très vivantes, d’autres n’ont pas d’espaces de jeux pour enfants ou ont été presque abandonnées au fil des ans.»
«À Montréal, une meilleure planification de l’aménagement des ruelles vertes s’impose pour qu’elles soient mieux entretenues et réparties sur le territoire, et pour prévenir les effets pervers de la gentrification qu’elles pourraient engendrer.»
Une répartition inéquitable
La recherche montre, par ailleurs, que les ruelles vertes sont plus nombreuses dans les quartiers de Montréal où les revenus des familles sont plus élevés, où la population est jeune et fortement scolarisée, alors que leur présence est plus faible dans les quartiers moins aisés et dans ceux ayant un fort taux de personnes immigrantes et appartenant à des minorités visibles.
«Les projets de ruelles vertes sont lancés généralement par des citoyennes et citoyens possédant un fort capital économique, culturel et social, précise Hiên Pham. Ces personnes ont plus de facilité à s’organiser et à se mobiliser autour d’enjeux environnementaux.»
Selon certains observateurs, les ruelles vertes rendraient les propriétés riveraines plus attrayantes et feraient augmenter leur valeur, contribuant ainsi à une sorte de «gentrification verte». «C’est une hypothèse qui demande à être vérifiée, dit la professeure. Il arrive que dans les offres de vente de propriétés, on mentionne la présence à proximité d’une ruelle verte pour justifier la qualité de vie entourant cette propriété, ce qui peut créer un effet à la hausse sur les prix des logements. À Montréal, une meilleure planification de l’aménagement des ruelles vertes s’impose pour qu’elles soient mieux entretenues et réparties sur le territoire, et pour prévenir les effets pervers de la gentrification qu’elles pourraient engendrer.»
L’importance de l’implication citoyenne
Pour mettre en lumière l’importance de l’implication citoyenne dans la création de ruelles vertes, Hiên Pham et son équipe ont réalisé un sondage et réalisé des entretiens avec des acteurs clés. Des résidents d’arrondissements montréalais ont été invités à s’exprimer sur leur perception et leurs usages des ruelles vertes ainsi que sur leur niveau d’implication dans leur entretien.
«Les résultats du sondage indiquent que près de 30 % des 400 répondants participaient à la végétalisation des ruelles, 25 % à des rencontres de consultation et 20 % aux comités de ruelles vertes.» Les entretiens menés avec des représentants d’OBNL et des citoyens impliqués ont révélé leur rôle de mobilisation et de médiation, voire d’arbitre pour prévenir et résoudre des conflits, tout en apportant une expertise technique dans la conception et l’aménagement des ruelles.
«Il faut se demander si c’est une bonne idée d’approuver les projets de verdissement sur la base de concours, plus susceptibles d’être remportés par les groupes de citoyens favorisés et mieux organisés.»
Enfin, la recherche montre que les résidents perçoivent les ruelles vertes de manière globalement positive. À leurs yeux, les ruelles offrent des espaces de vie verdoyants et sécuritaires, notamment pour les enfants, dans lesquels il est possible de s’investir, mais dont il faut améliorer l’entretien. Marcher ou circuler à vélo, parler, manger ou boire avec les voisins, jouer avec les enfants ou s’adonner à des exercices figurent parmi les multiples usages des ruelles cités par les résidents.
Maintenir et bonifier le programme
La professeure plaide pour la bonification du programme d’aménagement de ruelles vertes. Ainsi, la Ville de Montréal, le Regroupement des éco-quartiers et les arrondissements devraient revoir le programme afin de mieux cerner les besoins des résidents et de corriger les inégalités en matière de financement. «Il faut se demander si c’est une bonne idée d’approuver les projets de verdissement sur la base de concours, plus susceptibles d’être remportés par les groupes de citoyens favorisés et mieux organisés, relève Hiên Pham. On devrait aussi changer le nom du programme, car l’objectif n’est pas seulement de verdir les ruelles, mais d’en faire des espaces qui favorisent la vie sociale. On doit enfin renforcer la collaboration entre les arrondissements et le milieu de la recherche pour renforcer la qualité des aménagements.»