Le professeur du Département d’histoire Stéphane Savard et son collègue Harold Bérubé, de l’Université de Sherbrooke, sont les cotitulaires de la nouvelle Chaire de recherche en histoire contemporaine du Québec: État, territoire et identité. Les deux chercheurs ont reçu près de 1,5 million de dollars sur 5 ans du ministère de l’Enseignement supérieur et du Fonds de recherche du Québec (FRQ), dans le cadre du concours des Chaires de recherche du Québec – Citoyenneté.
«Le programme de recherche de notre Chaire est ambitieux, dit Stéphane Savard. Il porte sur l’histoire du Québec contemporain, des débuts du 20e siècle jusqu’à nos jours. Pour comprendre les spécificités du Québec d’aujourd’hui, il faut identifier leurs racines, dont certaines remontent aux premières décennies du 20e siècle ou à l’époque de la Révolution tranquille.» Pour ce faire, les deux chercheurs s’inspireront, notamment, de l’important ouvrage de synthèse Histoire du Québec contemporain (Boréal, 1979, 1986), publié par les professeurs émérites du Département d’histoire Paul-André Linteau et Jean-Claude Robert, en collaboration avec René Durocher et François Ricard. Comportant deux volumes, cette histoire couvrait la période allant de 1867 aux années 1980.
«Pour comprendre les spécificités du Québec d’aujourd’hui, il faut analyser leurs racines, dont certaines remontent aux premières décennies du 20e siècle ou à l’époque de la Révolution tranquille.»
Stéphane Savard,
Professeur au Département d’histoire
«Toute recherche historique est le reflet de son époque et des préoccupations de ses auteurs, souligne Stéphane Savard. C’est le cas de l’ouvrage de Linteau, Robert, Durocher et Ricard. Depuis sa publication, il y a plus de 40 ans, plusieurs nouveaux travaux, dont on doit tenir compte, ont été réalisés en histoire politique, sociale et culturelle, comme ceux portant sur des thématiques liées à l’histoire des femmes, des peuples autochtones et de l’immigration. À la lumière de ces recherches, et de bien d’autres, nous visons à produire une synthèse historique qui, nous l’espérons, contribuera à renouveler le récit du Québec contemporain.»
La Chaire réunira 25 chercheurs et chercheuses rattachés à différentes universités québécoises, dont l’UQAM, ainsi que 27 collaborateurs et collaboratrices du Québec, du reste du Canada et de l’étranger. «Nous ferons non seulement appel à des historiens et historiennes, mais aussi à des personnes expertes provenant d’autres disciplines, comme la sociologie, la science politique, les études urbaines et les communication», note le professeur. De plus, la Chaire comptera sur l’appui de 22 partenaires issus, notamment, de l’appareil étatique et de la société civile (sociétés d’histoire, musées, organisations autochtones).
Quelle place pour l’histoire dans la société?
Le programme de recherche de la Chaire s’articulera autour de trois grands axes regroupant au total 10 chantiers de travail, dont l’un sera transversal. Il consistera en une réflexion historiographique sur la pratique de l’histoire, sur la façon dont l’histoire du Québec contemporain est racontée.
«Dans la mesure où l’histoire participe à la formation de l’esprit critique, un enjeu important en ces temps marqués par la montée des populismes, les membres de la Chaire étudieront la place qu’elle a occupée dans notre société, en particulier la manière dont elle a été enseignée dans les écoles et les universités.»
«Dans la mesure où l’histoire participe à la formation de l’esprit critique, un enjeu important en ces temps marqués par la montée des populismes, les membres de la Chaire étudieront la place qu’elle a occupée dans notre société, en particulier la manière dont elle a été enseignée dans les écoles et les universités, indique Stéphane Savard. Nous nous demanderons également quel rôle les historiens et historiennes ont joué dans l’espace et le débat publics.» Ces questions feront l’objet d’un colloque, qui devrait avoir lieu l’an prochain et qui servira de fer de lance aux activités de la Chaire.
