Des études américaines ont démontré que les troubles alimentaires touchent davantage les athlètes d’élite – particulièrement les athlètes qui doivent maintenir une certaine silhouette ou une catégorie de poids pour performer dans leur sport – que la moyenne de la population. Les récents témoignages d’athlètes comme la gymnaste Simone Biles, la nageuse synchronisée Marie-Pierre Gagné ou la judoka Catherine Beauchemin-Pinard ont mis en lumière le mal-être vécu par ces athlètes à la recherche de la perfection.
Une équipe de recherche s’est penchée sur les liens entre perfectionnisme et troubles alimentaires. «Notre étude a démontré que c’est surtout le perfectionnisme “socialement prescrit”, c’est-à-dire la pression imposée par les pairs, qui est associé aux troubles alimentaires, affirme la doctorante en psychologie Jany St-Cyr, qui a réalisé l’étude avec ses collègues Andreea Gavrila et Myriam Tanguay-Sela, sous la supervision du professeur Robert J. Vallerand. Cette pression sociale entraîne une passion pour le sport que l’on pourrait qualifier d’obsessive, alors que le perfectionnisme que l’on s’impose à soi-même mène plus souvent vers une passion harmonieuse.»
L’étude a été publiée dans la revue Psychology of Sport and Exercice en juillet dernier.
Trouver l’équilibre
L’idée de cette étude découle d’un travail de session réalisé par les trois étudiantes dans le cadre d’un cours sur la motivation donné par le professeur Vallerand. «Étant moi-même une grande sportive, j’avais envie de travailler sur les processus motivationnels dans le sport, tandis qu’Andreea et Myriam s’intéressaient aux troubles alimentaires, mentionne Jany St-Cyr, qui est aussi chargée de cours au Département de psychologie. Nous avons combiné nos intérêts pour créer le projet de recherche.»
Dans un premier temps, les étudiantes ont recruté, via une base de données en ligne, 229 gymnastes et nageuses synchronisées de haut niveau, adultes (l’âge moyen était de 30 ans), qui pratiquaient leur sport depuis de nombreuses années. Les participantes devaient remplir un questionnaire qui mesurait divers paramètres. D’abord, si le perfectionnisme des athlètes était orienté vers soi ou imposé par les autres. Ensuite, si la passion (que l’on peut définir comme un fort investissement de temps et d’énergie dans une activité que l’on aime et qui nous définit) était de nature harmonieuse ou obsessive. «La passion harmonieuse, synonyme d’un meilleur équilibre entre le sport et les autres sphères de la vie, ne dépend pas uniquement de la performance, précise la doctorante. Au contraire, dans la passion obsessive, l’athlète a de la difficulté à se désengager de son sport, ce qui peut l’amener à vivre des conflits interpersonnels ou à faire preuve de négligence dans ses études ou son travail.» L’équipe de recherche a aussi mesuré le bien-être physique et psychologique ainsi que les signes de troubles alimentaires – se faire vomir ou restreindre son alimentation, par exemple.
Deux résultats ressortent clairement de l’étude. «Le perfectionnisme orienté vers soi peut être associé autant à une passion harmonieuse qu’obsessive, tandis que le perfectionnisme socialement prescrit est associé uniquement à la passion obsessive», analyse Jany St-Cyr.
L’étude a aussi montré que la passion harmonieuse est associée au bien-être physique et psychologique. «Il y a même un lien négatif entre la passion harmonieuse et les troubles alimentaires, se réjouit la doctorante. À l’inverse, la passion obsessive est un facteur de risque de développer des troubles alimentaires.»
Pistes de solution
La doctorante admet qu’il n’est pas facile de favoriser une passion harmonieuse dans un contexte sportif qui glorifie la performance et le corps «parfait». De petites actions peuvent toutefois être entreprises pour tendre vers un meilleur équilibre. «Les entraîneurs peuvent soutenir l’autonomie des athlètes en expliquant bien les objectifs à atteindre, en offrant différents choix pour atteindre ces objectifs et en donnant de la rétroaction positive, propose la doctorante. Ils peuvent aussi porter une plus grande attention au point de vue des athlètes et à leurs émotions.».
Pour leur part, les athlètes doivent être en mesure de réfléchir à leurs propres actions de manière réflexive, et voir si la pratique du sport leur fait négliger d’autres sphères de leur vie. «À long terme, il faudrait changer complètement la culture et les valeurs encouragées dans les sports esthétiques. Il reste encore beaucoup de travail, mais le fait que l’on parle de plus en plus ouvertement de la santé mentale et du bien-être des athlètes me porte à croire que nous sommes sur la bonne voie», conclut Jany St-Cyr.