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Le gaz naturel renouvelable, pas si vert que ça

Une étude souligne la nécessité d’une évaluation environnementale stratégique de la filière basée sur la valorisation des résidus.

Par Marie-Claude Bourdon

27 février 2024 à 17 h 30

Transformer les résidus forestiers et agricoles ou encore les déchets domestiques en sources d’énergie renouvelable est une idée séduisante. Une recherche réalisée sous la supervision d’Éric Pineault, professeur au Département de sociologie et président du comité scientifique de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), vient toutefois mettre en doute l’image «verte» du gaz naturel renouvelable (GNR) mise de l’avant par le gouvernement du Québec. Elle révèle que les volumes de biomasse disponibles au Québec pour produire ce combustible de façon durable sont beaucoup plus faibles que ce que laissent entendre les chiffres ayant circulé jusqu’ici.

«Il est clair pour nous que le GNR a un rôle à jouer dans la décarbonation des énergies au Québec, déclare Éric Pineault, mais le volume sera certainement plus faible que ce qui est prévu dans les études de potentiel techco-économiques publiées jusqu’à maintenant.»

Le rapport de recherche Gaz naturel renouvelable: enjeux climatiques et écologiques et potentiel de production au Québec est fondé sur une revue de la littérature scientifique, des entretiens avec des spécialistes et une analyse des études de potentiel publiées à ce jour. Réalisé à la demande de la Table énergie du Front commun pour la transition énergétique et financé par la Fondation familiale Trottier, ce rapport souligne que le développement de cette filière n’a pas fait l’objet d’une évaluation environnementale stratégique ni d’un débat public large. En fournissant un état des connaissances sur la filière, il vise à outiller les regroupements de citoyens qui souhaitent intervenir de manière éclairée dans le débat public entourant le GNR.

«En date d’aujourd’hui, on n’a pas d’analyse du potentiel réel et désirable du GNR au Québec, souligne Éric Pineault. Les études disponibles se limitent à évaluer le potentiel techno-économique en faisant abstraction des usages actuels de la biomasse nécessaire pour produire le GNR et en ignorant les enjeux environnementaux que soulève cette production.»


Trois sources potentielles

En gros, il existe trois sources potentielles de biomasse: la biomasse forestière (résidus de la récolte forestière ou de la transformation du bois), la biomasse agricole (plantes cultivées pour être transformées en énergie, résidus agricoles et déjections animales) et les déchets (par la captation des émanations de méthane des sites d’enfouissement ou la transformation de ce qui devrait normalement aller au compost). Or, selon l’équipe de recherche, une grande partie de la biomasse considérée pour produire du GNR au Québec est, en fait, déjà utilisée de manière plus rentable ou plus écologique… ou ne devrait jamais être extraite afin de préserver l’intégrité des écosystèmes.

Ainsi, la biomasse forestière, qui représente la source la plus importante, soit 80 % du potentiel techno-économique estimé à l’horizon 2030, est aussi la source la plus incertaine, note Éric Pineault. «Si on prélève les résidus forestiers, quelles seront les conséquences pour la biodiversité, la santé des sols et la résilience des forêts?», s’interroge le professeur. Selon la revue de littérature, il existe des risques majeurs liés à cette extraction, dont une perte de zones à haute valeur écologique, une potentielle réduction du carbone dans les sols forestiers et une fausse carboneutralité.

Quant à l’option consistant à utiliser les résidus de la transformation du bois, elle n’est pas plus avantageuse. «Un usage énergétique serait absolument scandaleux considérant la pénurie de cette matière chez les transformateurs qui font du bois d’ingénierie, des panneaux d’aggloméré ou d’autres matériaux à partir du bois récupéré», dit Éric Pineault.

Du côté de la biomasse agricole, les enjeux sont aussi complexes. «Il est très contesté d’utiliser des terres arables pour produire du GNR», note Marc Dionne, étudiant à l’ISE et co-auteur de l’étude. Cultiver des plantes pour produire de l’énergie entre en conflit avec l’agriculture destinée à l’alimentation, observe-t-il. Pour ce qui est des résidus agricoles, leur transformation en matière compostable est préférable du point de vue environnemental. Quant à la valorisation des lisiers de porc et autres déjections animales, qui servent déjà à l’engraissement des sols, rien ne prouve jusqu’à maintenant qu’il s’agit d’une avenue prometteuse, ni selon quelles modalités. «La production d’énergie par cogénération, pour les besoins locaux, sur la ferme, serait possiblement plus avantageuse que le transport en camion de la biomasse vers d’importantes usines de biométhanisation, indique le chercheur. On parle d’un circuit plus court, plus logique d’un point de vue environnemental.»


Des enjeux d’acceptabilité

Selon le rapport, la production de GNR à partir de biomasse issue de l’agriculture présente des risques pour la santé à long terme des sols agricoles et implique des méga-usines de biométhanisation qui soulèvent des enjeux d’acceptabilité sociale en milieu rural. Les auteurs de l’étude observent que la construction de ces usines pourrait avoir un effet de verrou sur les élevages industriels alors que l’impact de cette filière sur le bilan de GES de ces élevages n’a pas été démontré.

En ce qui concerne les déchets, la captation du méthane qui s’échappe des sites d’enfouissement est clairement une option à considérer pour la production de GNR, affirme Marc Dionne. En effet, il n’existe aucun autre usage pour ces émanations , qui constituent à l’heure actuelle une source de pollution, le méthane étant un gaz à effet de serre puissant. Leur transformation en GNR aurait donc des conséquences positives. «À ceci près qu’il ne faudrait pas créer de nouveaux sites d’enfouissement pour alimenter la filière, note Éric Pineault. On ne veut pas produire des déchets pour produire du GNR.»

Le rapport souligne que toutes les sources possibles de biomasse présentent des enjeux environnementaux qui n’ont pas été examinés avec rigueur et qui pourraient, lorsque pris en compte, diminuer les volumes de GNR qu’on pourrait produire de manière durable.

«La communauté scientifique est divisée par rapport à la production de GNR, observe Éric Pineault. La plupart du temps, la transformation de la biomasse est moins avantageuse que d’autres usages plus locaux.»

Dans ce contexte, et en attendant une évaluation rigoureuse et complète de la filière du GNR au Québec, le professeur croit «qu’il vaut mieux réserver ce gaz aux usages sans regrets et critiques». Selon lui, le GNR demeurera rare et il ne faut pas miser sur cette filière pour remplacer d’autres sources énergétiques durables qui conviennent mieux pour chauffer les maisons, par exemple, ou les alimenter en électricité. Par contre, le GNR pourrait remplacer le gaz naturel importé pour les procédés industriels qui exigent une importante source de chaleur, là où les possibilités de substitution sont faibles. «La plupart des grandes industries ont pris des engagements pour décarboner leurs procédés, donc elle sont preneuses pour ce genre de solution», dit Éric Pineault.

Selon Marc Dionne, «il est impératif que le gouvernement du Québec se dote d’un plan d’acquisition des connaissances manquantes concernant la filière GNR, à défaut de quoi nous risquons de développer à grande échelle une industrie qui, au lieu de contribuer à la transition énergétique, nous en éloignera».