Tous les axes de recherche et chantiers de travail seront liés de près à la question de la citoyenneté. «La notion de citoyenneté est au cœur des préoccupations de pratiquement tous les historiens et historiennes, en particulier ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire politique et sociale, observe Stéphane Savard. Il s’agit de comprendre comment cette notion a évolué tout au long du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui, en identifiant les éléments de continuité et de rupture.»
État, institutions et vie politique
Le premier axe de recherche, «État, institutions et vie politique», concernera le rôle central de l’État et de diverses institutions dans la définition et la construction d’une citoyenneté québécoise, notamment à travers l’adoption de politiques publiques et de lois, telles que la Loi 101 visant à promouvoir et à protéger la langue française.
«Nous nous intéresserons aussi à la vie démocratique locale, aux mouvements sociaux et aux groupes de pression qui, au fil du temps, ont soulevé des enjeux de société, dénoncé des inégalités, revendiqué des droits et fait la promotion de politiques sociales, contribuant à élargir le régime de citoyenneté au Québec», souligne l’historien
Il sera ainsi question du rôle joué par les partis politiques et diverses organisations de la société civile, comme les syndicats, le mouvement des femmes, les groupes autochtones et les associations étudiantes.
Territoire, économie et société
La citoyenneté est aussi étroitement liée au territoire. C’est pourquoi le deuxième axe de recherche traitera de ses processus d’appropriation par l’État québécois, par certains acteurs économiques et par les populations locales.
«La question du territoire sera abordée, entre autres, sous l’angle de l’exploitation des ressources naturelles et énergétiques, forêts et électricité notamment, et des enjeux économiques et environnementaux qui lui sont associés, indique Stéphane Savard. Les travaux viseront à comprendre les possibilités qui s’offrent aujourd’hui au Québec, en fonction des choix faits dans le passé.»
Qui dit territoire dit aussi revitalisation des régions et des quartiers dans les villes. «Différents chercheurs et chercheuses associés à la Chaire se pencheront plus particulièrement sur les enjeux de développement régional et urbain. Ils examineront également comment, dans différentes régions, les rapports entre Autochtones et Allochtones ont évolué.»
Identité et culture
La notion de citoyenneté est indissociable de la culture, des idées et des valeurs qui se transforment dans le temps et qui peuvent faire l’objet de conflits au sein d’une même société. Le troisième axe de recherche, «L’identité québécoise et ses référents culturels», s’intéressera à ces questions à travers le rôle de l’école, comme vecteur d’inclusion, et celui des médias et des institutions cultuelles, en tant que véhicules d’une identité commune, explique le professeur.
Une attention particulière sera accordée à la mémoire et au patrimoine, aussi bien matériel qu’immatériel, comme témoins de l’existence de l’identité québécoise dans la durée. «Les enjeux mémoriels, notamment ceux liés à la commémoration d’événements ou d’anniversaires, ont fait l’objet de tensions tout au long du 20e siècle, rappelle Stéphane Savard. Le Conseil du patrimoine de Montréal, qui est partenaire de la Chaire, participera aux réflexions sur ces sujets.»
Dans chacun de ses axes de recherche, la Chaire tiendra compte des influences extérieures sur l’évolution du Québec contemporain. «La société québécoise ne s’est pas développée en vase clos, relève le chercheur. Son histoire s’inscrit dans un cadre canadien et nord-américain, et plus largement occidental.»
Stéphane Savard souhaite que les travaux de la Chaire puissent offrir un nouvel éclairage sur l’histoire du Québec contemporain, tant aux étudiantes, étudiants et grand public qu’aux responsables de l’élaboration de politiques et de programmes gouvernementaux. «Un de nos premiers projets consiste à documenter l’histoire des commissions parlementaires au Québec. Ce projet, qui pourrait déboucher sur une exposition, est susceptible d’intéresser les députés ainsi que les historiens et historiennes du Service de la recherche de l’Assemblée nationale.»