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Relancer l’industrie de la laine au Québec

La professeure Marie-Ève Faust milite pour la récupération et la transformation locales des toisons des moutons.

Par Claude Gauvreau

18 novembre 2024 à 14 h 54

Mis à jour le 19 novembre 2024 à 16 h 28

Une centaine de personnes se sont réunies au Musée McCord Stewart, le 7 novembre dernier, pour assister à la première édition du Bal de Laine. Cet événement-bénéfice était organisé par la Fondation Bal de Laine et l’organisme Fibershed Québec, présidés par Marie-Ève Faust, professeure à l’École supérieure de mode et au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’ESG UQAM. Plus de 20 000 dollars ont été recueillis pour soutenir la recherche sur les possibilités d’utilisation des fibres textiles naturelles, comme la laine, dans la perspective de redynamiser l’industrie de la laine au Québec.

Les fonds récoltés serviront plus précisément à financer un projet de recherche dirigé par Marie-Ève Faust, qui vise à cartographier les ressources en laine au Québec, en vue d’établir un portrait des acteurs et actrices impliqués dans l’industrie. «On compte actuellement 20 races de moutons au Québec, rappelle la professeure. Nous voulons mieux connaître les éleveurs, les caractéristiques des toisons et ce que l’on peut en faire.»

«Alors que la laine des vêtements que l’on porte est majoritairement importée, plus de 90 % de la laine canadienne est jetée ou brûlée. Au Québec, cela représente plus de 130 000 toisons chaque année», souligne Marie-Ève Faust. Pour plusieurs producteurs ovins du Québec, vendre la laine pour une utilisation commerciale n’est pas rentable. Pour être utilisée à grande échelle, la laine doit être traitée et transformée, un processus exigeant et coûteux nécessitant des investissements.

«Alors que la laine des vêtements que l’on porte est majoritairement importée, plus de 90 % de la laine canadienne est jetée ou brûlée.»

Marie-Ève Faust,

Professeure à l’École supérieure de mode

Selon la professeure, il est important de démontrer que la laine locale mérite d’être exploitée convenablement afin d’assurer une meilleure rentabilité pour les éleveurs désireux de revaloriser cette ressource, une diminution de l’empreinte carbone des textiles et une plus grande offre dans les chaînes d’approvisionnement locales. «Les résultats de la recherche pourront servir à sensibiliser le public aux avantages écologiques de la laine produite localement, favorisant ainsi une consommation plus responsable.»

Des enjeux environnementaux

Le Bal de laine visait non seulement à promouvoir l’utilisation de fibres naturelles locales, telles que la laine, mais aussi à sensibiliser aux enjeux environnementaux associés à l’industrie du vêtement.

«Des travaux menés par la chargée de cours de l’École supérieure de mode Vanessa Mardirossian indiquent que 64% de l’impact carbone de la mode découle de la fabrication des tissus et du traitement des textiles, qui recourent aux énergies fossiles et aux produits chimiques.»

«Des travaux menés par la chargée de cours de l’École supérieure de mode Vanessa Mardirossian indiquent que 64% de l’impact carbone de la mode découle de la fabrication des tissus et du traitement des textiles, qui recourent aux énergies fossiles et aux produits chimiques», observe Marie-Ève Faust.

Des rapports comme Toxic Threads, de Greenpeace, ont relevé la présence de substances nocives dans les textiles synthétiques, comme les colorants azoïques à base de benzidine, utilisés à grande échelle dans l’industrie. «En dépit de mesures réglementaires, de tels produits utilisés dans la teinture sont rejetés dans les cours d’eau, affectant les écosystèmes aquatiques et même l’eau potable», note la professeure. Ces substances, réputées pour leur résistance à la lumière et au lavage, représentent des menaces pour la santé humaine.

Plutôt que des fibres synthétiques composées de produits chimiques, Marie-Ève Faust plaide pour l’utilisation de fibres animales et végétales. «Nous devrions partir de nos ressources et nous tourner vers des produits comme les toisons de nos moutons que l’on pourrait récupérer et transformer ici, affirme la professeure. Cela contribuerait à réduire l’empreinte écologique des textiles, en réduisant nos importations de tissus.»

Surconsommation textile

La surconsommation fait aussi partie des enjeux environnementaux liés à l’industrie textile. Entre 2000 et 2014, la consommation de vêtements par personne dans le monde a augmenté de 60 %, selon un rapport de la firme McKinsey. Les consommateurs ont réagi à la baisse des prix et à la plus grande variété en achetant davantage de vêtements. «Cette accélération est attribuable, notamment, à la mode rapide, appelée fast fashion», dit la professeure. Ce segment de l’industrie a émergé dans les années 1970 et s’est étendu à l’échelle mondiale dans les années 2000 (1 000 nouveaux articles par jour en 2021). Issus d’un travail peu rémunéré, les vêtements de fast fashion sont souvent fabriqués à partir de textiles synthétiques ou de coton, l’une des cultures les plus gourmandes en pesticides.

Pour une offre locale, diversifiée et écoresponsable

Les fonds recueillis lors du Bal de laine sont allés à la Fondation Bal de laine qui, avec la collaboration de Fibershed Québec, vise à appuyer la recherche sur le développement des textiles et savoir-faire locaux. Fondé en 2022 par Marie-Ève Faust, Fibershed Québec est, en quelque sorte, l’antenne québécoise de l’organisme californien Fibershed, dont la mission est de contribuer au développement d’une offre en textile et habillement qui soit locale, diversifiée et écoresponsable.

«Valoriser et promouvoir les textiles du terroir font partie du mandat de Fibershed Québec, indique la professeure. Nous nous engageons à contribuer à l’avancement des connaissances concernant les meilleures pratiques, depuis la production des fibres et des matières premières jusqu’à la fin de vie des produits textiles et des vêtements.»

Fibershed Québec défend le recyclage des textiles et l’idée de prendre soin des vêtements. «La réparation, le rapiéçage et le raccommodage de nos vêtements peuvent faire partie d’un changement culturel qui valorise les personnes ayant travaillé pour leur donner vie et qui réduit l’impact des déchets textiles sur l’environnement», soutient Marie-Ève Faust.